Exit l’Histoire, vive le marché !

La Réforme des lycées, qui se cachait lâchement derrière un brouillard savamment distillé (peur des manifestations lycéennes oblige) n’a pas fini d’asséner ses coups de couteau vicieux.

De la pédagogie à la démagogie




La Révolution culturelle suit son cours dans nos établissements scolaires. Avec le basculement des objectifs, de la transmission des savoirs à l’agitation pédagomaniaque, « science »prétendument dotée de toutes les vertus intégratives, c’est le fonds même de la culture savante qui est en péril et qui, comme l’eau potable, l’air pur et le silence, risque d’être victime d’une pollution, cette fois-ci utilitariste.
Chaque réforme, depuis le début de la massification scolaire, entraîne un abandon. Il semblerait qu’on assistât maintenant à l’estocade, après qu’on eut rendu exsangue la bête. Une bête qui était somme toute assez conciliante pour tendre bêtement le cou. L’égalitarisme, qui est à l’origine de sa mort, n’est-il pas la source fatale de la destruction programmée de l’Ecole humaniste ? Car la lutte contre l’ « élitisme », contre les « initiés », contre une culture bourgeoise, voire fasciste, la tentation de la table rase, le postulat stupide d’une potentialité intellectuelle semblable chez tous, la vision d’une jeunesse colonisée par les adultes, légitimement « révoltée », l’accent mis sur l’opinion, le plaisir, le narcissisme, toutes ces dérives infantiles ne pouvaient que donner des armes stratégiques aux sectateurs du marché, qui n’en demandaient pas tant, à moins que démagogues de gauche et de droite fussent au fond des frères siamois.
On supprime par exemple l’apprentissage de la géométrie en classe de seconde, on transforme celui de notre langue maternelle en initiation aux techniques de la communication (sans parler des langues anciennes, jetées aux oubliettes), dans le même temps que l’approche des arts se pare des oripeaux de la pub et du design, et que la littérature, moins rentable, est cantonnée dans le ghetto des classes littéraires, comme si les élèves scientifiques, qui sont souvent des littéraires frustrés, se devaient d’en être privés. Que l’enseignement des langues étrangères, entendez l’anglais, fassent l’objet d’une préoccupation obsessionnelle de la part de l’institution, que celui d’une économie rudimentaire devienne obligatoire en classe de seconde, cela n’étonnera pas si l’on compare avec la réduction des enseignement traditionnels, et si l’on ajoute la volonté maniaco-dépressive de vouloir à tout prix « sortir » les élèves de l’établissement en voulant leur faire découvrir le monde du travail ou en les mettant nez à nez avec des plasticiens fumistes ou des potaches attardés métamorphosés en artistes de rue (l’enseignement de la musique étant devenu, dans le même temps, une ouverture au show business !). Enfin, saupoudrez d’un peu de cahiers de compétences, d’évaluations en trompe-l’œil, de travaux collectifs accordant généreusement, avec certaines options facultatives, des notes mirobolantes, ainsi qu’un peu de soutien dit « individualisé » (dans des classes de 35 élèves !), vous aurez tous les ingrédients pour le fameux lycée « light », qui fait maigrir les intelligences avec le budget.
La Réforme des lycées, qui se cachait lâchement derrière un brouillard savamment distillé (peur des manifestations lycéennes oblige) n’a pas fini d’asséner ses coups de couteau vicieux.
Le dernier en date est l’annonce de la transformation de l’enseignement obligatoire (déjà réduit de 4 heures à 2 heures et demie) de l’Histoire-Géographie en classe de terminale S, en option facultative, ce qui, la curiosité culturelle des jeunes étant ce qu’elle est (quand bien même la rhétorique jeuniste dirait le contraire) ne manquera pas de le faire disparaître. Cela signifie que la moitié des lycéens sera privée d’un contact intellectuel, même rudimentaire, avec le monde d’après-guerre. Voilà un aboutissement fâcheux, ne serait-ce que par la nécessité de connaître les thèmes et les polémiques qui agitent la vie collective contemporaine. Comment veut-on, d’un point de vue « citoyen », qui est pourtant assez fragilisé par les manipulations et les conditionnements, sans compter l’ignorance et le mensonge abondamment répandus par les medias, que les jeunes comprennent quoi que ce soit aux paramètres qui régissent le monde de maintenant ? A moins de retrancher dans le pur jeu idéologique, ce qui est bien sûr le cas pour la plus grande masse, notamment dans les établissements scolaires, où l’on remplace l’esprit de culture par la culture de la soumission, par le conformisme comportemental, mais ce qui empêchera encore plus l’émergence d’une lucidité, même minoritaire.
Une vingtaine de grands Historiens français ont lancé une pétition pour déplorer ce volet de la Réforme. Que n’eussent-ils réagi plus tôt, quand la logique destructrice et l’aménagement de l’Ecole selon une logique mercantiliste, utilitariste, mondialiste étaient annoncés par d’innombrables signes et entraient dans la vision des épiciers et béotiens qui nous gouvernent ?
Car ce qui étonne le plus, ce fut le silence abyssal de nos intellectuels, qui ont laissé dériver le navire sans intervenir, et cela depuis la réforme Jospin. C’était à ce moment où, stupidement, on prônait la « démocratisation » de l’Ecole, où on plaçait l’enfant au centre du système éducatif, où on se livrait aux attaques les plus écoeurantes contre les maîtres, qu’il fallait faire front commun contre la démagogie. Au lieu de cela, on s’est abstenu de réagir, sauf contre les affreux, les Le Pen, le « nationalisme », le « racisme », l’ « identité », tous ces dragons, ces tigres de papiers qui fleurissaient dans les cerveaux universalistes et humanitaristes de chercheurs qui, depuis la révolution française en passant par le stalinisme bêlant, n’ont de cesse que d’empoigner la hampe de ce fanion lyriquement claquant au vent de l’Histoire, mais sont incapables de voir le trou qui les engloutira dans les égouts de cette même Histoire. Ce sera une source intarissable de surprise, de stupéfaction, pour les générations future, s’il en sera et si une mémoire subsiste, que de constater que d’éminents savants, excellents dans leurs domaines, aient pu être aussi crédules. Il est bien temps maintenant de crier quand il est devenu trop tard ! Le champ de ruines est là, sous nos yeux ! Qu’est devenue l’Histoire enseignée ? Est-elle si probe, si honnête, si équilibrée qu’on aurait aimé l’espérer ? Les Historiens, dont on ne met pas en doute le talent (certains ont été des maîtres, des compagnons intellectuels, et même – et en France, ce n’est pas un mince mérite – des écrivains) n’ont eu de cesse de combattre tout réflexe identitaire, tout retour aux racines, à un passé profond différent de celui qu’on veut nous imposer à coups de mémoires orientées et instrumentalisées.
A vouloir jeter le bébé mémoriel avec l’écume d’un passé « qui ne passe pas », on a récolté le vide. Il faut le boire jusqu’à la lie, maintenant !


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé