Gaz de schiste: précipitation et laxisme

Le commissaire au développement durable blâme sévèrement le gouvernement Charest

Le Québec et la question environnementale



La ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Nathalie Normandeau, et le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Pierre Arcand.
Photo : Pedro Ruiz - archives Le Devoir




Louis-Gilles Francoeur - C'est un blâme retentissant qu'a adressé hier le commissaire au développement durable, Jean Cinq-Mars, au gouvernement Charest pour sa préparation et sa gestion du dossier des gaz de schiste, enlisé dans une supervision bicéphale inefficace qui a donné tous les feux verts demandés par l'industrie sans pour autant contrôler ses activités à la trace et au bon moment. Et sans vérifier préalablement si tout ce jeu valait la chandelle, qui a plutôt allumé une véritable crise sociale.
Le rapport du commissaire Cinq-Mars, produit dans le cadre des travaux du vérificateur général du Québec, conclut en effet que les ministères du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) d'une part, et des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) d'autre part, «ne sont pas encore parvenus à s'organiser adéquatement pour encadrer l'industrie» du gaz de schiste et à lui appliquer les principes de la Loi sur le développement durable.
Un autre des cinq volets de ce rapport indique que l'Environnement applique avec mollesse sa loi à l'ensemble du secteur industriel québécois, qu'il suit peu l'application de ses exigences légales et laisse à des entreprises jusqu'à cinq, dix, voire douze ans avant de se conformer à ses directives.
Selon le commissaire, même les recommandations du rapport du vérificateur général de 2009 sur le secteur minier québécois n'ont pas eu suffisamment de suites en 2010. Il avait alors démontré comment le secteur minier évitait de payer des centaines de millions dus à la collectivité.
Aujourd'hui, écrit le commissaire Cinq-Mars, les industriels du gaz de schiste profitent du laxisme du MRNF pour en payer le moins possible au trésor, grâce à une réglementation faiblarde, pleine de trous et qui ne garantit pas aux citoyens que les dépenses encourues par la collectivité sont couvertes par les redevances et permis.
Pour le commissaire, la pertinence de développer l'industrie du gaz de schiste n'a pas encore été faite, un enjeu qui avait été amputé du mandat confié au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). Le commissaire demande aujourd'hui au gouvernement Charest «d'analyser les bénéfices et les coûts économiques, sociaux et environnementaux liés au développement des gaz de schiste pour la société selon différents scénarios basés sur des hypothèses réalistes afin d'aider les décideurs dans leurs décisions».
Pour l'instant, poursuit Jean Cinq-Mars, le peu de cas que font les deux ministères de la Loi sur le développement durable explique que leurs interventions «n'assurent pas [...] un juste équilibre entre les intérêts de la société, des communautés locales et de l'industrie». Une des raisons, ajoute-t-il, réside dans la survie en plein XXIe siècle de la vétuste Loi sur les mines, dont dépendent le gaz et le pétrole jusqu'à nouvel ordre.
Le commissaire note aussi, tout comme le BAPE, le manque «d'arrimage» entre le développement de cette filière et la planification territoriale par les élus régionaux ainsi que le retard mis par Québec pour consulter et faire participer les citoyens.
Contrôle laxiste
Jean Cinq-Mars stigmatise enfin les «contrôles du MRNF pratiquement inexistants» sur les travaux que doivent réaliser les industriels pour maintenir leurs permis actifs. Ces contrôles dits «statutaires» ne valent pas mieux, ajoute-t-il, que les contrôles censés assurer la sécurité des installations, des travaux à peu près jamais certifiés par un ingénieur qualifié ou ayant droit de pratique au Québec.
Le commissaire constate aussi que les inspections environnementales ne sont ni assez nombreuses, ni réalisées aux moments critiques du tubage et du cimentage des puits, ni analysées et coordonnées entre les deux ministères. Le MDDEP et le MRNF ne se transmettent pas les informations disponibles, n'ont pas développé d'outils ou de guide d'encadrement et n'ont aucun programme interministériel d'acquisition de connaissances, de surveillance ou de contrôle.
Il note que 40 % des dossiers vérifiés par l'Environnement n'appliquaient pas adéquatement les règlements en vigueur, ne contenaient aucun suivi sérieux et ne vérifiaient pas si les avis d'infraction débouchaient sur une conformité réelle à la loi.
Le commissaire reproche enfin à l'Environnement de ne pas avoir exercé ses pouvoirs sur les travaux de complétion des puits avant octobre dernier. Le MDDEP, écrit-il, n'a réalisé que deux inspections durant un forage et trois dans le cas d'une complétion, soit aux moments les plus critiques. Devant la pression publique, il s'est lancé dans les inspections à l'automne dernier, mais sans la moindre grille d'analyse, sans rapport autre que des photos dans certains cas. En clair, Québec «n'a pas l'assurance que les lieux inspectés sont conformes aux exigences légales» malgré les conséquences potentiellement «sérieuses pour l'environnement et la sécurité des personnes».
Réactions
Alors qu'à peu près tous les opposants ont vu dans ce rapport confirmation de leurs pires craintes, sauf la titulaire des Ressources naturelles et vice-première ministre, Nathalie Normandeau, qui se disait «un peu surprise, je vous le répète, d'entendre qu'on est allé trop vite».
Si elle convient qu'il «y a des pratiques plus ciblées sur les enjeux du développement durable qui auraient pu être déployées et développées», elle précise qu'un responsable du contrôle des activités statutaires a été déplacé, que 27 personnes ont été embauchées pour mieux encadrer cette industrie, qu'elle souhaite mettre les municipalités et MRC «dans le coup en amont», qu'un gros comité interministériel a été créé l'automne dernier — que certains au Conseil exécutif appellent la «cellule de crise» — et que son ministère est content d'avoir des recommandations aussi précises en main avant que commence le véritable développement de la filière.
Son critique au Parti québécois, le député Scott McKay, voyait dans ce rapport une véritable «rebuffade», servie à une ministre qui n'a plus, à son avis, «le leadership nécessaire pour mener à bien ce délicat dossier».
Pour l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), le groupe à l'origine du dossier des gaz de schiste, ce rapport «accablant» confirme que la Loi sur les mines est dépassée et que la pertinence de développer cette filière n'a pas été faite avec rigueur et indépendance. Son président, André Bélisle, s'inquiète de constater que Québec ne semble aucunement vouloir mettre fin au contrôle bicéphale du dossier, comme l'a recommandé le BAPE. Nature Québec se disait inquiet de son côté de constater des failles aussi béantes dans la recherche de l'intérêt public face au lobby gazier et minier à la veille de l'annonce du Plan Nord.


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