Écoles «afrocentriques»: un projet mort-né?

École noire


Le Québec vient de se lancer dans un nouveau débat sur la politique linguistique dans les écoles. Le français est-il menacé? Quand devrait-on enseigner l'anglais? Pendant combien de périodes chaque jour? Qui a le droit d'aller dans une école autre que française?

À Toronto, c'est un débat tout différent qui fait rage, un débat à propos de la race dans le système d'enseignement.
Toronto est la ville la plus multiculturelle du Canada et c'est aussi l'une des plus multiculturelles dans le monde. Si l'on tient compte des circonstances de cette grande diversité, on peut estimer que l'harmonie sociale qui y règne est passablement remarquable.
Pas moins de 43% des immigrants qui arrivent au Canada prennent le chemin de Toronto. Cela veut dire qu'environ 100 000 nouveaux arrivants s'y établissent chaque année.
Ils viennent de dizaines de pays différents. Au cours des dernières années, les plus grands nombres sont venus de Chine, de l'Inde, du Sri Lanka, du Pakistan et de pays d'Amérique centrale et des Antilles.
On compte aussi de nombreux immigrants de pays arabes. Une communauté importante d'Iraniens vit dans le nord de la ville. Des milliers d'Argentins et d'autres Sud-américains travaillent dans l'industrie de la construction, souvent illégalement. Et il y a aussi les réfugiés, de Somalie, du Darfour, de Myanmar.
La grande majorité de ces immigrants trime dur, envoie ses enfants à l'école, tente de s'assurer que leur progéniture se tire bien d'affaire et s'intègre petit à petit dans la collectivité plus vaste. Si vous en doutez, allez faire un tour sur le campus de l'Université de Toronto. Ou suivez un cours à l'Université York, dans le nord de la ville. La plupart des figures ne sont pas blanches.
Mais il y a une communauté, ou plutôt un segment d'une communauté, qui est vraiment mal en point. Dire que les Noirs de Toronto en arrachent est inexact parce que ce n'est pas le cas. Le groupe qui éprouve de sérieux ennuis est celui en provenance de la Jamaïque.
Il y a quelques années, ce n'était pas «politiquement correct» dans les cercles polis d'affirmer que les problèmes des Torontois noirs étaient centrés d'une manière disproportionnée dans la communauté jamaïcaine. Ce n'est plus le cas.
Trop de crimes
Il y a eu trop de crimes dans cette communauté, trop de familles brisées, trop d'enfants sans un père, trop de jeunes décrocheurs; en d'autres mots, trop de problèmes sociaux au sein de cette communauté pour utiliser des mots qui déguisent plutôt que de clarifier la situation. En outre, les Noirs venant d'autres pays des Caraïbes qui s'en tirent bien et qui ne causent pas d'ennuis n'apprécient guère d'entendre dire que les Noirs en arrachent.
Le taux de décrochage dans les écoles torontoises est de 25%, ce qui est beaucoup trop haut. Mais chez les Noirs, le taux atteint 40%, et chez les Jamaïcains il est encore plus élevé. Les jeunes adultes qui décrochent de l'école ont des ennuis lorsque vient le temps de se chercher un emploi. Et les ennuis les guettent encore plus lorsque, hors de l'école, ils trouvent des drogues, des gangs, de la violence, toute une sous-culture d'aliénation.
Alors, que faire? Certains activistes au sein de la communauté noire ont incité la Commission scolaire de Toronto à s'attaquer au problème du décrochage scolaire en approuvant la création d'écoles «afrocentriques», soit des écoles où les études mettront en lumière les réalisations des Noirs, l'argot noir, la littérature noire. Il s'agit d'écoles spéciales pour les jeunes Noirs au sein du système public.
Lorsque la Commission scolaire a accepté cette idée, il y a eu un tollé dans la ville et la province. De nombreux parents noirs ont rejeté avec force l'idée d'écoles «afrocentriques». Selon eux, de telles écoles stigmatiseraient leurs enfants. Ils souhaitent que leurs enfants apprennent et jouent avec d'autres jeunes de différentes races et non pas seulement avec des Noirs.
Le premier ministre ontarien, Dalton McGuinty, a indiqué pour sa part qu'il n'était pas entiché de l'idée, ajoutant qu'il ne voulait pas que cette idée se retrouve ailleurs à Toronto ou en Ontario. (Il a soutenu qu'il ne pouvait pas stopper l'idée d'écoles «afrocentriques» parce que cela relève de la Commission scolaire, un argument auquel peu de gens ont prêté foi.)
Dans les journaux, les commentaires ont été en grande partie très négatifs. La Commission scolaire a été inondée de milliers de lettres et de courriels dénonçant cette idée. L'argumentation des opposants est simple: le système scolaire public s'adresse aux gens de toutes les races, de tous les groupes ethniques et de toutes les religions qui vivent et apprennent ensemble, qu'il ne faut pas séparer en groupes selon l'identité.
La Commission scolaire de Toronto est profondément divisée sur cette question et une mince majorité est en faveur des écoles «afrocentriques». Toutefois, l'opposition est si répandue dans le Toronto multiculturel qu'il y a des chances que ce projet meure de sa belle mort, bien que sous la pression de petits groupes, on ne peut jamais savoir ce que peuvent faire les commissions scolaires (ou les gouvernements).
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Jeffrey Simpson

L'auteur est chroniqueur au Globe and Mail.
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