Élection québécoise 2012 (12)

Tribune libre

Règle générale, les politiciens essaient tant bien que mal d’esquiver les questions trop compromettantes que leur présente l’actualité au fil des péripéties de la chose publique. En campagne électorale, cependant, ils n’ont pas toujours le choix. Alors, ils y vont bien souvent de promesses, prétendument ou réellement, porteuses de solutions aux problèmes qui surgissent ainsi devant eux sans trop crier gare. Donc, lorsque des intérêts hors Québec ont montré trop d’appétit pour Rona et Astral, en début de campagne, les réactions ont été immédiates, ou presque. La bienséance politique québécoise enseigne en effet qu’il est très bien vu pour les politiciens locaux de se présenter comme de vaillants protecteurs des « intérêts du Québec ». Et, cela vaut, qu’il s’agisse d’empêcher l’acquisition d’un « fleuron » québécois par un acheteur étranger ou de réclamer pouvoirs et argent du gouvernement central. La présente campagne n’a pas fait exception et les chefs de parti se sont succédé devant les caméras pour faire étalage de leur détermination à protéger, voire augmenter, l’influence du Québec dans l’ensemble canadien ou dans le reste du monde. Et, ce faisant, bien sûr, il n’est pas question de donner dans la prodigalité fiscale. Alors, on promet rigueur budgétaire de part et d’autre. Tout cela s’inscrit dans la stratégie électorale traditionnelle. Nous allons donc aborder ces questions, en lien avec la deuxième semaine de la campagne de 2012.
*Les « fleurons » québécois
La liste des prises de contrôle de sociétés québécoises par des intérêts hors Québec au cours des dernières années est inquiétante, pour ne pas dire tout simplement inquiétante : La Senza, Alcan, Domtar, Bauer, Van Houtte, Abitibi-Consolidated, Sico, etc. Et, là, fin août, début septembre, en tout début de campagne, l’actualité rappelait pratiquement sur une base quotidienne que Rona et Astral avaient pris place dans le couloir d’embarquement. La première était en effet convoitée par le géant américain de la rénovation Lowe’s, qui offrait 1,8 milliard $ pour se l’approprier. Or, comme la stratégie de développement de Lowe’s diverge sensiblement de celle de Rona, on craignait dans certains milieux que des bouleversements importants puissent suivre la conclusion de la transaction si, en fait, elle aboutissait. Autrement dit, la direction était susceptible de passer aux États-Unis, des emplois allaient vraisemblablement disparaître et les sources d’approvisionnement de la société acquise risquaient d’éventuellement montrer un visage passablement moins local que celles que l’on avait connues jusque-là. À bien des égards, on s’opposait à l’acquisition d’Astral par Bell pour des motifs du même ordre. Mais, dans ce dernier cas, un élément culturel se greffe au dossier. Si Bell arrive éventuellement à mettre la main sur Astral, comme elle envisage de le faire moyennant 3,38 milliards $, le géant canadien des télécommunications se retrouvera au sommet d’un empire regroupant, entre autres, 79 chaînes de télévision, 107 stations de radio et 100 sites Web (J-13-08-12, p., 17). Évidemment, du côté de Québecor, Cogeco et d’Eastlink, l’idée de devoir partager le gâteau des télécommunications québécois avec le géant canadien Bell ne soulève pas beaucoup d’enthousiasme. Les chroniqueurs de Québecor en sont donc presque aux poings pour être celui qui se montrera le plus scandalisé de l’indécente concentration médiatique qui résulterait de cette transaction si elle devait se concrétiser. En fait, l’indignation est telle là-bas, que Jean-Jacques Samson s’est pris à souhaiter plus ou moins ouvertement que le PQ utilise éventuellement la Caisse pour stopper l’initiative de Bell :

« La dimension politique porte sur la propriété québécoise ou non des chaînes de télévision et de radio, le transfert du siège social de Montréal à Toronto et la crainte de pertes d’emplois au Québec. Le gouvernement du Québec était intervenu, par exemple, pour que la Caisse de dépôt et placement s’associe à Québecor pour que Vidéotron demeure québécoise. Tous les Québécois, ou presque (!) s’en félicitent aujourd’hui. » (J-13-08-12, p., 17)

Au PQ et à la CAQ, on saute goulûment sur la mouche. Posant devant un magasin Rona, Pauline Marois promet la constitution d’un « fonds stratégique d’investisement de 10 milliards » qui visera à contrer les prises de contrôle de sociétés québécoises par des intérêts hors Québec. Et, ce fonds sera administré par des « spécialistes de la Caisse », plutôt que par le gouvernement. François Legault est révolté. « Le PQ copie la CAQ », s’offusque-t-il, sur Twitter. Plus tard, en point de presse, il accusera la chef péquiste de mauvais plagiat :« Je pense qu’elle aurait dû copier au complet. » Une partie du problème provient du fait que l’on ne s’entend pas sur les montants en jeu. M. Legault estime qu’il faudrait doubler les sommes que la Caisse investit dans les entreprises québécoises. Selon lui, il y aurait 25 « fleurons » québécois dignes d’une intervention protectrice, dont CGI et Bombardier. Au PQ, on ne veut pas dépasser 10 milliards $, pour ne pas « déstabiliser la Caisse ». En raison des fluctuations extrêmes de la bourse, il faut s’interroger sur la mesure dans laquelle on pourra vraiment se conformer à ces plafonds d’intervention. Mais, les campagnes électorales ne sont pas le moment pour se poser ce genre de questions.
À tout événement, Mme Marois se laisse porter par le vent du jour. Un brin nostalgique, elle parle de redonner à la Caisse son mandat originel de 1965, celui de favoriser le développement économique du Québec. Il est loin d’être certain, cependant, que cela ait été le seul mandat initial de la Caisse. L’obligation de générer un revenu de retraite de base pour les travailleurs québécois ne pouvait raisonnablement pas être absente du décor à l’époque où celle-ci a été mise en place. Puis, chassant les distractions de la nostalgie, la chef péquiste impute à Jean Charest la responsabilité pour la perte de 40 milliards $ subie par la Caisse dans la miséreuse et nébuleuse affaire du papier commercial. Et, sa faute aurait été de lancer la Caisse sur la piste « des rendements absolus ». En, fait, M. Charest a eu beaucoup de complices. Il n’est pas le seul coupable. D’ailleurs, il faut se demander si l’ex-premier ministre était véritablement familier avec la notion de « rendement absolu ».
La situation exige que nous ouvrions une parenthèse. Dans une certaine mesure, donc, la Caisse, comme plusieurs fonds de pension, montre certaines des caractéristiques des structures Ponzi, ces combines financières où l’argent des investisseurs les plus récents sert à payer le rendement promis aux investisseurs les plus anciens. Dans les années 60, il arrivait en effet assez souvent que Bay Street refuse d’acheter les obligations québécoises lancées sur le marché. C’est alors la Caisse qui venait à la rescousse du gouvernement en achetant ses obligations. On comprendra aisément que les intérêts perçus par la Caisse sur ces placements venaient du revenu consolidé. Autrement dit, c’est l’État qui versait à même ses revenus budgétaires les sommes nécessaires au paiement des prestations promises aux termes du régime de rente. Alors, pourquoi ne pas le faire directement sans passer par la Caisse? C’est un peu ce que l’on comprend à la lecture de certains passages de La machine à milliards :
« Le Journal Les Affaires se demande si certains facteurs politiques n’ont pas contribué à cette hausse d’intérêts sur le loyer de l’argent prêté au Québec. Bien sûr, avance le journaliste Jacques Rolland, on peut invoquer le fait que le Québec va beaucoup plus souvent emprunter sur le marché que l’Ontario, surtourt ces dernières années, mais il y a, semble-t-il, beaucoup plus que cela. Car comment expliquer que le Québec ne jouisse pas d’un meilleur tarif que Terre-Neuve, la plus pauvre des provinces canadiennes et vraiment en état de sous-développement par rapport au Québec? De même, comment justifier que la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard disposent de meilleures conditions que le Québec? Il y a décidément un manque de confiance sur le marché.
D’ailleurs, les derniers emprunts du Québec ont été mal accueillis à Bay Street où, selon le journaliste ‹ plusieurs institutions financières d’importance ont carrément refusé d’acheter. › » La machine à milliards, Québec/Amérique, Montréal, 1989, Pelletier, M. pp., 330.

Le racisme canadien-anglais a ceci d’admirable qu’il est vraiment une réalité mur à mur. Et, il n’a d’égal que la veulerie des Québécois qui l’acceptent comme si cela était le simple ordre des choses. Après tout, c’est Clothaire qui avait raison. Le Québec et le Canada sont dans une relation sado/maso plus ou moins saine. Il faudrait peut-être lui payer ses honoraires… Mais, passons. Alors, oui, les Québécois n’étaient pas vraiment les bienvenus dans le monde des affaires dominé par le Canada anglais et la Caisse a bien souvent dû être appelée en renfort pour appuyer le développement du Québec. À l’origine, cela ne constituait pas véritablement un problème. Les contributeurs au régime étaient beaucoup plus nombreux que les bénéficiaires, la province n’était pas exagérément endettée et son espace fiscal libre était encore relativement vaste. Alors, oui, l’État pouvait se permettre de verser à la Caisse, sous la forme d’intérêts sur ses obligations, les montants lui permettant de s’acquitter de ses obligations.
Mais, les choses ont bien changé depuis 1965. D’abord, comme la plupart des États, le Québec est désormais lourdement endetté. Son espace fiscal libre n’est plus ce qu’il était. Le rapport entre les contributeurs et les bénéficiaires du Régime de rentes s’est dangereusement détérioré… tout comme le contexte économique et financier mondial d’ailleurs. On ne peut plus se permettre de traiter la Caisse avec la désinvolture du passé.
Dans les années 60 et 70, les gouvernements pouvaient se permettre de payer des taux d’intérêt touchant les 10 %. Cela n’est plus possible. Grâce au crédit, les gouvernements ont dépensé au-delà de leurs moyens, les ménages ont consommé par-delà de ce que justifiaient leurs revenus et les institutions financières sont noyées de dettes à la spéculation. Personne ne peut se permettre une hausse soudaine des taux. Alors, pour l’avenir prévisible, on s’efforcera de les garder au plancher.
Comment y arrivera-t-on? Il y a d’abord le « carry trade », cette pratique dans le cadre de laquelle les fonds spéculatifs empruntent à court terme à des taux insignifiants des sommes faramineuses pour les placer dans des obligations à long terme. Le profit est mince sur chaque obligation achetée, mais, sur le volume, l’affaire se transforme en une véritable rivière d’argent pour les fonds. L’effet secondaire de cette stratégie est évidemment de garder les taux bas. Bien sûr, cela ne pourra pas durer éternellement… comme dans les années 20. À l’époque, les institutions financières anglaises étaient friandes de ce stratagème. Un peu dans le même sens, il y a le « quantitative easing », le fait pour certaines banques centrales d’imprimer de l’argent pour acheter les obligations lancées par leur gouvernement de domicile. Cela non plus ne pourra pas durer toujours. Et, enfin, il y a les pays émergents, comme la Chine, qui achètent des obligations américaines afin de se procurer les dollars nécessaires à l’achat des ressources utilisées dans le cadre de leur développement économique. La rumeur veut cependant que ces pays aimeraient bien se libérer des griffes du dollar. À cet égard, on a pendant un temps cru que l’euro pourrait éventuellement constituer l’alternatine intéressante. Dans certains milieux, on se montre plutôt tiède à cette perspective, cependant. Alors, peut-on voir là une explication aux misères de la monnaie européenne? Les fonds qui la maltraitent sont britanniques et américains. Et, ils le font au moyen de fonds empruntés à des taux insignifiants auprès des grandes banques américaines… Mais, ne nous laissons pas tenter par la théorie du complot. Par contre, il ne fait aucun doute que personne ne peut se permettre une hausse significative des taux d’intérêt. Et, eu égard à ce qui précède, il est prévisible qu’ils demeureront bas pour un certain temps encore, même si cela n’est pas une certitude absolue.
