Pierre-Luc Bégin

Michael Ignatieff, un danger pour le Québec ?

Alors que le chef libéral se rapproche du siège de premier ministre, cet essai publié en 2006 mérite d’être lu et relu aux quatre coins du Québec.

Ignatieff - le PLC et le Québec


Pierre-Luc Bégin

Michael Ignatieff, un danger pour le Québec ?, Québec, Les Éditions du Québécois, 2006, 160 pages

NON à la division nationale.

NON au chantage nationaliste, aux jeux mesquins du Bloc.

NON aux fausses utopies indépendantistes.

NON au séparatisme.

À JAMAIS NON.
***
Qui a bien pu tenir ces propos en 2005 ? Justin Trudeau ? Un chroniqueur de la Gazette ? Un militant d’Affiliation Quebec ? Eh non ! Cet extrait d’une allocution de Michael Ignatieff devant le Congrès du PLC n’est qu’une citation parmi des dizaines toutes plus étonnantes les unes que les autres, rapportées par Pierre-Luc Bégin dans son livre Michael Ignatieff, un danger pour le Québec ? publié aux Éditions du Québécois. Contredisant le consensus médiatique en faveur du nouveau chef libéral, l’auteur nous fait découvrir le côté sombre de la pensée politique d’Ignatieff, en s’appuyant sur un corpus fort complet de monographies, d’articles et de discours. S’il est le fruit d’une recherche rigoureuse, l’ouvrage n’en est pas moins militant, ce que l’auteur assume pleinement dès l’introduction. Loin de discréditer le travail de Bégin, cette honnêteté intellectuelle permet au lecteur de savoir d’entrée de jeu à quoi s’attendre.
Le premier chapitre portant sur la jeunesse et la famille d’Ignatieff est sans doute le plus faible. Alors que Bégin assure que « ce livre ne vise pas la personne d’Ignatieff, mais bien ses méthodes et ses idées politiques », la portion biographique de l’ouvrage comporte de nombreux sous-entendus concernant les origines aristocratiques d’Ignatieff, qui fut « élevé dans la ouate ». On se demande quel est l’objectif de l’auteur, lorsqu’il mentionne que Nicolas Ignatieff, grand-oncle de Michael, était reconnu pour les mesures « répressives et discriminatoires à l’encontre des Juifs » qu’il avait instaurées à titre de ministre de l’Intérieur du tsar Nicolas III. Au fil des pages, Michael Ignatieff sera d’ailleurs surnommé « notre petit tsar-maison » et « notre petit tsar postmoderne », en plus de l’emploi répété de son surnom « Iggy », une familiarité qui nuit inutilement à la crédibilité de l’auteur et ne rend pas justice à la qualité de sa recherche.
C’est lorsqu’il s’attaque aux thèses d’Ignatieff dans les chapitres suivants que Bégin est le plus convaincant. Les nombreuses citations tirées des ouvrages Blood and Belonging et La révolution des droits, rappellent qu’Ignatieff a dénoncé avec virulence le nationalisme sous toutes ses formes et en particulier le « séparatisme québécois ». Le chef libéral a également présenté la Conquête britannique comme un bienfait pour les Canadiens français, affirmé que la langue française était en parfaite sécurité au Québec, défendu l’égalité des provinces contre le fédéralisme asymétrique, rejeté le principe du droit à l’autodétermination des peuples et présenté la loi C-20 comme étant un modèle de démocratie. Bien que le choix des citations soit excellent, le fait que les extraits en anglais n’aient pas été traduits nuit à la fluidité du texte, en particulier lorsque l’auteur énumère dans une même phrase une série de déclarations d’Ignatieff sur un sujet donné, dont certaines sont en français et d’autres en anglais. De plus, puisque l’objectif du livre est de faire connaître la pensée politique d’Ignatieff aux Québécois, il aurait été préférable de la rendre disponible à ceux qui ne lisent pas l’anglais. Peut-être cette décision de l’auteur s’explique-t-elle par une crainte de tomber dans les pièges de la traduction libre, à laquelle les collaborateurs d’Ignatieff n’ont quant à eux pas échappé. Bégin nous apprend en effet que le site web d’Ignatieff comportait en 2006 des retranscriptions de ses discours en français absolument catastrophiques sur les plans de la grammaire, de l’orthographe et de la syntaxe. Par exemple, dans un discours particulièrement centralisateur sur la politique étrangère, Ignatieff aurait affirmé que le Canada devait parler d’une seule voie à l’international, mais qu’il n’y avait toutefois « pas de problème avec la visite Charest à Pékin » !
