Histoire de l'Irlande et des Irlandais

Un modèle à suivre pour une nouvelle synthèse de l'histoire du Québec

Chronique de Mathieu Gauthier-Pilote


Par ce texte, j'aimerais attirer l'attention des historiens québécois sur le livre Histoire
de l'Irlande et des Irlandais
(http://jacbayle.perso.neuf.fr/livres/Irlande/Joannon.html) de
Pierre Joannon. D'abord, je les invite à lire ce livre, si ce n'est pas déjà fait, pour le sujet
lui-même, qui est fort intéressant. Ensuite, je les invite à considérer la forme du
discours qu'il renferme et à s'en inspirer dans la construction d'une nouvelle synthèse
de l'histoire du Québec et des Québécois.
À titre informatif, voici la façon dont le livre est divisé :
Première partie : Des origines à l'Acte d'Union.
_ 1. L'Irlande primitive
_ 2. Conquête et colonisation
_ 3. L'Irlande coloniale
Deuxième partie : De l'Union à la partition
_ 1. Une union imparfaite
_ 2. Le réveil de l'Irlande
_ 3. L'âge des réformes et des révolutions
_ 4. Le nouveau nationalisme
_ 5. Le combat pour la liberté
Troisième partie : De la partition à l'Union européenne
_ 1. Une nation, deux États
_ 2. Cap sur la paix et la prospérité
Épilogue provisoire

