Harper exige des excuses du Globe

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail


par Joël-Denis Bellavance, Tristan Péloquin et Denis Lessard

[->2009]
La vague d'indignation soulevée par la chronique de Jan Wong, du Globe and Mail, a gagné Ottawa, hier. Les Communes ont adopté à l'unanimité une motion exigeant des excuses de l'influent quotidien torontois. Dans son texte sur la tragédie de Dawson, Mme Wong soutient que Kimveer Gill, Valery Fabrikant et Marc Lépine, tous trois des immigrés, ont été exclus par la majorité québécoise «pure laine». La journaliste n'en est pas à sa première charge contre le Québec, sa province natale.
Craignant que la charge d'une journaliste du Globe and Mail qui attribue aux tensions linguistiques les trois fusillades survenues au Québec depuis 1989 ne soit l'étincelle d'une nouvelle crise d'unité nationale, le premier ministre, Stephen Harper, a dénoncé à son tour hier ces propos controversés publiés samedi dans le quotidien torontois.
À l'instigation du député libéral de Bourassa, Denis Coderre, la Chambre des communes a aussi mis son grain de sel dans cette controverse qui prend de plus en plus d'ampleur en adoptant une motion demandant à la journaliste Jan Wong et au Globe and Mail de présenter des excuses «au peuple du Québec» au sujet des «remarques offensantes» publiées dans la foulée de fusillade survenue au collège Dawson.
Après le premier ministre Jean Charest, qui a envoyé une lettre mardi au quotidien dans laquelle il a exigé des excuses et s'est dit «choqué et déçu par cette analyse sectaire», Stephen Harper a décidé de prendre sa plume pour dénoncer à son tour les propos incendiaires.
Dans son texte, Mme Wong a soutenu que les fusillades survenues à Polytechnique en 1989, à Concordia en 1992 et à Dawson la semaine dernière étaient le résultat de la marginalisation et du racisme des «pure laine» dont seraient victimes les anglophones et les immigrants au Québec depuis l'adoption de lois en matière linguistique.
Par ce geste rarissime, le premier ministre tente ainsi de désamorcer cette controverse avant qu'elle ne cause de nouvelles tensions entre le Québec et le reste du Canada. Il souhaite éviter que cette affaire ne devienne un autre symbole brandi par les souverainistes pour faire avancer leur cause, comme l'a été le piétinement du drapeau québécois par des Ontariens à Brockville, en 1990.
Hier, le chef du Parti québécois, André Boisclair, a d'ailleurs fait un rapprochement entre les propos de Mme Wong et l'épisode du fleurdelisé foulé aux pieds par un groupe d'anglophones opposés au bilinguisme officiel en Ontario, il y a 16 ans.
«Argumentation absurde»
Dans sa lettre, M. Harper dénonce sans ménagement la conclusion tirée par Mme Wong. «Si l'auteure a droit à son opinion, l'argumentation avancée est carrément absurde et sans fondement. Sa démarche est non seulement gravement irresponsable, mais cela est faire preuve d'un préjugé inacceptable que d'attribuer la faute de ce drame à la société québécoise», écrit le premier ministre.
«Les Québécoises et les Québécois de toutes conditions, francophones et anglophones, ont été horrifiés par les événements survenus au collège Dawson. De la même façon, les Canadiennes et les Canadiens de toutes conditions ont été bouleversés par l'attaque sauvage et insensée de ce forcené», ajoute M. Harper.
«Il devrait aller de soi que les actes d'un individu isolé ne témoignent pas de l'état d'esprit de sa collectivité ou d'une catégorie de gens. Qu'il s'agisse de la folie meurtrière d'un Marc Lépine, à l'École polytechnique en 1989, ou de Kimveer Gill, au collège Dawson, c'est le geste d'un individu instable. Cela mérite notre condamnation absolue, mais ce n'est pas une excuse pour étaler de tels préjugés sous le déguisement d'une quelconque théorie sociale», conclut-il.
Éditorial du Globe
Mais la principale intéressée a carrément refusé de faire amende honorable, hier. «J'ai mis de l'avant un point de vue dans un article publié dans le Globe de samedi et je le maintiens. Je suis consciente que cela a touché une corde sensible et je comprends pourquoi. De toute évidence, cela a provoqué un débat dans une atmosphère chargée d'émotions à la suite de la fusillade au collège Dawson. Je suis le débat avec intérêt, notamment la lettre du premier ministre Harper. En tant que journaliste, j'aimerais demeurer à l'écart du débat», a-t-elle affirmé dans un échange de courriels avec La Presse hier.
