Gilles Vaillancourt, gangster ?

L’ancien maire de Laval est accusé de gangstérisme. Après avoir rencontré 150 témoins, mené plus de 70 perquisitions et capté plus de 30 000 conversations d’écoute électronique, l’UPAC arrête 37 personnes

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Une retraite derrière les barreaux en perspective pour le « roi » de Laval

Il avait inauguré en tant que maire le palais de justice de Laval en 1992 : jeudi, c’est menottes aux poignets que Gilles Vaillancourt a franchi le pas de l’édifice, accusé en bonne et due forme d’être un chef de gang criminel. L’ancien « roi de Laval » a été arrêté par l’Unité permanente anticorruption (UPAC) avec 36 présumés complices au cours d’une rafle sans précédent qui a eu l’effet d’une bombe.
M. Vaillancourt est considéré comme la tête dirigeante des stratagèmes de collusion et de corruption « bien établis » à Laval depuis sa première élection à la mairie, en 1989, et même avant. Les accusations déposées jeudi concernent différents événements survenus entre 1996 et 2010.
Gilles Vaillancourt est notamment accusé d’avoir chargé des membres d’une organisation criminelle de commettre des crimes au profit du gang — en somme, il aurait agi comme chef d’un groupe criminel (article 467.13 du Code criminel, passible d’une peine d’emprisonnement à vie).
L’ex-directeur général de la Ville, Claude Asselin, et l’ex-directeur général de l’ingénierie, Claude Deguise, auraient agi sous ses ordres, ce qui leur vaut à eux aussi des accusations de gangstérisme (article 467.12).
Les trois hommes ont comparu en milieu d’après-midi au palais de justice de Laval. Ils ont tous les trois été remis en liberté, moyennant certains engagements. Ils devront revenir en Cour le 10 juillet, comme les 34 autres accusés.
Vêtu d’un costume gris anthracite et d’une chemise bleue ouverte au col, Gilles Vaillancourt a fait son entrée dans la salle d’audience à 15 h 48. Il avait le regard bas et l’air passablement déconfit. C’est son avocate, Nadine Touma, qui a répondu aux questions en son nom. M. Vaillancourt n’a fait qu’un commentaire à la juge, pour préciser qu’il n’avait pas d’armes, « même pas un pistolet à eau ».
Quelque deux heures plus tard, il avait ajouté une cravate à son costume au moment de faire une brève déclaration aux médias. « Je vais consacrer tout mon temps à prouver mon innocence, a-t-il dit. Je pense que j’ai de très bons arguments à soumettre au tribunal. » M. Vaillancourt a demandé à ce que sa vie privée soit respectée, puisqu’il est « redevenu un homme privé ». Il n’a répondu à aucune question.
Au final, le directeur des poursuites criminelles et pénales a autorisé 18 chefs d’accusations criminelles contre les 37 individus arrêtés. « Essentiellement, on parle de complot pour actes de corruption dans les affaires municipales, d’abus de confiance, de complot pour fraudes, de fraudes à l’égard de la Ville de Laval, d’acte de corruption dans les affaires municipales, de recyclage de produits de la criminalité » et de gangstérisme, a résumé Mylène Grégoire, procureure de la Couronne.
Mme Grégoire a précisé que le chef d’accusation qui ne touche que Gilles Vaillancourt — celui associé aux chefs de gang — présente « un degré de gravité supplémentaire ».
Très sérieux
« Ce sont là des chefs d’accusation extrêmement sérieux », avait indiqué plus tôt en journée le commissaire à la lutte contre la corruption, Robert Lafrenière.
En effet, les accusations de gangstérisme sont habituellement réservées aux membres des gangs de rue, de la mafia et des Hells Angels. C’est la première fois au Québec qu’un dossier de corruption municipale est traité comme une affaire de gangstérisme.
En juillet 2012, la Cour suprême avait statué que les « tribunaux ne doivent pas limiter le champ d’application de la définition [d’organisation criminelle] au modèle stéréotypé du crime organisé », prônant une interprétation empreinte de « souplesse ». La loi prévoit qu’une organisation criminelle doit être composée d’au moins trois personnes.
Si les trois présumés complices de Laval sont reconnus coupables à la suite de leur procès, le chef de gangstérisme pourrait doubler la durée de la peine qui leur sera infligée.
« L’opération d’aujourd’hui témoigne de l’ampleur des phénomènes de corruption auxquels nous faisons face. Tous les moyens seront mis en œuvre pour enquêter, détecter et prévenir la collusion et la corruption dans notre système public », a dit M. Lafrenière.
Trois réseaux plutôt qu’un
La corruption et la collusion étaient si bien ancrées à Laval qu’il n’y avait pas un, mais bien trois réseaux distincts en place. Ils étaient formés d’au moins dix entrepreneurs et de 13 ingénieurs ; des facilitateurs (avocats, notaires et un commerçant), et de MM. Vaillancourt, Asselin et Deguise.
L’UPAC a relié les firmes de génie-conseil, les entrepreneurs, les facilitateurs, les fonctionnaires et les élus dans une même boucle. Comme à Montréal, Laval obéissait aux règles d’un marché fermé. Une poignée de firmes se partageaient les contrats en échange de pots-de-vin.
Le service des enquêtes sur la corruption de la Sûreté du Québec (SQ) examinait depuis trois ans l’écosystème lavallois. Les enquêteurs ont rencontré 150 témoins, ils ont mené plus de 70 perquisitions, ils ont capté plus de 30 000 conversations d’écoute électronique et ils ont saisi 480 000 $ en argent comptant.
Les policiers avaient mené une série de perquisitions cet automne dans les deux résidences de M. Vaillancourt, ses coffrets bancaires, à l’hôtel de ville et aux sièges sociaux de Poly Excavation, Louisbourg SBC, Nepcon, J. Dufresne Asphalte Giuliani et Construction Mergard. Chez les ingénieurs, Aecom, Dessau, Genivar et CIMA+ avaient aussi reçu la visite des policiers.
La pression policière avait forcé M. Vaillancourt à démissionner, le 9 novembre dernier, après un règne ininterrompu de 23 ans. « Nous entendons toutes sortes de choses, nous faisons face à des allégations qui, sans être prouvées, altèrent de façon irrémédiable la réputation des gens en qui vous aviez placé votre confiance. Je suis une de ces personnes et je suis profondément blessé », avait-il dit.
L’enquête suit son cours et d’autres arrestations pourraient être réalisées au sein de ces réseaux « bien établis » à Laval. L’UPAC suit notamment la trace de l’argent.