En plus d’offrir une synthèse des travaux d’Ignatieff, Bégin offre une interprétation originale du cheminement intellectuel de l’auteur, devenu politicien. Rejetant la thèse habituelle à l’effet qu’Ignatieff se serait progressivement ouvert au nationalisme québécois après en avoir fait une critique féroce dans Blood and Belonging, Bégin démontre qu’Ignatieff demeure fermement antinationaliste dans La Révolution des droits et que la différence entre les deux ouvrages est, comme l’a reconnu Ignatieff lui-même, « davantage un changement de ton » qu’une réelle conversion idéologique. Bégin propose ainsi de représenter l’évolution de la pensée politique d’Ignatieff comme une « valse à trois temps », dans laquelle Ignatieff passe d’un « rejet complet » du nationalisme dans Blood and Belonging à une ouverture purement « cosmétique » dans la Révolution des droits, pour terminer avec le « tango idéologique » de sa carrière politique, dans lequel il affirme une chose et son contraire selon le moment de la journée et l’auditoire auquel il s’adresse. Nous pourrions certainement ajouter son plus récent livre aux accents électoralistes, Terre de nos aïeux, à cette dernière période. Cette idée d’une « valse à trois temps » qui introduit le chapitre « Ignatieff et le Québec » est certainement la thèse la plus forte de l’ouvrage.
Au discours antinationaliste d’Ignatieff, Bégin oppose un nationalisme décomplexé qui s’affirme particulièrement dans le dernier chapitre sur « Ignatieff, les nationalismes et l’identité ». Défenseur de la liberté des peuples et des identités nationales fortes, l’auteur rappelle qu’à l’exception des privilégiés comme Ignatieff dont le nomadisme s’accompagne d’une carrière prestigieuse, la plupart des êtres humains demeurent attachés à leur nation, qu’ils ne quitteraient qu’à contrecœur pour des raisons de survie. Son patriotisme s’accompagne toutefois d’une représentation caricaturale d’un Québec progressiste et d’une Amérique anglo-saxonne conservatrice. Ainsi, la figure-type du Québécois serait celle du sociodémocrate pacifiste amateur des Cowboys fringants alors que l’Américain moyen serait un consommateur de bière et de frites belliqueux qui vote pour George Bush. Au nom d’un progressisme qu’il présente comme étant intrinsèque au nationalisme québécois, Bégin reproche à Ignatieff d’avoir ridiculisé « sans motif valable » la révolution bolchévique, d’avoir participé au Forum économique mondial, « Mecque de l’hégémonie capitaliste planétaire », et d’appuyer l’intervention militaire en Afghanistan, « cette sale guerre coloniale ». Très peu de Québécois se reconnaîtront dans ces slogans aux accents marxistes, que Bégin défend pourtant au nom des « valeurs québécoises ». Si l’on peut lui reprocher d’assimiler le nationalisme québécois au progressisme, une confusion surprenante de la part d’un résidant de la Capitale-Nationale, il n’en demeure pas moins que le nationalisme de Bégin repose avant tout sur une fierté et une soif de liberté qui teintent l’ensemble du livre. Les Québécois de gauche comme de droite qui partagent ce nationalisme seront aisément convaincus que Michael Ignatieff représente effectivement un « danger ». Alors que le chef libéral se rapproche du siège de premier ministre, cet essai publié en 2006 mérite d’être lu et relu aux quatre coins du Québec.
Joëlle Quérin
Doctorante en sociologie, UQAM


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