Or, cela n’annonce rien de bon pour les fonds de pension. Cela est d’ailleurs connu depuis plusieurs années. Alors, on a planché sur des hypothèses de solution. Il serait évidemment possible d’augmenter les contributions de façon draconienne. Mais, étant donné la mince marge de manoeuvre des ménages, cette avenue n’était pas vraiment accessible. À l’opposé, on aurait pu diminuer les prestations avec vengeance. Mais, comment sabrer dans des prestations par ailleurs rachitiques? Heureusement, le monde de la finance regorge de « génies » capables d’offrir des solutions simples aux problèmes les plus complexes. Pourquoi ne pas tout simplement doper le taux de rendement des actifs? On se demande réellement comment il se fait que personne n’y ait pensé avant.
Les fonds de pension sont donc passés des obligations aux actions et des actions aux produits dérivés. À l’heure actuelle, ils seraient tentés par l’attrait des placements privés. À tout événement, parmi les « génies » de la finance, le Québec peut se targuer d’avoir accueilli un des plus grands, Henri-Paul Rousseau. C’est sous sa gouverne, avec le fiat du gouvernement, que la Caisse s’est engagée sur le piste « du rendement absolu » dans les produits dérivés comme le papier commercial synthétique. Et, comme ils disent, le reste fait partie de l’histoire. Alors, la caisse a elle aussi son Trou Story, une affaire de 38 milliards $. Mais, comme la classe dirigeante pose rarement la question qui tue à la classe dirigeante, on ne connaîtra probablement jamais le fond de l’histoire.
Alors, voilà, Mme Marois, en peu de mots, l’état de la Caisse. Après que certains « créateurs de richesse » l’eurent déplumée au nom du développement économique du Québec (la bulle techno et les scandales comptables n’ont pas aidé non plus), on a tenté de la remplumer avec une solide dose de « rendement absolu ». Malheureusement, le traitement n’était pas véritablement indiqué pour un fonds de pension. Le temps est peut-être venu d’éloigner les charlatans du malade…
Fin de la parenthèse et retour à la campagne de 2012. À la défense de la chef péquiste, il faut reconnaître qu’elle ne voit pas la protection des « fleurons » québécois à travers le seul prisme de la Caisse de dépôt. Son plan d’intervention prévoit une modification à la Loi des sociétés par actions afin de modifier le rôle du conseil d’administration. Dans leur étude d’une offre d’achat, donc, les administrateurs devraient obligatoirement* (sic) se pencher sur « l’intérêt général de l’entreprise », ce qui réunirait apparemment l’intérêt des travailleurs et de la communauté généralement. De telles dispositions existeraient au niveau fédéral, ainsi que dans plusieurs États américains (J-10-08-12, p., 6; D-10-08-12, p., A-3). Il y a lieu de se demander s’il faut imposer aux administrateurs de sociétés l’obligation de tenir compte d’intérêts autres que celui des actionnaires dans le cadre de leurs fonctions. Si l’État veut protéger les intérêts des travailleurs et de la communauté, qu’il le fasse par le biais de mesures législatives spécifiques.
À tout événement, au PLQ, c’est avec inquiétude que l’on regarde le PQ et la CAQ jeter ainsi un bras protecteur sur l’épaule de l’entrepreneuriat québécois. Évidemment, l’entrepreneuriat, lui, ne veut pas être protégé; du moins, pas de cette façon. Et, cela, Jean Charest le sait. Mais, il comprend également que la galerie pourrait le juger très sévèrement s’il ne montrait pas lui aussi un instinct protecteur pour les « fleurons » québécois. Alors, il plonge :
« Pour y arriver, nous allons changer la loi pour que les conseils d’administration des entreprises québécoises tiennent compte de facteurs qui vont plus loin que l’intérêt strict des actionnaires, qu’ils puissent et qu’ils doivent tenir compte de l’intérêt des travailleurs et des intérêts de l’ensemble de la communauté » (D-14-08-12, p., A-3)

Mais, la promesse libérale arrive avec une annexe en petits caractères. Le ministre des Finances, Raymond Bachand, ajoute que ce genre de mesures existe aux États-Unis et que ce serait même grâce à celles-ci que Casey’s a pu faire échec à l’offre d’acahat de Couche-Tard. Avec de telles dispositions dans la loi québécoise, on aurait vraisemblablement pu empêcher l’acquisition d’Alcan par Rio Tinto, ajoutera le ministre. Mais, il n’y en a pas de facile. Le Québec pourrait difficilement s’aventurer seul sur un chemin aussi périlleux. Alors, il faudra sans aucun doute, avant d’agir, s’assurer du fait que l’Ontario accepte d’en faire autant. Alors, voilà, l’entrepreneuriat est satisfait, car il sait bien que cette mesure ne verra jamais le jour. Quant à la galerie, elle en a plein la vue.
En fait, les libéraux allaient même mettre un peu de beurre sur la tartine. Il ne faut pas se contenter de jouer… la trappe dans un esprit défensif. Il faut en effet parfois passer à l’offensive. Alors, un gouvernement libéral verrait à constituer un fonds quasi souverain dont le mandat consisterait à aider les entrepreneurs québécois à faire des acquisitions à l’étranger. Le futur Fonds Ambition Québec disposerait donc d’un capital de départ d’un milliard $ qui serait administré par Investissement Québec. La moitié de cette somme serait issue du capital déjà sous le contrôle de la société d’État. Et, l’autre moitié serait de l’argent frais. Et, cette fois, il n’est pas question de demander la permission de l’Ontario avant d’agir. Au Devoir, Gérard Bérubé n’est pas impressionné. Il n’y voit que « du vent » :
« Et que dire de ce Fonds Ambition Québec de 1 milliard ayant pour mission d’aider les entrepreneurs québécois à acheter des compagnies étrangères, sans rappeler que la Caisse de dépôt et placement se veut déjà très active dans ce créneau. » (D-16-08-12, p., B-1)

Le plan manque… d’ambition. Lorsqu’il s’avance sur ce terrain, le gouvernement québécois entre plus ou moins dans l’univers des fonds souverains. Ceux-ci, parrainés par des pays comme la Norvège, l’Arabie saoudite et la Chine, disposent de centaines de milliards $ pour garnir leur parc d’entreprises. Avec un seul milliard $, on se demande où irait le Québec… Mais, certains « créateurs de richesse » pourraient certainement leur compte…
Avant de s’attaquer aux entreprises étrangères, le Québec devrait peut-être regarder dans sa propre cour. Prenons le seul cas des minières actives en sol québécois, par exemple. On compte 23 mines en exploitation au Québec. Quinze d’entre elles ont leur siège social à l’extérieur de la province. De celles-ci, 9 sont établies ailleurs au Canada, alors que les six autres sont d’origine internationale. Et, le déploiement du Plan Nord semble vouloir donner lieu à une duplication de cette dynamique de développement, à cette différence près que la présence asiatique dans le panorama minier québécois paraît s’intensifier. Les Chinois seraient en effet particulièrement avides du fer et des terres rares du nord de la province. Ces derniers chercheraient à consolider leurs sources d’approvisionnement. À tout événement, il y a bien quelques minières québécoises dans le tableau, mais elles n’ont pas le gabarit de leurs concurrentes du Canada anglais comme Barrick Gold et Teck Resources. En fait, même lorsque leurs activités sont principalement localisées au Québec, certaines sociétés minières, comme Agnico-Eagle Mines ltd, établissent leur siège social à Toronto. Elles se rapprochent des moteurs de financement.
En principe, donc, la majeure partie des emplois liés au support administratif de ces entreprises est localisée hors du Québec. Pis encore, celles-ci achètent leurs services professionnels externes de fournisseurs ontariens d’abord. Et, cela est dû au fait que les activités de financement de ces sociétés se déroulent à Bay Street, où la Bourse de Toronto accueille environ 60 % des compagnies minières au monde. Alors, les comptables, avocats, ingénieurs et autres consultants qui s’activent autour de ces entreprises sont ontariens et, la plupart du temps, de la région de Toronto (J-18-09-12, p., 8; J-18-09-12, p., 9; J-19-09-12, p., 44). À cet égard, on se souviendra que dans les années 90, Bay Street boycottait systématiquement la Bourse de Montréal dans le but d’assécher ses affaires. Et, on a réussi. Aujourd’hui, il n’y a plus de Bourse des actions à Montréal. Récemment, la Cour suprême du Canada a transféré la compétence sur les produits dérivés des provinces vers le fédéral dans des circonstances nébuleuses. Et, les perdants se retrouvent encore une fois en sol québécois, où est située la Bourse des dérivées… pour l’instant. Et, la classe dirigeante du Québec a salué la décision de la Cour comme une grande victoire pour la province. Dans les années 60, ce sont les obligations du Québec que l’on boycottait, à Bay Street… Mais, de quoi nous plaignons-nous? Nous vivons dans le plus beau pays du monde. Nous avons le bilinguisme officiel. Tout est traduit, à Ottawa. C’est pas rien, ça. Et, comme province pauvre, on reçoit de la péréquation. C’est pas rien ça non plus. Alors, oui, nous devrions être plus reconnaissants d’être traités comme des rois au Canada. Voyez, M. Persichilli, j’ai bien appris. Non, M. Legault, les vraies affaires au Québec, c’est pas la santé et l’éducation, même s’il ne faut pas négliger l’importance de ces deux domaines.