Charbonneau
De nombreux témoins ont confirmé l’existence des stratagèmes à la commission Charbonneau, dont l’entrepreneur Lino Zambito, ex-patron d’Infrabec. L’ancien vice-président de Dessau, Rosaire Sauriol, a indiqué qu’il en aurait « long à dire » sur Laval, mais il a été interrompu dans son élan.
La commission ne voulait pas nuire à l’enquête de l’UPAC, et elle a retardé l’étude du cas lavallois. Les arrestations lui donnent maintenant les coudées franches. Le directeur général de Laval, Gaétan Turbide, et son adjoint, Jean Roberge, ont déjà reçu leurs citations à comparaître devant la commission Charbonneau.
MM. Turbide et Roberge sont abondamment cités dans l’acte d’accusation comme des coconspirateurs. Ils ne sont pas visés par les accusations, ce qui donne à penser qu’ils ont offert leur collaboration à la police.
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Qui sont-ils ?
Les réseaux de corruption et de collusion à Laval reposaient sur des poids lourds de la politique, du génie-conseil et de la construction. Portrait des principaux accusés.

Gilles Vaillancourt. Maire de Laval de 1989 à 2012, il était la cible principale des enquêteurs. Il est le seul à être accusé d’avoir chargé ses présumés complices de faire des infractions au profit d’un gang, entre 2002 et 2010, ce qui en fait de facto la tête dirigeante présumée.
Claude Asselin et Claude Deguise. Respectivement ex-directeur général et ex-directeur général de l’ingénierie, ils auraient opéré sous les ordres de M. Vaillancourt, ce qui leur vaut des accusations sérieuses de gangstérisme. M. Asselin est employé par Dessau.
Rosaire Sauriol. L’ex-président de Dessau a dit à la commission Charbonneau qu’il en avait « long à dire » sur Laval. La firme dominait le marché de l’île de Jésus, à telle enseigne que certains concurrents, tels que Roche et Génius, avaient abandonné Laval.
François Perreault. Le vice-président de Genivar a démissionné avant son témoignage à la commission Charbonneau. Il a confirmé l’existence à Laval d’un système de partage des contrats entre les firmes de génie-conseil.
Yannick Bouchard. Le vice-président de Genivar a quitté la firme en novembre 2012, après avoir organisé un cocktail de financement controversé pour l’ex-ministre libérale, Line Beauchamp. Un membre de la mafia, Domenico Arcuri, faisait partie des invités. De 2003 à 2008, il a dirigé le bureau de Genivar à Laval.
Serge Duplessis. Ingénieur chez Dessau, il a été suspendu après son arrestation pour fraude à Mascouche, en compagnie de l’ex-maire Richard Marcotte et d’une douzaine de présumés complices. Selon le témoignage de Michel Lalonde à la commission Charbonneau, M. Duplessis était impliqué dans le partage des contrats avec Rosaire Sauriol.
Louis Farley et Yves Théberge. Ils sont tous deux vice-présidents chez CIMA+, une firme qui a obtenu d’importants contrats à Laval.
Tony Accurso. Patron de Louisbourg et Simard Beaudry jusqu’à tout récemment, le timonier du Touch n’a plus besoin de présentations. Il est déjà accusé de fraude dans deux dossiers distincts à Mascouche (avec l’ex-maire Marcotte) et à l’encontre de Revenu Canada.
Anthony, Mike et Ronnie Mergl. Propriétaires de Nepcon, ils ont d’importants liens d’affaires et d’amitié avec le clan Vaillancourt. Anthony Mergl est le beau-frère du conseiller et président de la Société de transport de Laval (STL), Jean-Jacques Beldié. Nepcon a obtenu d’importants contrats de la STL.
Valmont Nadon, Giuliano Giuliani, Marc François, Jocelyn Dufresne, Giuseppe Molluso, Claude et Guy Desjardins. Les sept entrepreneurs sont fort actifs à Laval, dans le pavage et les égouts. La plupart ont été ciblés par les perquisitions de l’UPAC cet automne.
Pierre Lambert. Avocat au sein du cabinet Dunton Rainville, fort présent en droit municipal. Il est le représentant de l’OBNL qui dirige la Place Bell, dans laquelle 80 millions de fonds publics ont été investis à l’abri des regards.
Jean Bertrand. L’avocat a agi à titre d’agent officiel du PRO des Lavallois, le défunt parti de M. Vaillancourt. Il était aussi solliciteur et il recourait aux prête-noms, selon des témoins du monde des affaires. Sous sa supervision, le parti s’est fait rembourser au moins 1,1 million pour des activités de nature partisane qui ont été déclarées comme des dépenses de recherche et de secrétariat. Des fonds publics ont également servi pour les dépenses personnelles de Me Bertrand.
Guy Vaillancourt : le frère de l’ancien maire était le président des meubles Vaillancourt, la compagnie familiale qui a déclaré faillite. Elle avait fait l’objet d’une enquête pour fraude classée sans suite, en 1982.


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