Histoire - La logique noire de Maurice Séguin

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17. Actualité archives 2007

Les auteurs du récent projet d'un programme québécois d'histoire et d'éducation à la citoyenneté estiment que 1848 marque un tournant dans notre passé politique. C'est l'année de la naissance du gouvernement «responsable», le pouvoir qui respecte les décisions de la majorité parlementaire. Pour Robert Comeau et Josiane Lavallée, ceux qui voient là une victoire de la démocratie devraient lire un grand historien sans illusions: Maurice Séguin.

Les deux spécialistes de la pensée critique de Séguin savent bien qu'aux yeux du logicien il n'existait pas de véritable démocratie sous le régime créé en 1840 par le Parlement de Londres: l'Union du Bas-Canada, le futur Québec, et du Haut-Canada, le futur Ontario. Ils ont réuni une douzaine de collaborateurs qui exposent avec eux les idées de celui que beaucoup reconnaissent comme un maître.
Le livre dont Robert Comeau et Josiane Lavallée ont dirigé la publication s'intitule L'Historien Maurice Séguin, théoricien de l'indépendance et penseur de la modernité québécoise. On ne se surprend pas de constater que Comeau se montre le meilleur interprète des textes de l'esprit méthodique qui a fourni à l'indépendantisme les prémisses les plus solides. Depuis tant d'années, le professeur de l'UQAM réserve à Séguin la place primordiale qu'il mérite dans l'historiographie québécoise.
Parmi les collaborateurs de l'ouvrage, Michel Bock, Pierre Trépanier, Frédéric Boily et Mathieu Bock-Côté soutiennent que Séguin, l'âme de l'école historique de Montréal, qui comprenait aussi Guy Frégault et Michel Brunet, peut être considéré en partie comme un disciple de Lionel Groulx. Ils n'ont pas tort de souligner prudemment une certaine continuité, mais Comeau se rapproche plus de la vérité en insistant sur une rupture.
Séguin a en effet démontré que Groulx se trompait gravement en pensant que le gouvernement responsable né en 1848 sous l'Union des deux Canadas avait profité aux Canadiens français. Il rejette le triomphalisme stérile du prêtre historien chez qui le thème de l'indépendance politique était passager, équivoque et irréfléchi.
Subversif
En stigmatisant l'illusion démocratique qui s'appuie sur l'idée d'un pacte fondé sur l'égalité de deux nations, Séguin attaque le coeur même de la pensée fédéraliste québécoise, inspirée de la loi constitutionnelle de 1867, parachèvement logique de l'Union. «En cela, Séguin était totalement subversif», affirme Comeau avec une pertinence incomparable.
À l'Assemblée législative de l'Union, les deux majorités parlementaires, celle du Canada-Est (l'ancien Bas-Canada, surtout francophone) et celle du Canada-Ouest (l'ancien Haut-Canada, essentiellement anglophone) représentaient des nations rivales que Londres traitait selon des critères différents, notamment au sujet des obligations financières. Même si, durant les premières années du régime, le Canada-Est était peuplé d'environ 200 000 habitants de plus que le Canada-Ouest, les deux régions devaient élire le même nombre de députés.
Grâce à l'immigration de Britanniques, avantage colonial certain, la population du Canada-Ouest surpasse vite celle du Canada-Est, qui ne doit compter que sur l'accroissement naturel ou à peu près. La voie s'ouvre à la minorisation des francophones, phénomène que la Confédération de 1867 accentuera par l'élargissement du territoire canadien et par une immigration de gens de plus en plus diversifiés qui parleront l'anglais au lieu du français.
L'émergence du gouvernement responsable associée au réformisme de Louis Hippolyte LaFontaine, tribun du Canada-Est, ne nous permet pas de célébrer une victoire de la démocratie en 1848 pour le peuple francophone. Selon l'analyse implacable de Séguin, cette nation annexée au Canada-Uni, issu du colonialisme britannique, était destinée à l'infériorisation graduelle, voire à l'assimilation.
Qu'une pensée si rigoureuse et si pessimiste implique l'indépendance du Québec comme unique solution à notre dépérissement culturel, c'est l'évidence même. Mais il faut déplorer qu'aucun collaborateur de l'ouvrage consacré à Séguin ne souligne qu'en négligeant l'énergie vitale que Ferron et Miron ont insufflée à la littérature québécoise, le maître de l'histoire politique s'égarait parfois sur les sentiers de la déprime.
Sous une forme laïque et inversée, le noir fatalisme de Séguin serait-il quelque peu l'avatar insoupçonné du providentialisme déshumanisant de Groulx?
Collaborateur du Devoir
L'HISTORIEN MAURICE SÉGUIN
Sous la direction de Robert Comeau et Josiane Lavallée
Septentrion Québec, 2006, 192 pages


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