Observant le plus grand mutisme depuis lundi, le rédacteur en chef du quotidien torontois, Edward Greenspon, doit publier aujourd'hui un éditorial pour tenter de calmer la tempête provoquée par son journal. Mais dans un courriel envoyé hier à des lecteurs offensés, le journal a aussi affirmé que Mme Wong avait le droit d'explorer différentes analyses, tout comme le public a le droit d'en contester la pertinence.
«Un torchon»
Durant toute la journée, hier, plusieurs députés ne se sont pas gênés pour s'essuyer les pieds sur le quotidien torontois.
Aux Communes, la députée libérale de Laval, Raymonde Folco, s'est vidé le coeur. «En tant que Canadienne et Québécoise, je suis outrée par ce genre de commentaire ignorant et intolérant. Ces actes violents ont été commis par des personnes malades. (...) Le Globe and Mail devrait avoir honte de publier de tels torchons. J'exige que la direction du journal présente des excuses publiques à tous les Québécois, particulièrement à ceux qui ont été touchés par la récente tragédie de Dawson», a dit Mme Folco.
Tous les députés se sont immédiatement levés pour applaudir ses propos. Le député libéral Denis Coderre est aussi sorti de ses gonds à plus d'une reprise hier devant les journalistes. «En tant que Québécois, je suis tanné de me faire passer pour un sectaire, a-t-il laissé tomber. Il y a un genre de trend. Il y en a deux ou trois (journalistes anglophones) qui se laissent aller dans leur analyse. C'est assez.»
Il a ajouté que les médias, qui constituent le quatrième pouvoir, ont une responsabilité sociale. «On ne peut pas écrire n'importe quoi. Ça ressemble presque à de la littérature haineuse», a encore pesté Denis Coderre.
Le Bloc québécois avait commenté l'affaire, mardi. Hier, le chef Gilles Duceppe a réitéré son indignation. «Ce que je ne peux comprendre, c'est que le rédacteur en chef du Globe and Mail ne présente pas d'excuses. C'est inconcevable», a-t-il dit.
À Québec
À Québec, hier, tous les ministres ont fait écho aux propos virulents tenus de la veille par le premier ministre Jean Charest à l'endroit du quotidien torontois.
«Cet article du Globe est aberrant. C'est de très mauvais goût une telle insinuation, a dit Monique Jérôme-Forget, soulignant que cette perception du Québec n'est pas celle de l'ensemble du Canada anglais. La journaliste a manqué de jugement, elle portera longtemps cet article sur ses épaules.»
De son côté, le chef du Parti québécois, André Boisclair, a soutenu que les propos récents de Jan Wong ainsi que ceux de la journaliste Barbara Kay sur le «Québecistan» dans le National Post sont autant de «dérives intellectuelles qui témoignent d'un mépris réel à l'endroit des Québécois».
La publication des textes provocateurs à l'endroit des Québécois est devenue, selon lui, une pratique courante au Canada anglais.
Du jamais vu!
D'abord, un premier ministre provincial qui demande une rétractation, suivi d'un premier ministre fédéral qui qualifie les propos d'une journalistes de «grossièrement irresponsables», le tout couronné par une motion unanime de la Chambre des communes exigeant des excuses. De mémoire d'homme, on n'a jamais vu les politiciens canadiens s'acharner aussi vigoureusement contre la parole d'un citoyen.
«Je ne suis pas historien, mais c'est certainement une des séquences les plus inusitées que j'ai vue pour ce genre de situation, affirme Daniel Weinstock, directeur du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal. Et au bout du compte, aussi détestables que soient les propos de Mme Wong, je ne suis pas certain que la Chambre des communes soit la bonne instance pour régler ce genre de problème.»
Selon la tradition découlant du Bill of Rights anglais de 1689, les députés canadiens ou québécois ont le droit d'adresser des blâmes contre des citoyens qui ont porté atteinte à leur intégrité ou à leur honneur.


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