Grille de sélection des immigrants - Les nouveaux arrivants non francophones peuvent être francisés

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Être « francisé », c'est bien plus que baragouiner la langue et manger de la poutine

Récemment, dans la Gazette officielle du Québec, la ministre Diane De Courcy annonçait que son ministère modifiait les critères relatifs à la connaissance linguistique des aspirants immigrants au Québec, qui entrera en vigueur dès le 1er août prochain. Cette modification à la grille de sélection de nos immigrants fera en sorte qu’aucun point ne sera accordé pour la connaissance du français ou de l’anglais si le niveau de langue du demandeur est inférieur au niveau intermédiaire. Au premier regard, cette mesure est positive et fera en sorte que plus d’immigrants arriveront ici en parlant déjà un français fonctionnel. Le Québec désire pouvoir attirer plus d’immigrants francophones. Dans une nation francophone, c’est un objectif louable et normal, mais devrions-nous le faire au détriment des autres qui, une fois francisés, maîtriseraient aussi la langue officielle ?
En outre, on peut se questionner à d’autres égards. Par exemple, cette politique exclura-t-elle des nouveaux arrivants ne maîtrisant pas le français ou provenant de bassins où l’accès au français est plus difficile, par exemple d’Amérique latine ou de certains pays d’Europe ? Pourtant, le français, bien qu’il soit un facteur prédominant dans l’intégration de nos immigrants, n’est pas le seul que nous devrions prendre en considération. Bien entendu, si un immigrant ne connaît pas la langue d’un pays où il vit, son intégration est pratiquement impossible. À l’inverse, on peut aussi être francophone et avoir des codes culturels tellement différents qu’on ne pourra jamais s’intégrer. Enfin, devenir Québécois peut ne pas faire partie des projets de ceux qui s’établissent ici.

La langue n’est pas tout

Mais est-ce que le fait de parler la langue de la majorité fait en sorte que l’intégration se fera plus facilement ? Que ces personnes trouveront un emploi dans leur domaine de compétence, pour lequel on les a choisies, plus rapidement que ceux qui doivent passer par la francisation, et ce, même lorsqu’ils commencent au niveau débutant ? Pas tout à fait, plusieurs néo-Québécois, une fois francisés, parviennent à s’adapter très facilement à la société québécoise, à apprendre un excellent français dans les classes offertes au Québec et dénichent un emploi correspondant à leur niveau. Plusieurs ne réussissent pas, mais ceux-ci peuvent même être francophones ou avoir un bon niveau de français : la langue n’est pas tout. Maîtriser l’italien, par exemple, ne fait pas de moi une Italienne.

Il en est de même pour tous ceux qui connaissent une langue par intérêt : vous pouvez maîtriser une langue mais ne pas maîtriser une culture. La langue est une clé qui ouvre la porte sur une société, mais elle ne fait pas en sorte que celle-ci s’ouvre devant nous sans aucun effort. Une bonne dose de curiosité et d’intérêt est nécessaire afin de saisir toutes les nuances d’une société et d’arriver à s’y sentir bien. S’intégrer, cela se fait, bien sûr, d’abord, par la maîtrise du français, langue commune du Québec, mais aussi et surtout par le milieu de travail, pourquoi ne pas faire un travail considérable dans les équivalences de diplômes, par exemple, plutôt que de condamner ceux qui ne parlent pas français à ne pouvoir immigrer ici ? Tous devraient avoir la même chance de pouvoir immigrer ici. Cependant, le gouvernement devrait exiger que ceux qui ne parlent pas français se francisent, à défaut d’être déjà francophones. Ne nous leurrons pas : plusieurs bassins d’immigrants potentiels n’ont le français ni comme langue maternelle ni comme langue seconde ou étrangère. Sont-ils moins qualifiés pour immigrer ? Est-ce cela que le gouvernement essaie de nous dire ?

Capacités d’intégration

De plus, ce n’est pas parce qu’on partage une langue qu’on est semblables. Plusieurs francophones que nous accueillons ici ont une culture tout à fait différente de la nôtre ; en effet, nous partageons la même langue, mais nos moeurs et traditions peuvent être fort différentes.

Il y a lieu de se pencher sur l’intégration à notre société des immigrants parlant déjà notre langue. Je pense qu’on devrait augmenter l’importance accordée aux capacités d’intégration que possèdent les gens à s’adapter au Québec. Bref, peu importe d’où les immigrants viennent ou en ce qu’ils croient, l’important est qu’ils aient un désir de se joindre à nous, de s’acclimater au Québec, de manifester leur désir de devenir Québécois ainsi que de partager nos projets d’avenir, dont ils font maintenant partie, qu’ils soient enclins à adopter nos modes de vie, afin de ne pas vivre isolés et pouvoir se trouver une place sur le marché du travail.

En tant que société, nous devons nous demander pourquoi certaines communautés, francophones ou pas, n’arrivent pas à s’intégrer et identifier des solutions qui nous permettront une cohésion sociale, en français, langue commune, mais aussi dans le succès de l’intégration, domaine qu’on oublie le plus souvent au Québec. Accueillir de nouveaux arrivants et les sélectionner selon différents critères, dont la maîtrise du français est relativement facile. En revanche, s’occuper de leur intégration semble ardu : ne pourrions-nous pas commencer à travailler de ce côté ? Bien sûr, cela entraîne des frais, mais intégrer des gens, ce n’est pas gratuit, et ce n’est surtout pas un domaine dans lequel nous devrions tenter d’économiser. Cela va de soi, ne sélectionner que des gens maîtrisant le français entraînera une réduction des dépenses dans la francisation, qui coûte évidemment cher, soit environ 7000 $ par année par immigrant - en commission scolaire, par exemple -, mais ça « vaut le coût » lorsque nos nouveaux arrivants parviennent à refaire leur vie parmi nous.

La vraie question que nous devrions nous poser, si nous coupons toujours en francisation, par exemple, c’est si nos seuils (près de 55 000 immigrants par année) sont trop élevés : si nous n’avons même pas les moyens de les franciser, avons-nous les moyens d’intégrer autant de gens ? C’est bien sûr une question délicate, mais elle mérite d’être posée et étudiée.
Tania Longpré - Enseignante de francisation aux adultes immigrants, auteure de «Québec cherche Québécois pour relation à long terme et plus», Stanké, 2013


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