À tout événement, retour à notre propos. La CAQ parle de hausser le degré de participation du Québec dans le développement de ses ressources. À cette fin, on propose la constitution d’un fonds spécial de 5 milliards $ que la Caisse serait invitée à investir dans le secteur des ressources naturelles (D-16-08-12, p., B-1). C’est à se demander si la Caisse n’est pas devenue un véritable fétiche pour la classe politique de la province. Mais, laissons la psychanalyse aux psychanalystes. Ce faisant, donc, la CAQ prétend vouloir imposer une politique de placement à la Caisse. Et, cela est d’à-propos douteux. La mission fondamentale de la Caisse consiste à procurer un revenu de retraite de base aux travailleurs québécois. Faut-il encore une fois le répéter, la Caisse est un fonds de pension et son portefeuille doit être administré dans un contexte de risque compatible avec cette réalité, point, à la ligne. La Caisse n’est pas une île au trésor qu’il faut abandonner à la convoitise de nos pirates « créateurs de richesse ». Elle administre l’épargne de travailleurs qui ont bien souvent trimé dur pour les sommes qu’ils lui ont remises. Et, dans les corridors du pouvoir, on l’oublie trop souvent.
Mais, même en admettant que l’on puisse exiger de la Caisse qu’elle place une partie de ses fonds dans tel ou tel secteur, comme le secteur minier, par exemple, il faudra qu’elle le fasse avec passablement plus de perspicacité financière que la SOQUEM l’a fait lorsqu’elle a « investi » dans la minière Stornoway. Si l’expérience devait être répétée trop souvent, l’aventure du Plan Nord pourrait éventuellement prendre des allures de supplice du papier commercial au compte-gouttes. Mais, nous y reviendrons dans le cadre de notre examen du cadre financier présenté par les trois grands partis en deuxième semaine de campagne.
Sachant ce qui précède, de quels moyens dispose le gouvernement du Québec pour stopper la prise de contrôle d’une société québécoise que l’on ne veut pas voir passer sous contrôle étranger. Comme nous venons de le voir, il est toujours possible de demander à la Caisse d’intervenir. Mais ce faisant, nous la plaçons dans l’engrenage de la surenchère et elle finit par payer des prix exorbitants pour les actifs dont elle devient propriétaire dans le cadre du processus. Au strict plan financier, il faut bien comprendre que cela diminue le taux de rendement que la Caisse tire de ses fonds. Et, il n’est pas certain qu’elle puisse se le permettre. Entre 1900 et 2011, les actions américaines ont généré un rendement annuel de 6,3 %. Les obligations, elles, ont rapporté un maigre 1,8 %. (D-13-10-12, p., C-7). Réalisant que le taux de rendement d’équilibre de la Caisse est de 7 %, on comprendra aisément qu’elle ne peut pas faire preuve de prodigalité avec ses fonds. Dans une entrevue avec le magazine Fortune, en novembre 1979, le milliardaire américain Warren Buffett exprimait l’opinion qu’il n’était pas vraiment réaliste d’espérer beaucoup plus que 6 % à long terme en Bourse. Il recommande d’ailleurs de toujours essayer de payer le moins cher possible pour ses placements.
Maintenant, que vaudrait une obligation faite aux administrateurs de prendre en compte les intérêts des travailleurs ou de la communauté dans le cadre de leurs transactions? Nous l’avons tous vu dans le cas d’Aveos. Les promesses faites en de telles circonstances ne durent que ce que durent les roses. D’ailleurs, il faut se demander s’il est bien avisé d’imposer de telles considérations aux administrateurs. Il faudrait y réfléchir davantage.
La solution est simple. Il faut une loi de tamisage des investissements étrangers. Mais, il s’agit d’une compétence fédérale. Dans les années 70, le gouvernement Trudeau avait fait adopter une pareille loi, le degré de propriété étrangère de l’économie canadienne ayant atteint à l’époque des proportions alarmantes. Mais, avec la mondialisation et le libre-échange, cette loi a été dangereusement édentée. Aujourd’hui, le gouvernement fédéral peut stopper une tentative de prise de contrôle si l’acquisition envisagée ne paraît pas être à l’« avantage net » du pays. À cette fin, on consulte apparemment les provinces sur une base régulière. Mais, depuis les années 80, seulement deux transactions ont été interdites (D-14-08-12, p., A-3). En fait, le processus peut devenir carrément humiliant pour une province. Lorsque son offre pour Rona a été remise en question, Lowe’s aurait embauché des lobbyistes chargés d’intervenir auprès des ministres et fonctionnaires… fédéraux capables d’influencer le cours des choses. On aura compris que les « fleurons » québécois sont plus ou moins à la merci d’Ottawa. On pourra comprendre la discrétion du PLQ et de la CAQ sur la question, mais celle du PQ est moins évidente… À moins que l’on ne veuille plus de « chicane avec Ottawa » de ce côté non plus. Pourtant, depuis le début de la campagne, on ne compte plus les champs de compétence que les uns et les autres veulent rapatrier de la capitale ottavienne. Ce sera notre prochain propos.
Louis Côté, LL.M., GPA, FICVM, Rimouski


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    22 octobre 2012

    Il faudrait peut-être ajouter une définition maison de la notion de «rendement absolu». Il s'agit de décupler le risque dans des investissements farfelus comme, par exemple, le papier commercial synthétique, pour obtenir un rendement additionnel de 1% ou 2 %.
    Maintenant, il y aurait probablement lieu d'ajouter quelques mots concernant l'idée d'utiliser la Caisse comme moteur de développement du Québec. Il y a ,ici, un paralelle à tirer entre cette situation et celle des sociétés d'État de la Révolution tranquille. Elles ont à peu près toutes implosé. Et, cela est dû au fait que le Québec n'a pas su se tailler une place dans le réseau des petits copains de la production internationale. C'est bien de construire une aciérie, mais il faudra un jour vendre l'acier qu'on y produit. Et, cela s'applique à toutes les grandes industries. Il ne faudrait pas faire de la Caisse ce que l'on a fait des sociétés d'État de la Révolution tranquille. Ça ferait plus mal.
    Prenons l'exemple chinois. Lorsque la Chine a ouvert son territoire aux entreprises multinationales étrangères, elle a exigé des coentreprises aux nouveaux arrivants. En fait, dans bien des cas, elle a exigé des positions majoritaires. Ce faisant, elle voulait, justement se tailler une place dans le réseau des petits copains, pas des anges, notons-le. Évidemment, elle avait beaucoup de «cheap labor» à offrir en partage. Nous avons des ressources. Alors, les entreprises étrangères les veulent ou elles ne les veulent pas, nos ressources. Si elles ne les veulent pas, gardons-les. Parce que, s'il faut emprunter à la hauteur de 47 milliards $ pour les intéresser à nos richesses, c'est nous qui en ferons les frais à plus ou moins longue échéance. À l'opposé, si elles les veulent, nos richesse, alors qu'elles paient pour. Et, ce prix devrait inclure notre admission dans le club des petits copains, pas des anges notons-le encore une fois. La solution n'est pas de nationaliser les entreprises comme le suggère M. Roy à propos de la Davie. Il s'agit-là d'une mentalité héritée de la Révolution tranquille, dont nous devrons nous défaire. Il faut que les Québécois réussissent à se tailler une place dans le réseau des petits copains de la production internationale, sinon ils s'enferment dans une mentalité de porteurs d'eau.
    Louis Côté
    Note au webmestre: SVP, ne plus ajouter mes qualifications professionnelle au bas de mes articles. Je ne les mentione que comme identifiant aux archives. Je vous remercie.
    L. Côté