Guerre de drapeaux

Géopolitique — Proche-Orient


Depuis le début de la crise au Liban, on a vu apparaître dans les rues de Montréal des voitures arborant le drapeau du pays du Cèdre. D'autres, plus rares, affichent celui d'Israël. Après les débordements festifs de la Coupe du monde, l'application à un conflit armé d'une tradition qu'on croyait associée au sport a quelque chose de troublant. Et si c'était plutôt le sport qui s'inspirait de la guerre ?
Durant la Coupe du monde, Alicia, 4 ans, prenait un plaisir fou à reconnaître les drapeaux dressés sur les voitures. «On lui a expliqué que c'était pour le sport du ballon rond», raconte son beau père, Jean-François Dupont-Viel. Depuis quelques semaines, le Montréalais croise des autos arborant des drapeaux du Liban ou d'Israël. Il craint qu'Alicia ne prononce ce mot: «Pourquoi?»
«La guerre n'est pas un sport. S.V.P., enlevez donc vos drapeaux», écrit M. Dupont-Viel dans une lettre ouverte qu'il a fait parvenir à La Presse. «Je comprends que des gens veulent appuyer un peuple mais quand il y a des victimes innocentes, où est la fierté?»
«Le sport, comme la guerre, est une manifestation du nationalisme», souligne pour sa part le philosophe du sport Jean-François Doré. «Non, la guerre n'est pas un sport, mais le sport est un dérivé de la guerre.»
Les drapeaux étaient en tête des armées, bien avant qu'on les sorte dans les manifestations sportives, rappelle-t-il. «Et tous les sports, quels qu'ils soient, sont des dérivés d'exercices militaires. La course à pied, le tir à l'arc, le football, la boxe, le marathon, l'escrime, la natation...»
Nombreux sont les sociologues, politologues et philosophes qui s'intéressent aux rapprochements qu'on peut faire entre le sport et la guerre, ou entre le sport et la politique.
Jean-François Doré est l'auteur du livre Y en aura pas de facile, 10 clichés du sport et leurs racines philosophiques, paru en 2003. Il y décortique 10 clichés utilisés par les observateurs sportifs, comme «donner son 110%», par exemple. L'ancien animateur de la Première Chaîne de Radio-Canada planche sur la suite, intitulée Ceci est un tout nouveau match...
«Le vocabulaire militaire est omniprésent dans le sport. Surtout dans ceux qui comportent des face-à-face, explique l'auteur. On parle d'attaques, de défensive, de guerre de tranchées, de duel de titans... Le principe est antagonique: l'un contre l'autre. Il y a un gagnant et un perdant.» Bien des noms d'équipe ont également une connotation guerrière. Que ce soit les Raiders, les Titans, les Giants ou les Spartiates.
D'ailleurs, les principes du football américain sont inspirés de stratégies militaires. Le blitz - signifiant «éclair» en allemand-, survient quand plusieurs joueurs se ruent massivement vers le quart-arrière de l'équipe adverse. À l'origine, le blitz est la tactique allemande qu'a utilisée le bras droit d'Hitler, Hermann Göring, durant la Deuxième Guerre mondiale, pour bombarder massivement Londres.
Et l'origine du marathon? La légende veut que le tout premier marathonien, Philippidès, ait été un messager grec qui avait couru de Marathon à Athènes pour rapporter la victoire des Grecs contre les Perses. La distance qu'il avait parcourue: 42 km. La distance d'un marathon: 42 km.
«Chez les Grecs, l'éducation physique servait à préparer les athlètes pour les combats militaires», souligne Jean-François Doré. Des cités de la Grèce - des sortes de cités-États - s'affrontaient lors des premiers Jeux olympiques antiques. Des cités qui étaient très souvent en guerre. Lors des Jeux, il y avait trêve.
Identité et nationalisme
Les «équipes» avaient des étendards des cités qu'ils représentaient. Les Athéniens s'identifiaient à leur équipe comme les Montréalais s'identifient au Canadien, signale Jean-François Doré.
«Par le sport, les gens font valoir leur identité» poursuit la sociologue du sport Christine Dallaire, qui enseigne à l'Université d'Ottawa. À Montréal, par exemple, il existe des clubs ethniques de soccer. «Le gouvernement investit dans le sport pour des questions d'identité», signale Mme Dallaire. D'après une étude du centre de recherche Décima, réalisée pour le compte du lobby GSI (Groupe le sport est important), 90% des Canadiens considèrent que le sport contribue à l'identité canadienne. Et sept répondants sur 10 se sentent fiers d'être canadiens en voyant un athlète du pays dans un événement sportif international.
Mais de plus en plus, les «identités sont marchandisées», souligne Christine Dallaire. Au soccer, l'équipe de Manchester United bénéficie d'un important budget de marketing, ce qui attire beaucoup de fans. Parmi les internautes qui visitent le Manutd.com, 60% ne sont pas anglais. Beaucoup proviennent des États-Unis et de la Chine.
En juin dernier, avant la Coupe du monde, plusieurs médias ont parlé de la «guerre commerciale» que se livraient Adidas et Nike. Encore une fois, on faisait un rapprochement entre le sport et la guerre. Le journaliste américain Franklin Foer a par ailleurs publié le livre How Soccer Explains the World. «Autant le sport peut mener à la paix, autant il peut attiser des rivalités», démontre-t-il.
Jean-François Dupont-Viel préfère expliquer à un enfant les conséquences d'un match de soccer plutôt que les conséquences de la guerre. Car comme l'écrivait le politologue Pascal Boniface dans les pages Forum de La Presse, au football «l'élimination d'un adversaire est toujours temporaire. Un match de retour est toujours possible».


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