Système de santé au Québec

En avoir pour son argent ou ne pas en avoir faute d'argent

Santé - le pacte libéral


Le gouvernement de Jean Charest n'est-il pas en train d'appliquer aux citoyens québécois la stratégie de la grenouille? On apprend en effet en management qu'un changement introduit par petites doses est plus facile à réaliser, à l'instar de la grenouille qui, baignant dans une eau qui chauffe progressivement s'y habitue tellement qu'elle finit par mourir dans l'eau bouillante. Ainsi M. Charest (et son ex-ministre de la Santé Philippe Couillard) ne veulent-ils pas faire «passer la pilule» aux citoyens québécois en greffant un régime privé de santé sur le système public, et ce, en l'administrant par «petites doses»?
Dès le début des années 2000, le gouvernement du Québec prêche en faveur d'un rôle accru du privé dans le domaine de la santé, comme si la santé et les services sociaux pouvaient être considérés une simple marchandise. Quelques repères historiques pour étayer mon propos:
- 1998: Virage ambulatoire, qui s'est accompagné de fermeture d'hôpitaux avec pour conséquence une diminution de la qualité et de l'accessibilité des services.
- 1999: Rapport Clair où il est suggéré entre autres de faire une place accrue au secteur privé.
- Juin 2005: Jugement Chaoulli: la Cour suprême détermine que les Québécoises et les Québécois ont le droit de contracter une assurance privée, pour se faire soigner au privé, si les délais d'attente le justifient.
- Décembre 2006: Adoption de la loi 33 autorisant le recours au privé et aux frais de l'État, pour notamment des opérations de la cataracte, de la hanche et du genou, justifiés par de longs délais d'attente.
- Octobre 2007: Ouverture par le docteur Chaoulli de la première firme de courtage de soins de santé (reconnue comme légale par la Régie de l'assurance-maladie du Québec (RAMQ) en février 1948) où il est proposé, moyennant des frais, de «magasiner» un médecin dans le privé ou dans le public.
- Février 2008: Rapport Castonguay visant la mise sur pied de deux systèmes: privé et public.
On a abondamment entendu les partisans de la privatisation du système de santé au Québec s'exprimer sur cette question, martelant un discours qui présente le régime privé de santé comme un allié du système public, susceptible de conférer à ce dernier plus d'efficacité. Le partenariat public-privé dans les affaires serait-il de même nature dans le domaine de la santé et les patients seraient-ils de simples clients? Cela semble aller de soi pour les partisans de la privatisation du domaine de la santé. Mais qu'en est-il des voix qui s'y opposent? À quand un débat public contradictoire sur cette importante question au Québec?
Voici quelques «vérités» qu'il est bon de rappeler, que le gouvernement de M. Charest semble avoir du mal à reconnaître et sur lesquelles les citoyens du Québec devraient se mobiliser urgemment:
1- L'accès aux soins de santé (tout comme à l'éducation) est un droit fondamental du citoyen qui ne doit pas être monnayable.
2- Le degré d'urgence et de nécessité d'une intervention médicale doit être dicté par des motifs d'ordre strictement médical et non financier, et toute discrimination à ce titre fondée sur la capacité de payer de la personne doit être interdite.
Pénurie de personnel
De plus, la croyance selon laquelle le privé serait plus performant, plus efficace et plus rentable est contestable quand on sait, par exemple, que la pénurie de personnel dans le réseau public risque fort de s'aggraver dès lors qu'on a de plus en plus recours au privé, des médecins, des infirmières et autres professionnels de la santé se désaffiliant du système public. Dans sa récente édition du 28 août 2008, le quotidien Le Devoir publiait sous la plume de Jacinthe Tremblay un article venant confirmer de tels faits. On y lit: «À l'heure où il manque près de 800 médecins généralistes au Québec, 96 omnipraticiens boudent le système public et exercent en privé seulement, selon des données publiées le 22 août par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ). C'est deux fois plus qu'en janvier 2007. La croissance rapide de cette désaffection est d'autant plus préoccupante, aux yeux de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), qu'elle survient dans un contexte où plusieurs "bons" docteurs du réseau public sont au bord de la crise de nerfs!»
Hormis cela, les disparités entre les personnes qui peuvent payer certains soins (auprès de dentistes, optométristes, etc.) et celles qui n'en ont pas les moyens ne feront que s'accentuer dans la mesure où l'accès à ces soins est lié à la capacité de payer. Les citoyens et citoyennes du Québec doivent exiger un accès à des services de santé et des services sociaux sans égard à la capacité de payer. Ils ne doivent pas oublier qu'un système privé de santé arrange les plus riches et qu'à l'inverse, il pénalise les pauvres. Accepterait-on qu'au Québec, des citoyens soient privés de soins s'ils n'ont pas la capacité de payer?
Il y a feu en la demeure. Il faut arrêter cette dérive inquiétante.
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Mustapha Bettache, Professeur au département des relations industrielles de l'Université Laval

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