Le projet de reconstitution de la bataille des plaines d'Abraham à Québec, hilare et bien arrosée, 250 ans après la Conquête, virera sans doute bientôt en eau de boudin, sous les cris et la houle. Trop névralgique, l'événement, trop humiliant, trop provocateur. Que ledit spectacle en rutilants uniformes, avec mousquets fumants, ne puisse que semer le trouble en septembre relève d'une telle évidence qu'on voit mal comment la Commission nationale des champs de bataille pourrait aller de l'avant avec son beau programme.
La voici qui flanche, consulte et devrait retirer bientôt une grande partie de ses billes. Question de décence, de prudence surtout, si j'ai bien compris la psychologie de tous ces organisateurs bon teint, désormais ensevelis sous leur poids de tomates.
La chose fait à peu près consensus chez les détracteurs du show: livres, films, cérémonie, tant qu'on voudra! Oui, pour une commémoration, mais le méga numéro destiné à attirer les touristes sur les cendres d'une défaite mal digérée, voyons donc! Faut pas, comme on dit en France, pousser mémé dans les orties. Émeutes assurées! La Commission n'avait donc pas senti le sol trembler? C'est beau la candeur, ou bien ancrée, la mauvaise foi.
Ce qui frappe, depuis quelques semaines, c'est à quel point la partie de ping-pong s'est surtout jouée entre francophones. Traître! Vendu! Patriote! Crapule! Rejeton des commandites! Tout aura été dit et encaissé. Fleurs et invectives étaient semées dans la pure laine, en français plus ou moins joualisant selon le registre du franc-tireur. Le «nous» ne fut point inclusif en la matière.
Assez pour donner l'envie de traverser de l'autre côté de la clôture. Juste pour voir. Que pensent nos Anglos de ce débat-là? Après tout, certains sont des descendants directs des conquérants de 1759, d'autres sont venus plus tard grossir leurs rangs. Au XXe siècle, nombre d'entre eux ont accepté la loi 101 en grognant, mais en l'avalant tout de même. Après s'être farcis deux référendums, les Anglophones du Québec, pas très «pro Oui» en général, sont-ils si chauds à la perspective de rouvrir des plaies béantes et de creuser le fossé entre nos deux solitudes?
Osons une hypothèse. Et si nombre d'entre eux (pas tous, je sais) n'avaient guère envie d'affronter sur les plaines d'Abraham Pierre Falardeau à la tête de troupes armées et éructantes, pour une nouvelle bataille des Plaines à l'issue incertaine... Question de climat... Question de fragile paix sociale. Réflexion faite, les nationalistes insultés auraient pu trouver en plusieurs Anglos des alliés inattendus. Il aurait d'ailleurs été habile de les convier au débat. Lorsque même le peuple vainqueur éprouve un malaise, c'est que les erreurs de tir sont criantes.
Prenez le professeur d'histoire John A. Dickinson, de l'Université de Montréal. Nulle ambiguïté de son côté. Cette reconstitution lui reste en travers de la gorge. À ses yeux, un épisode douloureux comme celui-là mériterait sa part de silence: «On ne commémore pas les effusions de sang sans avoir une bonne raison», m'écrit-il. Il trouve que cette «fête» ne peut qu'aviver les ressentiments et décrie les conflits inutiles. «Qu'on se rassemble contre Guantànamo ou les bombardements de Gaza, je veux bien, mais ne perdons pas nos énergies sur les plaines d'Abraham.» Et toc!
Les médias francophones ont tartiné avec raison sur l'historique litige. Moins chez les Anglos, qui avancent à pas de Sioux. Quand même... La Gazette en éditorial s'est posé la seule question possible: «Pourquoi?» Réponse: «Un moment de réflexion inciterait toute personne sensible à décider qu'un gentil discours bilingue serait plus prudent qu'une reconstitution.»
Retoc!
Restait à éplucher le courrier des lecteurs de la Gazette. Chez eux comme chez nous, l'épineux sujet ne fait pas l'unanimité. «Les événements historiques ne peuvent être ignorés, rabaissés ou diminués, juste parce que les perdants ne peuvent souffrir de se faire rappeler leur défaite», lance une voix discordante. «Pourquoi ne pas mettre la production entre les mains du Cirque du Soleil?, demande avec une ironique violence un citoyen de Westmount. Wolfe et Montcalm pourraient voler sur des trapèzes et je crois que nous savons où sont les clowns... » Et voilà les nationalistes affublés d'un gros nez rouge pour faire rire les enfants. On peut en prendre. Des francophones nous ont servi la même salade. Soit!
Dans les journaux de Toronto, ça grince parfois ferme, surtout pour railler les propos de Gilles Duceppe, liant la défaite des plaines d'Abraham de 1759 à la marche vers la souveraineté. On s'étonne quand même de trouver le meilleur texte sur la question dans les pages du Globe and Mail, en date du 27 janvier. Il est signé Rod Love, ancien chef du personnel de l'ex-premier ministre albertain Ralph Klein. Eh oui! À ses yeux, la reconstitution est une très mauvaise idée, pour les raisons de paix sociales déjà énoncées. «C'est comme rejouer un mariage qui s'est soldé par un divorce», écrit-il. Qui en a envie?» Et dans son papier fort drôle, à coups de pirouettes, il renvoie les belligérants se défouler sur des scènes sportives, en invitant au repli des troupes en 2009. Bref, Rod Love apporte des munitions aux francophones outrés.
Le monde à l'envers? Même pas. Cette reconstitution est une si mauvaise idée qu'elle réconcilie des irréconciliables. C'est bien pour dire...
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otremblay@ledevoir.com
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