LE MODUS OPERANDI DES SPOLIATEURS (17)

Ignatieff « score » dans le filet fédéraliste

Vaches maigres à l’horizon ?

Chronique de Richard Le Hir



Vous seriez surpris de ce qu’on apprend en politique. Ainsi, prenez mon cas. Parachuté par le PQ dans un comté rural en 1994, j’ai dû aller à la rencontre de ceux qui allaient devenir mes électeurs sur leurs lieux de travail, et faire la tournée aux petites heures du matin de tout ce que le comté d’Iberville comptait de porcheries, de fermes laitières et d’élevages de volailles (Non, je ne vous dirai pas combien de cochons, de vaches et de poules, mouillées ou de luxe, ont voté pour moi).
Le citadin que j’étais s’est vite rendu compte de la différence d’ambiance qui régnait d’un établissement à l’autre selon qu’ils abritaient des cochons, des vaches ou des poulets. Les cochons grognent et grouillent à la noirceur, les vaches ruminent placidement dans leurs stalles et les poulets s’agitent dans tous les sens en piaillant sans aucune coordination.
À regarder l’agitation qui règne présentement dans le camp fédéraliste et la multiplication des voies discordantes, je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec l’ambiance des élevages de poulets. Vous en doutez ? Regardez Ignatieff et Dion de profil.
Mais laissons la caricature aux caricaturistes, et examinons plutôt ce qui se passe chez les fédéralistes québécois depuis l’été dernier. Après avoir tenté de nous convaincre que le vote massif des Québécois en faveur du NPD à l’élection fédérale du 2 mai dernier signifiait leur renoncement à l’option indépendantiste, ils ont été les premiers à déchanter.
À les entendre, le virage monarchique de Stephen Harper compromettait l’unité canadienne, et il en allait de même pour son rejet des engagements de Kyoto, sa remise en question du droit à l’avortement et de l’égalité des droits des homosexuels, ses décisions d’abolir le registre des armes à feu, de durcir les peines et de réviser le statut des jeunes contrevenants, sa politique étrangère militariste, sans parler de sa promotion de mesures économiques totalement réactionnaires à leurs yeux.
Certains fédéralistes de choc comme Jean Chrétien et Justin Trudeau chez les Libéraux, ou Peter White chez les Conservateurs, sont même allés à évoquer le pire, et c’est ce que vient tout juste de faire lui aussi l’ex-chef du Parti Libéral du Canada, Michael Ignatieff devant les micros de la BBC, en déclarant que « Quebec will ’eventually’ become independent ».
Ne serait-ce du fait qu’Ignatieff a été le chef du Parti Libéral fédéral, sa réflexion ne serait pas très originale. Il se trouve en fait à évoquer les « Two solitudes » que le journaliste, professeur et romancier anglophone Hugh MacLennan avait si bien décrite dans son roman éponyme dès 1945 .
Mais en s’exprimant avec sa liberté académique retrouvée après avoir été le chef du parti national canadien par excellence, et de ce fait l’héritier spirituel de Pierre-Elliott Trudeau, Michael Ignatieff s’est non seulement trouvé à transgresser un tabou de la politique canadienne, mais à jeter un gros pavé dans la mare fédéraliste. Imaginez, ce sont désormais les fédéralistes, et non les moindres, qui évoquent le « break-up » du Canada !
Chuuut ! Les Québécois pourraient finir par le croire ! Et comme un malheur n’arrive jamais seul, cette déclaration tombait sur les fils de presse la veille même où la très fédéraliste Grosse Presse de l’Oncle Paul allait rendre public le sondage sans doute le plus manipulateur de son histoire qui tente de nous faire croire que, malgré le taux d’insatisfaction le plus élevé jamais enregistré (73 %) pour un gouvernement au Québec, le PLQ de Jean Charest « pourrait » former un gouvernement minoritaire.

