Devons-nous en finir avec l’indépendance?

Actualité québécoise - vers une « insurrection électorale »?


Revue Argument 

Dossier : Devons-nous en finir avec l’indépendance?, automne 2007-hiver 2008, vol.10, no1
Dans son édition d’automne 2007-hiver 2008, la revue Argument consacre un dossier à la question nationale, qu’elle aborde avec l’interrogation polémique suivante : Devons-nous en finir avec l’indépendance? La lecture de la présentation générale du numéro, de la présentation du dossier, de même que de l’article [« La fatigue politique du Québec français (II) »->15260], tous trois signés par Daniel Jacques, ne laissent aucun doute sur la paternité de l’idée initiale du dossier. La justification apportée au choix du thème dans la présentation ne converge que trop bien avec la thèse qu’il défend dans sa propre contribution au dossier. D’ailleurs, les textes suivants, signés par Jacques Beauchemin, Mathieu Bock-Côté et François Charbonneau, apparaissent comme autant de réfutations de la thèse de Jacques.
Charbonneau ne s’en cache d’ailleurs pas, justifiant sa participation au numéro par son désaccord avec le « postulat » de « celui qui a proposé d’accorder tout un dossier à cette question », postulat qu’il résume en ces mots : « Qu’on soit pour ou contre, l’indépendance ne se fera pas, alors aussi bien en faire le deuil » (p.69).
C’est en effet l’idée directrice du texte de Jacques, dont le fatalisme se reflète dans son emploi récurrent de l’expression « prendre acte », répétée comme un mantra. Sa constatation de la baisse de popularité de l’idée d’indépendance le convainc que celle-ci ne se concrétisera jamais. C’est à partir de cette certitude que l’auteur se demande s’il ne vaudrait pas la peine de poursuivre ce qu’il appelle « ce rêve », non pas dans l’espoir de le réaliser dans un avenir plus lointain que souhaité, mais uniquement pour des considérations stratégiques dans le cadre de négociations constitutionnelles. Il en arrive toutefois à la conclusion que le caractère « ambivalent » d’un Québec qui n’est ni complètement à l’intérieur, ni à l’extérieur du Canada, est néfaste pour sa santé politique. Si cela apparaît évident pour tout indépendantiste, Jacques en conclut que la meilleure solution, pour sortir de cet état d’ambivalence, n’est pas de poursuivre le combat national, mais de rentrer dans le rang. On peut se surprendre que celui qui plaide pour un « retour de tous les Québécois au sein d’un Canada français renouvelé » (p.44), un film dans lequel nous avons déjà trop souvent joué, qualifie de « rêve » et d’« utopie » la réalisation de l’indépendance. Cette invitation au « renouvellement » du Canada français est certainement naïve, mais surtout, elle témoigne d’une résignation, d’un consentement à la minorisation, comme s’il s’agissait d’une décision sans coût et sans risque, qui ne dépendait que de notre bonne volonté de coopérer avec un Canada qui nous tend la main.
Malgré cette navrante proposition quant à l’avenir du Québec, le texte de Jacques comporte des éléments intéressants, tel que le concept de « fatigue politique » qu’il développe pour expliquer le rejet du projet d’indépendance par bon nombre de Québécois. Deux éléments seraient à la source de cette « fatigue politique », l’une étant ancrée dans le contexte québécois, l’autre inscrite plus largement dans la modernité.
L’explication proprement québécoise de la « fatigue politique » provient du caractère non politique de la nation, telle qu’imaginée au Québec, tant dans sa version canadienne-française, fondée sur la religion, que dans sa version québécoise, fondée sur la culture. S’il est vrai que la dimension politique de la nation a souvent échappé aux « prêtres » et aux « clercs » d’abord, puis aux « poètes » et aux « professeurs » (p.31) qui l’ont défendue, on s’étonne que Jacques en conclue qu’il faille abandonner toute idée de « nation culturelle ». Pourquoi rejeter la nation dite « culturelle » sous prétexte qu’elle n’a pas su s’articuler correctement à un projet politique? Jacques n’indique d’ailleurs pas sur quoi devrait reposer un projet politique indépendantiste, une fois rejetée la « nation culturelle ». Abandonner l’idée d’indépendance lui apparaît sans doute plus facile que de chercher à donner à la nation québécoise le caractère politique qui lui fait défaut.
Le deuxième élément apporté par Jacques pour expliquer la « fatigue politique » du Québec réside dans le désir l’universalité propre à la modernité, qui délégitime l’appartenance nationale, perçue comme trop restreinte. La nouvelle « religion de l’universel » (p.25) aurait retiré toute sa pertinence à l’idée de nation. Sur ce point, la thèse de Jacques est en accord avec celle de Beauchemin, dont la critique de la « dépolitisation » rejoint l’idée de « fatigue politique ». Pour Beauchemin, toutefois, ce n’est pas tant la modernité que sa radicalisation, qui remet en question l’idée de nation, non seulement par son regard tourné vers l’universel, mais aussi par la fragmentation interne des nations en groupes identitaires.
