Entre l’arbre et l’écorce

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Le piège de la langue

Déjà déstabilisé par le débat sur le niqab, Tom Mulcair devra vraisemblablement se défendre sur un autre front, celui de la langue, lors du cinquième et dernier débat télévisé entre les chefs de parti, vendredi soir.

Gilles Duceppe accuse le chef du NPD de leurrer les Québécois quand il se dit prêt à étendre les dispositions de la loi 101 aux entreprises qui oeuvrent au Québec dans des domaines de compétence fédérale, comme les banques, les télécommunications, le transport aérien ou en encore le transport interprovincial, ce qui touche quelque 1700 entreprises et 200 000 travailleurs.

Le projet de loi C-315, que le député néodémocrate de Trois-Rivières, Robert Aubin, avait présenté à la Chambre des communes en octobre 2011 proposait bel et bien une modification du Code canadien du travail qui aurait imposé l’utilisation du français dans ces entreprises, sans exclure pour autant celle d’une autre langue, mais il comptait aussi une clause qui aurait permis au gouvernement fédéral d’exempter une entreprise qui en aurait fait la demande d’une partie ou même de la totalité de ses dispositions. Ce « code volontaire » aurait à toutes fins utiles rendu la loi inopérante, estime M. Duceppe, de sorte que le Bloc québécois avait voté contre le projet.

En 2007, le Bloc avait plutôt présenté un projet de loi (C-482), qui aurait modifié non seulement le Code canadien du travail, sans possibilité d’exemption, mais aussi la Loi sur les langues officielles pour reconnaître que « le français est la langue officielle du Québec et la langue commune au Québec ». Il aurait également engagé le gouvernement fédéral « à ne pas entraver l’application de la langue française sur l’ensemble du territoire du Québec ».

Bien entendu, ce projet avait encore moins de chances d’être adopté que celui du NPD. Une telle subordination de la sacro-sainte Loi sur les langues officielles au très détesté bill 101 aurait été considérée comme un véritable sacrilège au Canada anglais. Si jamais le Bloc est encore en mesure de présenter un nouveau projet de loi au lendemain de l’élection du 19 octobre, il passera tout aussi sûrement à la trappe.

On aura compris que cet engagement de M. Duceppe vise surtout à embarrasser M. Mulcair, qui se présente aujourd’hui comme un grand partisan de la loi 101, qu’il avait pourtant combattue si vigoureusement à l’époque où il était à Alliance-Québec. D’ailleurs, le chef bloquiste n’a même pas pris la peine d’interpeller les chefs des autres partis, sachant très bien que ce serait peine perdue.

Même à l’époque où ils se piquaient de pratiquer un « fédéralisme d’ouverture », les conservateurs n’ont jamais eu la moindre velléité d’étendre la portée de la loi 101. En 2011, le gouvernement Harper avait plutôt mis sur pied un « comité consultatif », dont la composition est demeurée assez obscure, pour examiner la question. Dans un rapport d’à peine 18 pages publié 15 mois plus tard, il était arrivé à la conclusion qu’une modification du Code du travail ou de la Loi sur les langues officielles n’était pas nécessaire. L’ancien lieutenant de M. Harper, Christian Paradis, s’en était dit pleinement satisfait.

La dernière chose dont M. Mulcair doit avoir envie ces jours-ci, c’est d’être entraîné dans un débat sur la langue. Comment convaincre les électeurs francophones, déjà échaudés par la position sur le niqab, que son engagement envers le français n’est pas de la « poudre aux yeux », comme le prétend M. Duceppe, sans précipiter les anglophones dans les bras des libéraux, qui vont se faire un plaisir de prendre leur défense. À trop vouloir ménager la chèvre et le chou, on finit par se retrouver pris entre l’arbre et l’écorce.

Lors d’un débat dans Mont-Royal, il y a un mois, le candidat libéral, Anthony Housefather, était tombé à bras raccourcis sur son adversaire néodémocrate, l’accusant de vouloir transformer les anglophones en citoyens de seconde classe.

Durant la campagne électorale de 2012, Jean Charest avait eu le malheur de se montrer ouvert à l’idée d’étendre la loi 101 aux entreprises relevant d’Ottawa. Il s’est empressé de changer d’idée quand l’ancienne députée libérale fédérale Marlene Jennings a déclaré que ce serait là une très bonne raison pour les anglophones de voter pour la CAQ.

De toute évidence, le premier ministre Couillard a retenu la leçon. En mai dernier, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Jean-Marc Fournier, a même poussé le ridicule jusqu’à dire que « la diplomatie de la francophonie » interdisait à son gouvernement d’envisager une extension de la loi 101, puisque les francophones hors Québec pourraient être victimes de représailles. M. Mulcair a sans doute ses défauts, mais il ne nous servira quand même pas de telles âneries.


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