Qui se souvient du beau geste qu'avait fait le président Jacques Chirac il y a quelques années? L'affaire avait eu un certain retentissement au Québec. Dans une conférence de l'Union européenne où le grand patron français Ernest-Antoine Seillière s'exprimait en anglais, Jacques Chirac s'était levé et avait claqué la porte. C'était pour lui une question de principe: les représentants français devaient s'exprimer en français dans les grands forums internationaux.
Nombreux étaient les Québécois qui avaient applaudi. Ils se réjouissaient que la France se tienne debout et défende la place du français parmi les grandes langues internationales. Tout n'était donc pas perdu dans cette France dont nous sommes par ailleurs si prompts, nous Québécois, à dénoncer le snobisme anglophile. «On ne va pas fonder le monde de demain sur une seule langue et donc sur une seule culture, ce serait une régression dramatique», avait déclaré le président. Ces mots étaient du miel à nos oreilles.
C'était le 24 mars 2006, il y a trois ans à peine. On a pourtant l'impression que cela fait des siècles.
La semaine dernière, ce n'est pas un grand patron français qui est venu parler anglais à Bruxelles, mais bien le premier ministre du Québec lui-même. De passage dans la capitale européenne pour une conférence internationale sur l'environnement, Jean Charest a prononcé un discours dans une langue exotique qui n'est parlée que dans certains quartiers d'Ottawa: le bilingue. L'allocution était pour moitié écrite en anglais et chaque paragraphe en français était inévitablement suivi d'un paragraphe en anglais. Au diable la nette prédominance du français inscrite dans la loi 101. On croyait entendre un fonctionnaire canadien appliquant avec zèle la politique officielle de bilinguisme du gouvernement fédéral. De mémoire de correspondant, on n'avait jamais vu un premier ministre québécois se faire ainsi le porte-étendard du bilinguisme intégral.
Qu'on me comprenne bien. Il ne s'agit pas de reprocher au premier ministre du Québec de parler anglais, et anglais seulement, chaque fois que cela est nécessaire. À l'étranger, Jean Charest prononce souvent des discours en anglais devant des gens d'affaires ou des représentants politiques. Le premier ministre a toutes les raisons de le faire chaque fois que son auditoire ne comprend pas le français. Mais quelle raison avait-il d'agir ainsi dans une ville francophone comme Bruxelles, alors que l'auditoire était largement francophone (comme le prouvait son discours bilingue), que la traduction simultanée était disponible et que la plupart des conférenciers s'exprimaient en français?
Vendredi dernier, la majorité de la centaine de participants réunis au Crown Plaza comprenait parfaitement le français. Bruxelles compte une proportion plus grande de résidants francophones (plus de 80 %) que Montréal et même les employés des organisations internationales peuvent difficilement y vivre sans finir par parler français. De plus, un service de traduction simultanée était disponible.
En fait, le seul conférencier à s'exprimer en anglais, avec Jean Charest, fut le premier ministre du Manitoba Gary Doer. Tous les autres n'ont parlé qu'en français. Ce fut le cas notamment de la représentante de l'Assemblée des régions d'Europe, Michèle Sabban. Contrairement à Jean Charest qui représente une province dont l'unique langue officielle est le français, Mme Sabban représentait pourtant 270 régions européennes réparties dans 33 pays où l'on parle plus d'une trentaine de langues.
Le plus surprenant restait pourtant à venir. Le représentant de la Catalogne devait en effet nous offrir une belle leçon. Le ministre catalan de l'Environnement, Francesc Baltasar i Albesa, avait choisi de parler, non pas en catalan ou en espagnol (les deux langues officielles de la Catalogne), et encore moins en anglais, mais en français. Faudra-t-il dorénavant compter sur les Catalans, plus que sur le Québec, pour défendre le français dans les forums internationaux?
La prochaine fois que Jean Charest passera par Bruxelles, il ne devra pas se surprendre si les organisateurs ont supprimé la traduction simultanée. Si le Québec ne présente pas un visage essentiellement français dans les organisations internationales chaque fois qu'il le peut, on se demande bien qui le fera à sa place. Pourquoi la Francophonie continuerait-elle, par exemple, à dépenser des millions pour former des fonctionnaires francophones dans l'Union européenne et à l'ONU? Faudra-t-il dorénavant compter sur les Catalans... ou sur les Grecs?
On apprenait en effet cette semaine que la chanteuse Nana Mouskouri était montée aux barricades lors de l'inauguration du musée qui vient d'être construit au pied de l'Acropole. En constatant l'absence de présentation en français, elle a aussitôt claqué la porte.
Belle leçon d'humilité.
crioux@ledevoir.com
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