Grippe A : « La France s'est fait piéger par les laboratoires »

Le rapport de la commission d'enquête du Sénat dénonce les largesses du gouvernement envers l'industrie pharmaceutique.

L'Empire - la fabrication de la PEUR




Par Julien Martin - Le rapport de la commission d'enquête du Sénat dénonce les largesses du gouvernement envers l'industrie pharmaceutique.
Après le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qui parlait le 13 juillet d'« échec de santé publique », voici le rapport de la commission d'enquête du Sénat. Initiée par le groupe communiste et le Parti de gauche, mais composée de vingt sénateurs de la majorité et de l'opposition, elle a rendu ses conclusions ce jeudi.
Des conclusions au moins aussi sévères, concernant notamment les contrats passés entre les Etats et les laboratoires pharmaceutiques :
« L'étude des contrats passés entre les autorités sanitaires et les industriels, en France comme ailleurs, peut conduire à se demander si les autorités publiques se sont montrées assez soucieuses de garder la maîtrise de la gestion des crises qui doit être la leur.
Il semble en effet qu'aient été acceptées des clauses qui n'auraient pas dû l'être et qui font craindre que les gestionnaires de certaines entreprises aient un peu oublié la conscience aiguë des problèmes de santé publique qui caractérisait autrefois le secteur du vaccin, pour laisser prévaloir des considérations excessivement commerciales.
Il faut se demander par ailleurs si les autorités publiques ont, de leur côté, eu un souci suffisant de la rédaction de documents contractuels dont la rigidité pouvait leur interdire d'adapter leur action à l'évolution de la réalité du terrain. Trois points ont été, à cet égard, particulièrement problématiques :

1. l'impossibilité de réviser les contrats en fonction de l'évolution du schéma vaccinal ;

2. le transfert à l'Etat de la responsabilité des producteurs, qui semble être plus large qu'on ne l'avait souhaité ;

3. l'absence totale de maîtrise des approvisionnements, dont la prévisibilité et la régularité insuffisantes auraient pu, dans une autre situation, avoir des conséquences sérieuses. »

96 000 morts prédits en France, 312 survenus
La France -et à travers elle la ministre de la Santé Roselyne Bachelot- est cependant particulièrement visée, en raison des contrats signés en juillet et août 2009 pour 94 millions de doses… puis l'annulation de la commande de 50 millions d'entre elles en janvier 2010 et le paiement d'indemnités de rétraction. Il faut dire, note LePoint.fr, que « l'Institut de veille sanitaire avait prédit jusqu'à 96 000 morts en France, alors qu'on en a dénombré 312 ».
Le sénateur du Parti de gauche François Autain, rapporteur et président de la commission d'enquête, se montre offensif :
« La France, malheureusement, fait partie de ceux qui se sont fait piéger par les laboratoires, contrairement à l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, qui eux ont su très bien tenir bon, jouer leur carte et, finalement, ne se sont pas retrouvés dans la situation très délicate dans laquelle le gouvernement français s'est retrouvé. » (Voir la vidéo de Senat.fr)



Longtemps restés secrets, les contrats n'ont été portés à la connaissance du public que grâce à « l'action de la presse », explique le même sénateur. Rue89, qui en avait demandé la communication à l'époque, avait en effet d'abord reçu lesdits contrats avec nombre de mentions effacées, avant de parvenir à se les procurer dans leur intégralité.
« Un climat de soupçon qui n'est pas bon à l'OMS »
Contacté par Rue89, le ministère de la Santé dit pour l'heure « prendre acte et étudier le rapport ». Mais ce n'est pas la seule institution attaquée par la commission d'enquête, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est également décriée dans le rapport :
« Inévitablement, la pandémie déclarée le 11 juin 2009 ne fut pas celle qu'on attendait. La déclaration de la pandémie de grippe A (H1N1), considérée d'emblée comme de gravité modérée, a surpris puis suscité de nombreuses critiques à l'encontre de l'OMS, soupçonnée à tout le moins d'avoir surestimé le risque et engagé les Etats membres dans des dépenses qui auraient pu être mieux employées.
Ces critiques doivent l'être, en premier lieu, par l'OMS elle-même et lui inspirer le souci de juguler un certain “lobbying” interne qui peut être très préjudiciable à son action et à son image. »

Comme la France, l'OMS est accusée d'avoir été sous le joug des laboratoires. « Pour l'industrie pharmaceutique, la déclaration d'une pandémie était vitale », poursuit François Autain, qui dénonce « un climat de soupçon qui n'est bon », à cause des liens entre les experts consultés et les laboratoires.
Des « liens financiers » également pointés par son collègue UMP Alain Milon. (Voir la vidéo de Senat.fr)



Photo : Roselyne Bachelot lors d'une conférence de presse sur la grippe A à Paris, le 20 octobre 2009 (Benoît Tessier/Reuters)
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