Voilà pour la structure du livre. Mais plus intéressante encore que la structure du livre
est la structure du discours, dans laquelle on retrouve, à mon sens, les choses
suivantes :
L'histoire politique de l'Irlande et de son peuple, relatée en tenant compte de la
dynamique entre une colonie et une métropole;
La description non-partisane du mouvement nationaliste et du mouvement
unioniste (les multiples factions des deux mouvements);
L'histoire des deux principales communautés (catholique et protestante) en
présence sur l'île. C'est l'histoire de l'Irlande en tant que territoire politique;
L'histoire de la relation entre l'Irlande et sa diaspora, américaine et britannique.
C'est l'histoire du peuple irlandais, chez lui et en exil;
Des chapitres relatant l'histoire économique, intellectuelle et culturelle du pays,
entrecoupant le récit historique principal, centré sur le développement politique;
Bien sûr, il est possible d'en apprendre beaucoup sur notre histoire par l'historiographie québécoise, mais au prix de combien de lectures éparses?
Le fait est qu'il n'existe tout
simplement pas de synthèse de l'histoire du Québec et des Québécois comparable au
livre de Joannon. Or, dans ce livre, la forme explicative du discours, la très grande
neutralité vis-à-vis des nationalismes en présence, sont tout à fait adaptées au cas
difficile du Québec, qui à plusieurs niveaux est très analogue à celui de l'Irlande. Nous
parlons en effet de deux sociétés majoritairement catholiques, évoluant pour une bonne
partie de leur histoire à l'intérieur de l'Empire britannique suite à une conquête
militaire. Deux peuples qui se voient retirer leur autonomie parlementaire par une loi
d'union législative. Deux territoires sur lesquels l'Angleterre tente de transplanter une
population anglophone et protestante, population forcément minoritaire à ses débuts,
mais à qui on transfère néanmoins le gros du pouvoir politique et économique, etc.
Le monde, l'empire britannique, l'Irlande
Pour vraiment comprendre l'histoire politique du Québec, il faut nécessairement suivre,
en parallèle, l'évolution d'au moins quatre entités politiques et connaître les décisions
qui se prennent dans autant de capitales politiques. Les entités dont il faut suivre
l'évolution sont non seulement nombreuses mais en plus elles changent de
configuration et même de nom au cours de l'histoire. On sait par exemple que ce que
nous nommons aujourd'hui le Québec est une entité politique qui débute sous le nom de
Canada et que ce que nous nommons Canada aujourd'hui est une union fédérale
d'anciennes colonies appartenant à un ensemble autrefois nommé Amérique du Nord
britannique.
Ainsi, le parcours de ce que nous nommons aujourd'hui le Québec doit-il être suivi
d'abord au sein de l'Empire français sous le nom de Canada, colonie qui est en quelque
sorte le Empire State de la Nouvelle-France, Nouvelle-France qui est une province
gigantesque rattachée au Royaume de France. Ensuite, ce Canada est conquis par les
armes et incorporé à l'Amérique du Nord britannique, où il connaît une histoire
constitutionnelle mouvementée avant d'être intégré, en 1867, à un nouvel ensemble
fédéral, qui obtient son indépendance en 1931 et s'étend à tout l'Amérique du Nord
britannique en 1949, avec l'annexion de Terre-Neuve.
Le sort des colonies nord-américaines dont il est question se décide pour une bonne
part non pas en Amérique mais en Europe, à Paris et à Londres. Pour vraiment suivre le
fil de l'histoire politique du Québec, il faut nécessairement savoir ce qui se passe
évidemment à Québec, mais également à Paris, ensuite à Londres et Ottawa et même,
dans une moindre mesure, à Washington et à Rome. Pour synthétiser cette
connaissance, il faut relater, mettre en contexte et expliquer des événements politiques
qui se déroulent à la fois dans la métropole et dans la colonie. On ne peut bien
comprendre les uns sans les autres. Or, la compréhension de l'histoire de la France et
de la Grande-Bretagne que nous donne la lecture de l'histoire du Québec est trop
souvent insuffisante et en conséquence notre compréhension de l'histoire du Québec
l'est tout autant.
Dans le livre de Joannon, on ne perd jamais de vue la dimension proprement irlandaise
(à la fois la perspective de la majorité catholique et celle de la minorité protestante), les
dimensions qui naissent du rapport entre l'Irlande et l'Angleterre, l'Irlande du Nord et
l'Angleterre, l'Irlande et le monde celte, l'Irlande et le monde catholique, l'Irlande et l'Empire britannique, l'Irlande et sa diaspora, l'Irlande et l'Europe, l'Irlande et le
monde.
Une véritable synthèse
Un récit qui incorpore les dimensions politique, économique, intellectuelle et culturelle
est fort complexe et en conséquence sa lecture peut devenir lourde. On pourrait être
tenté de laisser de côté certaines dimensions, par exemple les dimensions culturelle et
intellectuelle pour se concentrer sur le politique et l'économique. Or, toutes ces
dimensions se nourrissent les unes les autres. Les faits politiques et économiques de
l'histoire du Québec ne se produisent naturellement pas en dehors de tout contexte
culturel et les individus qui animent nos mouvements sociaux et dirigent nos
institutions n'agissent pas sans recevoir l'influence de milieux intellectuels particuliers.
C'est une synthèse vraiment complète que nous livre Pierre Joannon dans son Histoire
de l'Irlande et des Irlandais et pourtant la lecture demeure étonnement aisée. Je crois
qu'il doit être possible d'accomplir la même chose pour le Québec.
Les factions et leurs discours
Il ne sert à rien de se cacher que l'histoire du Québec est celle d'une lutte politique
soutenue entre deux nationalismes et que les partisans de l'un et l'autre se subdivisent
en différentes factions issues de milieux sociaux variés et qui expriment des
philosophies politiques, chérissent des idéaux et promeuvent des intérêts forts divers et
souvent conflictuels. Pour exposer l'histoire du Québec avec le détachement qu'exige
l'intelligence du lecteur contemporain, qui veut plus savoir et comprendre que juger, il
faut que l'historien présente un compte-rendu neutre des discours et des actions des
différentes factions qui animent notre débat constitutionnel et national depuis 1763.
C'est d'ailleurs à partir de 1763 que l'histoire du Québec et l'histoire de l'Irlande se
rejoignent à pratiquement tous les niveaux. Nous, les Québécois, rattrapons en quelque
sorte les Irlandais dans leur sort de vaincus et d'exclus de l'Histoire. À la lecture du
livre de Joannon, il ressort que les Irlandais sont fondamentalement divisés dans leurs
allégeances politiques, religieuses et idéologiques suivant les mêmes démarcations que
chez nous. La différence entre leur histoire et la nôtre, surtout à partir du dix-neuvième
siècle, ne se trouve qu'au niveau du scénario, du nom des acteurs et des décors, car les
rapports de force, les thématiques et la mise en scène sont pratiquement identiques.
Ce que Joannon fait bien dans son livre concernant ces factions politiques qui
ressemblent fort aux nôtres c'est de leur accorder la place qui leur revient et de
n'adopter le vocabulaire d'aucune d'entre elle. Les discours politiques et identitaires
sont restitués à leurs auteurs et le lecteur perçoit la réalité au travers de ce que je
nommerais le compte-rendu objectif mais critique d'un affrontement total entre deux
sociétés.
Si par exemple nous appliquions à notre cas le procédé employé par Joannon dans son
livre, on ne nous parlerait pas des patriotes d'un côté et des bureaucrates de l'autre. On
tenterait plus justement de nous expliquer que les patriotes se désignaient eux-mêmes
sous le nom de patriotes et nommaient leurs adversaires bureaucrates, terme péjoratif parmi d'autres. Ceux que les patriotes nommaient bureaucrates se désignaient
eux-mêmes sous le nom de loyal British subjects, tout comme les patriotes d'ailleurs, et
nommaient leurs adversaires French ou French Canadians. On se pensait loyal et
patriote des deux côtés, mais la patrie n'était pas la même et les conditions d'allégeance
non plus. C'était rigoureusement la même chose en Irlande à la même époque. Après
avoir expliqué cela au lecteur, après lui avoir montré la couleur du langage de l'époque,
l'historien devrait se départir de tout vocabulaire connoté et ne parler, par exemple,
que du parti populaire et du parti du gouvernement. L'emploi d'un tel vocabulaire,
dénoté et non connoté, m'apparaît nécessaire à l'effort de détachement de l'historien
qui veut expliquer sans prendre parti.
À propos d'une autre époque de notre histoire, on nous parle encore de nos jours des
réformistes et des radicaux comme si les radicaux n'avaient pas été eux aussi des
réformistes. Il est évident qu'un parti tentait de se montrer modéré et raisonnable et de
dépeindre son adversaire comme immodéré et déraisonnable. Encore une fois, il serait
plus judicieux et plus respectueux de l'intelligence du lecteur de ne pas emprunter le
vocabulaire partisan des uns ou des autres.
Deux nations, deux histoires
Les deux groupes nationaux qui revendiquent le droit de former une majorité politique
autonome sur le territoire du Québec ont une histoire commune plutôt mince. Il s'agit
en fait de deux histoires qui se chevauchent. L'histoire du Québec en tant que territoire
doit nécessairement être détachée du récit national que tentent de construire, sur des
territoires qui se chevauchent et en plus changent de frontières, les deux groupes
nationaux, toujours en concurrence aujourd'hui.
Pour raconter l'histoire du Québec sans adopter la perspective particulière d'une
nation, il n'y a pas d' autre choix que de raconter, en parallèle, l'histoire de la nation
québécoise (1608 - ) et de la nation canadienne (1867 - ). Ce n'est certes pas facile,
mais Joannon y arrive admirablement dans le cas de l'Irlande.
Le peuple chez lui et en exil

