Histoire du Québec: un difficile atterrissage

Par Michel Sarra-Bournet

Coalition pour l’histoire

Malgré la volonté du ministère de l'Éducation, du Loisir et des Sports (MELS) d'élaborer en vase clos le nouveau programme d'histoire et d'éducation à la citoyenneté au deuxième cycle du secondaire, un débat public a éclaté fin avril 2006. Ce débat a forcé certaines modifications incarnées dans un nouveau projet dévoilé en juin, et dans un programme définitif approuvé par le ministre en novembre.


Le 15 novembre dernier, lors du colloque «L'histoire à l'épreuve de la diversité culturelle» présenté à l'UQAM, je faisais remarquer à l'auditoire que les défenseurs de l'approche «postnationale» de l'histoire du Québec ne devaient pas être satisfaits de la tournure qu'a prise le programme adopté par le ministre quelques jours plus tôt. Non pas que l'économie générale du programme déviait des préceptes théoriques de la réforme, mais parce que certains concepts avaient été réorientés pour rendre compte de faits collectifs. Le texte de Michèle Dagenais et Christian Laville, publié le lendemain dans Le Devoir ([«Histoire: autopsie d'une occasion manquée»->2897]), semble me donner raison.
Mes distingués collègues accordent beaucoup d'importance au «mémoire» de la Chaire Hector-Fabre. J'ai sursauté en lisant l'interprétation qu'ils ont donnée du passage où nous nous attaquions à l'absence, dans les versions antérieures du programme, de faits marquants de l'histoire du Québec. Ils ont laissé entendre que nous adoptions une position téléologique: la promotion d'un récit qui conduirait à l'indépendance du Québec.
La citation qu'ils ont employée à l'appui de cette insinuation est incomplète. Pour être honnêtes, ils auraient dû la faire débuter quelques lignes plus haut: «Et pourtant, ces moments, si nous les considérons comme fondateurs, ce n'est nullement parce qu'ils sont "nationaux", ou qu'il s'agisse de les exalter ou de les déplorer: c'est tout simplement parce qu'ils constituent, de par leur brutale occurrence, des ruptures fondamentales qui ont ébranlé l'ensemble de la collectivité québécoise et ont orienté inexorablement son destin dans la direction que l'on connaît.»
À mon sens, cette direction, c'est la situation dans laquelle le Québec se trouve actuellement. Et cette impasse est inintelligible sans une connaissance minimale de la trame des événements politiques et constitutionnels de l'histoire du Québec.
On corrige...
Jusqu'à tout récemment, le projet de programme d'histoire du Québec occultait cette trame. Dans les limites imposées par le renouveau pédagogique et la nature des programmes de formation à l'intérieur du paradigme socioconstructiviste, le MELS a corrigé ce défaut, sans doute parce que l'absence de la question nationale dans le contenu du programme est la critique qui a recueilli le plus haut degré de consensus, tant dans le public que chez les historiens.
Comme en font foi les tableaux de synthèse du contenu de formation et des concepts prescrits de la version approuvée du programme, on a bonifié le contenu de formation en y incorporant des «concepts, des objets d'interrogation, d'interprétation et de citoyenneté» davantage tournés vers la compréhension de la question nationale, si on les compare à ceux des tableaux équivalents de la version de juin. On y trouve davantage d'histoire politique et intellectuelle, de mouvements collectifs de revendication, etc.
L'identité sociale de l'élève ne se résume plus à celle de l'individu-voteur-consommateur. Par exemple, les concepts centraux «Empire» et «Démocratie» cèdent leur place à «Conquête» et à «Nation». La citoyenneté recoupe maintenant l'appartenance à la société québécoise.
... mais on garde le cap
Cependant, le ministère de l'Éducation n'a pas bougé quant à ses choix fondamentaux: l'approche socioconstructiviste, l'arrimage de l'histoire à l'éducation à la citoyenneté et une grille horaire qui impose un apprentissage de la même matière deux fois (chronologique en 3e secondaire, thématique en 4e secondaire). Donc, pas de récit national préétabli, une sélection des faits orientée vers la formation de bons citoyens et des répétitions qui diminuent le bagage qu'apprendront les élèves. Les faits historiques sont d'ailleurs suggérés, et non prescrits: seuls des «concepts» et des «objets» le sont.
Les éléments fondamentaux pour lesquels le puissant ministère de l'Éducation s'est battu bec et ongles, par delà les ministres et les partis au pouvoir, sont intacts: le régime pédagogique, qui impose un examen à la fin de la 3e année du secondaire et qui empêche un apprentissage chronologique continu de l'histoire du Québec sur deux ans; la subordination de l'histoire à l'éducation à la citoyenneté, qui la réduit à une science auxiliaire plutôt qu'à une discipline de base; enfin, le «renouveau pédagogique» et son approche socioconstructiviste qui placent les compétences au-dessus des savoirs historiques.
Les partisans d'une nouvelle histoire ont donc toutes les raisons de se réjouir parce que le programme d'histoire et d'éducation à la citoyenneté adopté par le ministre n'apporte que des «précisions» aux projets qui circulaient depuis un an.
Michel Sarra-Bournet

Historien, chercheur et membre du comité scientifique de la Chaire Hector-Fabre d'histoire du Québec de l'Université du Québec à Montréal


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