<i>Back to the future</i>

Crise mondiale — crise financière

Les crises économiques ont peut-être cela de bon qu'elles ramènent un peu de sérieux dans la vie politique. Comme une sorte de thérapie salutaire dans un monde tenté en permanence par la frivolité. Dans la bonne vieille théorie marxiste, on avait l'habitude de dénoncer ces crises cycliques du capitalisme qui, à l'image d'une spirale infernale, allaient irrémédiablement plonger le monde dans un marasme toujours plus profond. L'expérience aura finalement prouvé le contraire. À savoir que ce bon vieux capitalisme trouvait dans ces crises matière à se renouveler et à se «refonder», pour utiliser l'expression que vient de populariser le président français, sans pour autant nous dire ce qu'elle recouvre véritablement dans son esprit.
Après tout, c'est au sortir de la crise des années 30 que le New Deal de Roosevelt a réinventé l'État providence et a façonné les États modernes que nous connaissons aujourd'hui. Sans la crise, les États n'auraient pas trouvé cette énergie. À la fin des années 70, l'inflation galopante et les taux de chômage effarants auront forcé les États à rationaliser leur fonctionnement, à abaisser les frontières, et a préparé la révolution technique qui a provoqué la croissance extraordinaire que nous avons connue jusqu'à tout récemment.
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Personne ne sait ce que nous prépare la crise actuelle, mais admettons qu'elle a déjà eu pour conséquence de ramener un peu de sérieux dans le paysage politique. Rappelez-vous la dernière campagne électorale québécoise, il y a 19 mois à peine. Comme les farces de Mario Dumont semblaient originales, nouvelles, décapantes. Voilà quelqu'un qui apportait un peu de jeunesse et d'originalité dans le débat politique. Dix-neuf mois et une crise financière plus tard, on ne rit plus. La jeunesse a pris des rides et les mêmes jeux de mots ont tout à coup un air déplacé. Ce n'est pas Mario Dumont qui a changé -- malheureusement pour lui --, c'est nous qui ne le percevons plus avec la même légèreté.
Le ton terriblement sérieux de Barack Obama et ses airs straight, avouons-le, n'auraient probablement pas soulevé les foules il a quelques années. Peut-être même aurions-nous trouvé ennuyeux comme la pluie cet homme politique qui pousse l'académisme jusqu'à citer Faulkner dans un de ses discours. Rappelez-vous cette époque bénie où nous rigolions tous en choeur avec Bill Clinton. Pour dire au revoir aux Américains, le président avait eu cette idée jugée alors géniale de faire un vidéoclip dans lequel il courait derrière Hillary pour lui apporter son casse-croûte dans un sac de papier brun. Qu'il avait donc de l'esprit, ce cher Bill. On en aurait presque oublié qu'il venait de signer, juste avant de quitter la Maison-Blanche, une loi encore plus fantaisiste déréglementant les produits dérivés des Bourses. Ceux-là même qui ont permis à la crise de se répandre comme une traînée de poudre. Si George W. Bush avait le culot de se permettre la même ironie, il passerait pour le dernier des demeurés.
La crise qui commence serait-elle en train de nous ramener à des considérations moins frivoles? En Angleterre, les électeurs jusque-là charmés par la jeunesse et le côté glamour du conservateur Don Cameron semblent soudainement croire qu'il vaut mieux y penser à deux fois avant de jeter aux orties le bon vieux Gordon Brown. Après tout, ce fils de pasteur presbytérien qui ne rigole jamais a de bons états de service. Ne fut-il pas l'éminence grise de Tony Blair et surtout celui qui a tenu de main de maître les cordons de la bourse pendant une décennie? Récemment, c'est lui qui a mis fin aux tâtonnements européens en proposant un plan décisif de stabilisation des banques copié ensuite par le monde entier.
C'est une idée que n'aurait jamais eue Nicolas Sarkozy. Le président a beau être un habile tacticien, il se révèle de plus en plus comme un néophyte en économie. Il a notamment une peur maladive de prononcer les mots «déficit budgétaire». Bientôt, celui de la France franchira pourtant la limite des 3 % établie par le traité de Maastricht. Récemment, il fallait voir le président français improviser une réponse surréaliste à un collègue d'un quotidien britannique. La question, portant sur les garanties bancaires, était si pointue que seul le président de la Banque centrale européenne l'avait comprise. Pas grave! Sarkozy y répondit d'autant plus longuement, s'enfonçant dans les généralités à chaque phrase devant un groupe de journalistes éberlués par tant de culot. Et dire que c'est le président du plus mauvais élève de la classe européenne qui réclamera un nouveau Bretton Wood dès aujourd'hui au sommet du G20 à Washington. Qu'on appelle vite Gordon Brown à la rescousse!
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Cette semaine, le romancier italien Umberto Eco signait un article étonnant dans le quotidien Libération. Il expliquait comment l'invention du magnétoscope dans les années 70, puis du lecteur DVD, nous avait permis de nous libérer de la dictature de la télévision omniprésente en réinventant le cinéma. Voilà qu'avec nos dix télécommandes, nos écrans modernes et nos récepteurs satellites, nous nous sommes remis à faire exactement ce que faisaient nos ancêtres à l'époque des frères Lumière: écouter un film dans l'obscurité. Eco poursuit en démontrant que, plus près de nous, l'ordinateur avait réinventé la radio en permettant à chacun d'écouter ses émissions favorites sur son iPod. Puis il expliquait comment des millions de propriétaires d'ordinateurs achetés très chers et équipés du système Windows Vista payaient encore plus cher pour modifier la configuration de leur appareil et y réinstaller le bon vieux système Windows XT. Et le philosophe d'ironiser: «Quand arrivera-t-on au stade où, pour une somme raisonnable, leur ordinateur sera changé en cahier, avec un encrier, et un stylo à plume Perry?»
Au fait, vous vous souvenez de la phrase de Faulkner citée par Obama: «Le passé n'est jamais mort. Il n'est même pas passé.»
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crioux@ledevoir.com


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