Notez bien ce conditionnel : « pourrait ». Tout comme « Il pourrait neiger le 10 mai prochain ». La « possibilité » existe, mais la « probabilité » est mince. Mais La Presse n’a cure de ce genre de nuance et titre allègrement « Vers un gouvernement minoritaire » avec autorité, sans même se soucier de rajouter un point d’interrogation à sa manchette.
Pour faire bonne mesure, La Presse rajoute également que le soutien à la souveraineté est passée de 43 % à 36 % en un mois, une chute de 7 % qu’elle ne prend même pas la peine d’expliquer, sans doute pour l’excellente raison qu’elle est inexplicable. Elle correspond tout simplement aux désirs de l’Oncle Paul pour qui La Presse n’en est que le relais.
Notez quand même que La Presse n’est pas allée jusqu’à prétendre que la CAQ filait tout droit vers le pouvoir. Ça, c’était franchement trop gros. Un truc à y laisser le peu de crédibilité qui lui reste. Mais quand on regarde ce « sondage » de près, on est tout de même frappé par le fait que la CAQ et le PLQ s’affrontent à Montréal et à Québec, ce qui démontre bien que les gains de la CAQ sont en fait des pertes du PLQ.
En fait, les électeurs potentiels de la CAQ dans la région de Montréal sont des Libéraux qui ne peuvent vraiment plus en leur âme et conscience soutenir le PLQ, comme les électeurs de l’ADQ dans la région de Québec étaient surtout d’anciens militants libéraux désabusés, à l’instar de Mario Dumont qui fut leur chef.
Heureusement qu’il reste Mulcair pour mettre un peu de baume sur les plaies fédéralistes. Lui, au moins, il projette l’image d’un « winner »… pour le moment ! À ce propos, avez-vous remarqué la campagne publicitaire en cours pour promouvoir son image ? Ça coûte cher, une campagne comme celle-là. Heureusement qu’on n’est pas en campagne électorale. Il faudrait dire combien et justifier de la provenance des fonds. Tandis que maintenant… L’Oncle Paul n’est même pas obligé de dire combien il a mis.
Pauvre lui, ses affaires vont plutôt mal. Sarkozy est foutu, Charest est mal en point, Legault ne perce pas, et il n’est pas trop sûr de pouvoir faire confiance à Pauline. À la rigueur, il pourrait peut-être s’en accommoder s’il ne s’agissait que d’elle, mais le PQ est vraiment une entité trop imprévisible (le siège du chef est éjectable), et l’incertitude est déjà à son comble. Comme le disaient mes électeurs d’Iberville, ça va mal « à’ shop ». Vaches maigres à l’horizon ?




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5 commentaires

  • Serge Jean Répondre

    26 avril 2012

    ''J’ai encore l’image de ce Chevrette qui devenait porte-parole de l’industrie du bois après avoir été ministre de la destruction de nos forêts.''
    EXACT!
    Jean

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    26 avril 2012

    «la très fédéraliste Grosse Presse de l’Oncle Paul allait rendre public le sondage sans doute le plus manipulateur de son histoire qui tente de nous faire croire que, malgré le taux d’insatisfaction le plus élevé jamais enregistré (73 %) pour un gouvernement au Québec, le PLQ de Jean Charest « pourrait » former un gouvernement minoritaire.»
    En effet! J'ai vu le grand titre en question, mon regard s'étant posé sur un exemplaire de La Presse, dans un étalage de dépanneur, hier.
    Je peux dire que je n'ai pas réussi à me retenir de rire! Bon, nous avons là une fiable confirmation de la valeur des dits sondage. Ou surtout, de leurs interprétations gescaïennes...
    Concernant Ignatieff, il voit simplement que le Canada de PET n'a jamais réussi, et que ce projet-là est totalement foutu! Il n'y a qu'un malade comme Jusitn Trudeau, pour toujours y croire.
    Ajoutons à cela le fait que sous Harper, les Canadiens sont comme en train de se construire un nouveau Canada, sans nous y garder de place... Ou sinon, il veulent bien qu'Ottawa reçoive des impôts du Québec, mais ils ne veulent strictement rien savoir de plus, de nous.
    Non, franchement, au point où nous en sommes, si Charest est réélu; ou si la CAQ prend le pouvoir; si le Bloc Québécois ne réussit pas un retour en force, dans environ 3 ans, ce sera vraiment parce que les Québécois auront choisi un suicide collectif!