L’appropriation de ce discours par les élites souverainistes est d’ailleurs illustrée de façon convaincante par Éric Bédard, dont le texte, publié à titre de contribution libre, apporte un éclairage historique des plus pertinents au dossier. Sa comparaison entre les écrits de Trudeau et des publications et discours récents d’intellectuels et de politiciens souverainistes est saisissante. La convergence des idées, voir mêmes des termes employés pour défendre ces idées, démontre l’ampleur de la conversion des élites souverainistes à la rhétorique trudeauiste, qu’ils avaient pourtant répudiée à l’époque de la parution des écrits de Trudeau.
Beauchemin explique que ce nouveau discours exige une réécriture de l’histoire du Québec, afin de la rendre « inclusive ». Le nouveau récit identitaire qui en découle n’étant plus contradictoire avec l’appartenance au Canada, l’idée d’indépendance s’en voit considérablement affaiblie.
Face à cette impasse, Bock-Côté apporte un certain optimisme. Selon lui, si les élites souverainistes communient à la « religion de l’universel » exposée par Jacques et s’affairent à la réécriture de l’histoire décrite par Beauchemin, ce nouveau discours postmoderne n’a pas rejoint la population du Québec, comme en témoignent les appuis recueillis par Mario Dumont lors des élections du 26 mars 2007. Les idéologies qui délégitiment le nationalisme étant très peu populaires à l’extérieur des colloques hermétiques, elles ne peuvent donc pas être invoquées pour annoncer la mort de l’idée d’indépendance.
Là s’arrête toutefois l’optimisme de Bock-Côté, qui constate que le nationalisme, s’il est toujours vivant malgré douze ans de thérapie postmoderne, ne se traduit pas en souverainisme à l’heure actuelle. La solution ne consisterait donc pas, comme le propose Jacques, à abandonner définitivement l’idée d’indépendance, mais à entretenir le nationalisme toujours présent et à le convertir progressivement en souverainisme.
Si Bock-Côté nous convainc aisément que le nationalisme n’a cédé ni vers le haut aux appels de l’universel ni vers le bas, à ceux de la fragmentation identitaire, Charbonneau suggère de façon percutante, à l’aide d’une anecdote en apparence bien anodine, qu’il a peut-être cédé à l’individualisme, lui aussi caractéristique du discours libéral postmoderne. Charbonneau établit un parallèle entre le refus, de la part des riverains du Lac B. de faire leur part pour sauver leur lac des algues bleues pour les générations futures, à moins qu’ils ne soient récompensés personnellement pour leurs efforts, et le refus des Québécois de courir le risque de faire l’indépendance, à moins d’avoir la certitude qu’ils n’en paieront pas le prix individuellement.
Si la « trudeauisation des esprits » décrite par Bédard, s’est limitée à une certaine élite progressiste dans sa dimension antinationaliste marquée par la mauvaise conscience, sa dimension individualiste semble quant à elle avoir pénétré les esprits jusqu’au Lac B. Pour Bédard, le projet trudeauiste consiste non seulement à « en finir avec le passé », mais aussi à faire advenir une « société d’individus », où la nation ne serait plus le produit d’une histoire, mais d’un « choix délibéré » (p.107) opéré par les individus qui la composent. Bref, si les Québécois refusent manifestement de faire une croix sur le passé, ils ont peut-être suffisamment intériorisé l’idée d’une « société d’individus » pour empêcher que leur sentiment d’attachement à la nation, toujours bien réel, ne puisse se transposer en un combat politique commun.
En somme, ce qui est remis en question, ce n’est pas le fondement nationaliste de l’idée d’indépendance. Celui-ci demeure bien vivant envers et contre la rhétorique postmoderne. Ce que semblent délaisser les Québécois, c’est plutôt l’indépendance en tant que projet politique, en tant que combat politique exigeant des sacrifices individuels au nom de l’intérêt national. Si le dossier d’Argument ne convainc pas que nous devons « en finir avec l’indépendance », il permet de mieux comprendre les obstacles qui se posent à nous. Il ne s’agit pas seulement de promouvoir une « option », ou pire, un « rêve ». Il s’agit de défendre la nation comme étant au cœur de l’action politique. Il s’agit finalement, de défendre le politique.
***
Joëlle Quérin


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé