Tout l'indique: l'euro et la gouvernance économique européenne tels que nous les connaissons ne survivront pas plus de quelques semaines. La crise qui couve dans la région depuis près de deux ans ne cesse de s'exacerber malgré les tentatives répétées des chefs politiques de l'endiguer. Les dernières dépêches confirment que l'Allemagne se prépare à acculer la Grèce à la faillite et à l'exclusion de la zone euro.
Les nouvelles italiennes, espagnoles, portugaises et irlandaises ne sont guère meilleures et les marchés financiers commencent à douter de la stabilité des institutions financières du coeur de la zone euro, notamment en France. Les mouvements de capitaux s'intensifient, d'abord hors de la périphérie européenne et ensuite hors de la zone euro, vers les États-Unis, la Suisse et le Japon. Mais comment en sommes-nous arrivés là?
Le péché originel de la zone euro (et la source de tous les problèmes subséquents) aura été d'assumer que les économies disparates des nations d'Europe pourraient «converger», c'est-à-dire combler les grands écarts qui séparaient leurs taux d'inflation et de productivité. C'est plutôt l'inverse qui s'est produit: l'écart entre la périphérie (les «infâmes» PIIGS) et le coeur industriel de l'Europe (essentiellement l'Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande) s'est creusé: les premiers accusant de profonds déficits commerciaux et une explosion des coûts de main-d'oeuvre et les seconds finançant indirectement ces déficits à même leurs propres surplus commerciaux tout en réprimant leurs coûts de main-d'oeuvre.
Mécanisme de redressement
La croissance exponentielle de l'endettement tant public que privé en périphérie de l'euro n'est que le corollaire de ce déséquilibre profond de productivité en zone euro. Il serait réducteur de voir en cette crise une condamnation de l'oisiveté méditerranéenne (le Grec moyen travaille plus d'heures que l'Allemand moyen) ou du manque de rigueur gouvernementale (l'Espagne a affiché plusieurs surplus budgétaires avant la crise, l'Irlande était un pays très peu endetté).
Ce qui complique la situation des pays de la zone euro, c'est qu'ils n'ont plus accès au meilleur mécanisme de redressement de la compétitivité, la dévaluation de leur monnaie. Ce même mécanisme avait permis au Canada d'alléger le fardeau de sa dette (en dollars canadiens) tout en redressant sa compétitivité dans les années 1990. C'est également la dévaluation de la livre sterling qui a permis au Royaume-Uni d'échapper à la crise européenne malgré ses déficits budgétaires colossaux. Complètement dépourvues de ce mécanisme et prises dans le même carcan monétaire que la superpuissance allemande, les économies de la périphérie ne peuvent se redresser qu'en réduisant leurs coûts de main-d'oeuvre. L'inconvénient majeur de ce qu'on appelle la «dévaluation interne», c'est qu'elle alourdirait encore davantage la dette déjà très lourde des ménages et des gouvernements. L'Europe s'est engagée dans une impasse.
Un plan qui a échoué
Il ne reste essentiellement que deux options plutôt indigestes à l'Europe: établir un équivalent européen au programme de péréquation canadienne ou se servir de la Banque centrale européenne (BCE) pour racheter la dette des pays en péril, en violation de sa charte. La première option impliquerait de multiplier le budget de l'Union européenne, et la seconde mènerait probablement à une inflation accrue. Rien n'assurerait toutefois que ces options permettraient enfin à la zone euro de régler le problème sous-jacent de la divergence des économies nationales. La semaine dernière, la démission de l'économiste allemand Jürgen Stark de la BCE a officialisé que le coeur de l'Europe n'avait pas l'intention de s'engager dans ces voies. Il ne reste maintenant plus qu'une seule solution: alléger le poids absolu des dettes, de manière ordonnée ou non.
Au début de cette crise, les dirigeants européens ont fait le pari qu'en s'achetant du temps, ils pourraient préparer le terrain d'un véritable fédéralisme européen (avec péréquation) ou du moins se préparer à la restructuration de la dette des pays de la périphérie. Il semble que le grand plan du fédéralisme européen a échoué. Grâce à des plans d'aide limités couplés à des plans d'austérité, les dirigeants européens ont gagné un peu de temps, mais au prix d'une hostilité politique de plus en plus grande des populations européennes. Ce temps aurait pu être investi à solidifier les assises du système financier européen, histoire de la capitonner suffisamment pour qu'il résiste à une crise.
Si on doit se fier aux marchés et aux exhortations récentes de Christine Lagarde quant à la capitalisation des banques, rien n'est moins sûr. La possibilité d'une crise semblable à la crise asiatique de 1997 ou à la crise argentine de 2001 est bien réelle. Cette fois toutefois, ce n'est pas une devise liée au dollar américain qui est en jeu, mais l'union monétaire elle-même. Si les dirigeants européens se montrent une fois de plus incapables d'être à la hauteur de leurs responsabilités, un échec retentissant de l'euro est à prévoir.
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Guillaume Nolin - Étudiant en sciences économiques
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