  • Stéphane Sauvé Répondre

    26 avril 2012

    Vous écrivez: "Pauvre lui, ses affaires vont plutôt mal. Sarkozy est foutu, Charest est mal en point, Legault ne perce pas, et il n’est pas trop sûr de pouvoir faire confiance à Pauline. À la rigueur, il pourrait peut-être s’en accommoder s’il ne s’agissait que d’elle, mais le PQ est vraiment une entité trop imprévisible (le siège du chef est éjectable), et l’incertitude est déjà à son comble."
    A cela, je répondrais que tous les députés du PQ ont voté pour cette motion scélérate contre Michaud, alors que quelques mois auparavant, ce dernier s'était opposé de plein front à Desmarais pour ses pratiques corporatives douteuses.
    Ce sont les députés du PQ qui, une fois de plus ont suivi leur Premier Sinistre Bouchard alors qu'en pleine nuit, comme des voleurs, ils votaient pour cette fusion forcée des Villes. Une décision que les éditorialistes de La Presse, Le Nouvelliste de Trois-Rivières, La Tribune de Sherbrooke et le Droit d'Ottawa avaient applaudit chaudement. On se demande aujourd'hui pourquoi.
    C'est le PQ qui est tiède comme la pisse de vos poules et cochons lorsqu'il s'agit de parler et faire l'indépendance. Le PQ est infiltré jusqu'à la moelle par des pro marois, et si cette dernière est "informée" qu'elle doit aller dans une direction, elle s'y dirigera. Si indépendance il y a, ce sera dicté par Desmarais lui-même dans le cadre de l'intégration nord américaine. Marois le sait. Desmarais aussi.
    J'arrête ici.
    Donc ma question est celle-ci, croyez vous vraiment que l'auguste Desmarais (Paul de son prénom) ne pourrait pas s'accomoder de Marois, lorsque l'on sait:
    - ses liens avec son époux et sur ces acolytes via notamment un certain Sirois;
    - sa capacité de s'accomoder de Bouchard lorsqu'il était premier ministre;
    - Charlevoix comme son lieu de retraite et de décision alors qu'étrangement, Marois en est la députée;
    - Marois comme une femme qui aime l'argent et le pouvoir, un trait qu'elle partage avec Desmarais;
    - Le PQ comme un attroupement de moutons qui suit bêtement leur chef dans ses décisions d'ouvrir la porte au loup. J'ai encore l'image de ce Chevrette qui devenait porte-parole de l'industrie du bois après avoir été ministre de la destruction de nos forêts.
    Desmarais était, semble t'il, derrière la décision de René Lévesque de créer le Parti Québécois (voir le livre de JF Lisée dans l'oeil de l'aigle - le comité secret http://www.scribd.com/secretairepigiste/d/17585801-Dans-Loeil-de-lAigle-Le-Comite-secret-de-Power-1967). Il pourrait très bien être derrière la remontée de Marois.
    Je paranoïe, vous dites ?
    J'espère que oui et que Marois me surprendra.
    Mais pour l'heure, je préfère rester prudent et laisser la chance à Option Nationale de nous surprendre, et comme l'écrit Nic Payne dans sa chronique, pouvoir témoigner d'une action indépendantiste forte, organisée et dynamique, audible dès maintenant, plutôt que brimée dans l’antichambre du demi-pouvoir provincial, et entachée de bilans et de débats de gouvernance qui n’ont rien à voir avec elle." http://www.vigile.net/La-demarche-independantiste-d Je rajouterais: entachée d'un désir du pouvoir pour le pouvoir sans une considération authentique et juste pour le bien commun.

  • Archives de Vigile Répondre

    26 avril 2012

    C'est très bien décrit et en plus c'est drôle.En faisant
    du terrain nous apprenons beaucoup des personnes.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 avril 2012

    Le Bloc Québécois est-il assez large d'esprit (j'allais écrire "libéral") pour accepter Michael Ignatieff et Justin Trudeau dans ses rangs ?