Et oui, nous avons une diaspora québécoise. Elle est pas mal grosse à part de ça. Nous
n'avons peut-être pas aujourd'hui la volonté politique d'entretenir une conscience
diasporique auprès de ces Americans et Canadians dont les ancêtres venaient du
Québec franco-catholique, mais ces personnes existent quand même et leur histoire se
rattache et se confond en grande partie avec celle des Québécois qui habitent le
Québec.
Sous motif de raconter l'histoire d'une nation redevenue territoriale depuis 1967, a-t-on
oublié le peuple québécois en exil sur le reste du continent?
Plus que jamais, nous avons besoin d'une synthèse historique du Québec et de son
peuple, chez lui et en exil.



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2 commentaires

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    21 octobre 2011

    Vaste programme que celui là. Il suppose que l'on prenne une certaine distance par rapport au sujet pour en venir à objectiver l'histoire.
    Quel en serait le but, sinon trouver des réponses utiles au défi existentiel qui se pose à la nation québécoise, et elle ne sont pas académiques. En fait il n'y a qu'une question qui importe vrament: Qu'est-ce qui fut nécessaire pour qu'apparaisse,se développe et existe encore une nation française en Amérique. (je suis un pur et dur de l'ontologie)
    La réponse: Un État pour préserver sa cohésion nationale. (demi État, annexé, mais État tout de même)
    Le fil conducteur de notre histoire est donc l'édification (la genèse) de notre État.
    J'ai participé avec quelques amis à une expérience qui visait justement à tester une quarantaine de professeurs d'histoire (universitaires) sur le thème de l'État.
    Nous leur avons fait suivre par courriels les questions suivantes: L'État du Québec existe il, si oui, depuis quand ?
    Nous avons reçu une dizaines de réponses en retour. Tous disparates; allant de la négation de l'existence de l'État, à oui il existe mais, et là les dates diffèrent de un à l'autre tant qu'à son apparition.
    Un seul a donné une réponse conséquente: L'État n'est pas ma spécialité.
    En fait la discipline qui fait de l'État son principal objet d'étude est la géopolitique !
    Donc notre réflexion se poursuit afin d' identifier les temps forts de la genèse de notre État; et de les décoder à partir des statuts et principes de la géopolitiques.
    Le but de l’exercice n'est pas académique. Il s'agit de faire surgir une doctrine d'État, indispensable pour comprendre le contexte, la situation, la stratégie à suivre afin de faire aboutir la genèse de l'État vers sa finalité: Statut de souveraineté.
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    21 octobre 2011

    Pour faire une synthèse de l'ampleur de celle que vous préconisez selon le modèle que vous donnez en exemple, je ne crois pas qu'il faille en confier la rédaction aux historiens patentés de type Létourneau...
    Si vous n'avez pas le goût ni l'intention de relever ce défi vous-même, la seule manieur de plume qui je pense serait en mesure de le faire, parce qu'il possède le talent, la substance et la profondeur nécessaire, c'est monsieur Beaulieu, Victor Lévy de son prénom.
    Après quoi il pourrait en effet être proposé pour recevoir le prix Nobel qu'il mérite amplement comme le pensent bien d'autres.