par Gérard Leduc
Mansonville
Les médias annonçaient récemment une importante découverte archéologique à Cap Rouge, près de Québec, soit les vestiges d'établissements érigés par Jacques Cartier et Jean-François de La Rocque, sieur de Roberval, entre 1540 et 1543. Au dire des experts, à l'exception de l'arrivée des Vikings à Terre-Neuve en l'an 1000, le site de Cap Rouge serait la plus ancienne colonie européenne en Amérique du Nord.
Au risque de faire se retourner Jacques Cartier dans sa tombe, on peut affirmer sans hésitation que des Européens se sont établis au Québec bien avant la venue de l'explorateur malouin en 1534.
Le moulin du site Jones
Dans le hameau Vale Perkins du canton de Potton, situé sur les rives du lac Memphrémagog, les ruines d'un ancien moulin à eau se cachent au pied d'une cascade, sur la terre de la ferme Jones. Cette famille, établie en 1850, n'avait jamais entendu parler d'un moulin à l'arrière de leur maison et répétait que ces imposantes fondations de pierre «avaient toujours été là». De plus, selon la tradition orale, les pionniers du coin étaient allés y chercher des pierres pour bâtir leurs maisons. Tout suggérait donc, qu'à cette date, le lieu était déjà abandonné et que l'édification de ce moulin avait débuté bien avant l'arrivée des Jones sur leur terre.
L'hypothèse que des bâtisseurs avaient taillé et placé des pierres de trois et quatre tonnes métriques chacune, bien avant 1850, peut faire sursauter. Pourtant, ces vestiges témoignent d'une très ancienne occupation du territoire par des constructeurs de pierre.
Une fouille archéologique controversée
Avec l'espoir de résoudre l'énigme du moulin du site Jones, une fouille archéologique fut commanditée par le ministère de la Culture et des Communications du Québec et la Municipalité du Canton de Potton, en 1992. À l'époque, en tant que président de l'Association du patrimoine de Potton, je fus invité à participer à la recherche. Ce qui m'a permis de mieux connaître le site et de suivre la démarche des archéologues.
Deux artéfacts datables, d'origine humaine, furent découverts au cours de la fouille : du charbon de bois et la base d'un piquet de bois travaillé. J'étais très heureux de cette trouvaille qui permettrait de situer sans équivoque la date de l'érection des imposantes assises de ce moulin. Les archéologues ont tout de suite considéré ces artéfacts comme provenant de la période dite coloniale, soit vers 1850. Ils ont ignoré la tradition orale de l'endroit et de nombreux indices témoignant que le moulin ne fut jamais complété. À mon avis, contrairement à ce qu'avançaient les archéologues, ce bâtiment ne fut jamais parachevé parce qu'abandonné en catastrophe.
À quand remontaient ces ruines?
En archéologie, il est courant de confirmer l'époque d'occupation d'un site ancien par des datations au radiocarbone sur des vestiges trouvés en contexte. C'est une approche objective, dénuée de préjugés historiques ou culturels. Mais voilà, on refusa de soumettre les artéfacts mentionnés plus haut aux datations radiocarbone sous prétexte d'épargner de l'argent au gouvernement!
On m'a toutefois permis de faire exécuter les datations, ce que j'ai fait à mes frais. Les échantillons de charbon de bois (identifiés comme provenant de feuillus) et du piquet de pruche ont été préparés par le Laboratoire de Palynologie et de Paléobiogéographie de l'Université de Montréal, puis les datations au radiocarbone furent effectuées par le Isotrace Laboratory de l'Université de Toronto. Le charbon de bois et le piquet furent tous les deux datés autour de l'an 1500 de notre ère, ce qui situait la construction du moulin.
C'est à ce moment qu'a surgi la controverse. Se fondant sur la découverte d'un bouton de fabrication Goodyear marqué 1850, les archéologues conclurent à une date de construction du moulin vers 1855 et de son utilisation pour une vingtaine d'années. Une conclusion absolument non fondée et dirigée par le préjugé, très répandu dans l'«Establishment» de l'archéologie et de l'histoire, qu'il n'y a eu aucune colonie européenne en Amérique avant l'arrivée de Christophe Colomb, en 1492.
Un mythe!
Pour ce qui est du canton de Potton, l'on maintenait que la colonisation n'avait débuté que vers 1790. Je répliquais, qu'au contraire, les datations situaient ces ruines à une époque beaucoup plus ancienne.
L'argument que l'on m'opposait était que des datations au radiocarbone n'étaient pas appropriées pour ces vestiges qu'ils présumaient sans fondement historique. En fait, les archéologues étaient convaincus que le moulin remontait aux alentours de 1850. Ils refusaient de considérer une possible occupation précédente et ce, malgré les témoignages contraires venant des Jones. Comment le savoir sans procéder à des tests au radiocarbone? C'était de la présomption!
Datations au radiocarbone à Cap Rouge
Or voilà que quinze ans plus tard, on annonce à grand renfort de publicité qu'on a enfin localisé, à Cap Rouge, l'endroit du premier emplacement de colonisation française par Roberval et Cartier. Les témoignages historiques écrits et les datations au radiocarbone prises confirment une occupation en 1543. Les datations que j'avais obtenues au site Jones à Vale Perkins n'étaient pas considérées recevables, mais voilà que, pour la même période historique, celles de Cap Rouge le sont!
Qui a construit le moulin du site Jones?
Au site Jones, j'ai localisé de nombreux pétroglyphes dont ceux de la Pierre celtique de Potton, (anciennement connue comme la Pierre Indienne de Potton). Elle est gravée de caractères en tous points semblables à l'Ogham irlandais du XIVe siècle, un alphabet couramment utilisé par les Celtes. Ceux-ci ou autres immigrants familiers avec cette écriture furent les constructeurs potentiels du moulin vers l'an 1500. Qu'est-il advenu d'eux? Vraisemblablement décimés par la maladie et les Indiens comme ce qui est arrivé à la colonie de Cap Rouge.
Épilogue
Au moment où Cartier et Roberval tentaient d'établir une colonie à Cap Rouge, des inconnus érigeaient, il y a environ 500 ans, de formidables fondations de pierre pour un moulin à eau au cœur des Cantons-de-l'Est. Qui dit moulin, dit une collectivité à desservir, une activité agricole, des maisons... Voilà de troublantes questions.
Les Amériques n'étaient pas des terres inconnues de l'Ancien Monde comme certains le prétendent encore aujourd'hui et, après les Vikings, Jacques Cartier ne fut certainement pas le premier Européen à mettre le pied au Québec. L'environnement du nord-est américain recèle d'innombrables vestiges abandonnés par les anciens constructeurs de pierre et nous faisons face à une dimension cachée de notre préhistoire que l'Establishment se refuse d'explorer. On ferme les yeux et c'est la conspiration du silence.
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