Du smog sur Bali

Les positions divergent grandement à propos des objectifs à fixer pour la deuxième phase du protocole de Kyoto

De Kyoto à Bali

C'est une joute politico-stratégique complexe qui s'amorce lundi à Bali, où des représentants de 180 pays seront réunis jusqu'au 14 décembre pour négocier officiellement la seconde phase du protocole de Kyoto. L'Union européenne se posera en modèle à suivre, la Chine et l'Inde lutteront contre toute mesure contraignante et le Canada jouera les élèves récalcitrants.

«Nous avons moins de 10 ans pour empêcher que surviennent des changements climatiques dangereux», a prévenu cette semaine Papa Seck, l'un des auteurs de l'édition 2007 du Rapport mondial sur le développement humain, publié cette semaine par les Nations unies. «On ne parle pas de changements sécuritaires, puisque ça n'existe pas. On parle seulement d'éviter une catastrophe.» Il y a quelques semaines, le secrétaire exécutif de la Convention-cadre de l'ONU sur les changements climatiques, Yvo de Boer, avait pour sa part jugé «criminellement irresponsable» de ne pas s'attaquer au problème.
C'est dire la volonté d'agir que les scientifiques, négociateurs, représentants d'ONG et décideurs politiques devront avoir à l'esprit en débarquant à Bali à partir de lundi. Concrètement, ils tenteront de lancer les négociations pour conclure en 2009 un nouvel accord des Nations unies avec, sur la table, différents rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), réuni par l'ONU, qui prédisent le pire si des gestes significatifs ne sont pas faits.
Reste que les positions divergent grandement sur les objectifs à fixer pour la deuxième phase du protocole de Kyoto, qui s'échelonnera de 2012 à 2020. Dans ce domaine, l'Europe -- où l'engagement envers Kyoto était collectif -- fait figure d'élève modèle. Les 15 pays de l'Union européenne qui se sont engagés à réduire globalement leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 8 % d'ici à 2012 par rapport au niveau de 1990 seront en mesure d'y parvenir. Les mécanismes prévus en vertu du protocole de Kyoto y ont été mis en place efficacement, notamment le marché des permis d'émissions (qui a représenté près de 30 milliards de dollars en 2006) et les projets de «puits à carbone» -- des forêts qui absorbent les gaz responsables du réchauffement climatique.
L'Union européenne propose désormais de réduire les émissions de 30 % par rapport aux niveaux de 1990 d'ici à 2020. Pour cela, les autres pays développés doivent toutefois emboîter le pas. Mais même si ce n'est pas le cas, l'UE a déjà annoncé, en mars dernier, qu'elle entendait réduire ses émissions de GES de 20 % en adoptant toute une série de mesures, notamment la promotion des énergies renouvelables.
Le sentiment d'urgence semble s'être véritablement frayé un chemin en Europe, à en croire les propos tenus cette semaine par le commissaire à l'Environnement de l'Union européenne, Stavros Dimas. «L'objectif du futur accord doit être de limiter le réchauffement de la planète à deux degrés Celsius au-dessus des températures de l'ère préindustrielle, afin d'éviter les effets les plus catastrophiques du changement climatique», a-t-il soutenu. Cet objectif pourra être atteint si les émissions mondiales cessent d'augmenter au cours des 10 ou 15 prochaines années et qu'elles sont réduites d'ici à 2050 d'au moins 50 % par rapport à leur niveau de 1990, les pays développés devant prendre en charge une part plus importante de l'effort.
Fait à noter, une écrasante majorité de scientifiques estime qu'au-delà d'un réchauffement de deux degrés Celsius, la planète basculerait dans un sens défavorable à l'humanité, les plus démunis étant les plus affectés. Or, rien que pour limiter le réchauffement à deux degrés, il faut que les pays divisent par deux leurs émissions de CO2, ce qui, dans un monde où la population croît à la vitesse grand V et où l'industrialisation est galopante, apparaît pour l'instant difficile à réaliser.
Rien de contraignant ?
D'ailleurs, en matière de population et d'industrialisation, l'imposante Chine se présentera à Bali avec une position claire: pas question de mettre en place des objectifs de réduction contraignants. Cette position a été réitérée dans une déclaration commune signée lundi dernier avec la France, qui tente de faire le pont entre l'Europe et les puissances émergentes. Les deux États y ont réaffirmé l'objectif pour la communauté internationale de «stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui n'engendre pas de perturbations dangereuses du système climatique», sans plus de précision sur le niveau en question.
Chinois et Français se sont néanmoins engagés à prendre «des mesures énergiques pour encourager le développement, la mise en oeuvre et la diffusion de technologies à faibles émissions de carbone» ainsi qu'à «oeuvrer de concert pour garantir qu'elles deviennent abordables». Quelques jours auparavant, la Chine a soutenu qu'elle coopérerait avec les pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) pour lutter contre le réchauffement climatique. La Chine entend notamment réduire sa consommation d'énergie de 20 % par unité de produit intérieur brut au cours des cinq prochaines années.
Le hic, c'est qu'après plusieurs années d'une croissance exponentielle, le pays est en passe de devenir le premier émetteur mondial de CO2, devant les États-Unis. La Chine est notamment le premier producteur et consommateur de charbon, énergie fossile très dommageable pour l'environnement. Le pays a signé et ratifié le protocole de Kyoto, mais il n'est pas lié, pour la première phase du traité, par des objectifs contraignants.
Le Canada exigeant
Lorsqu'il a qualifié le protocole de Kyoto d'«erreur» à ne plus jamais répéter, dimanche dernier au sommet du Commonwealth, le premier ministre Stephen Harper a justement fait référence au fait que de gros émetteurs de CO2, nommément les États-Unis, la Chine et l'Inde, n'ont aucune cible absolue de réduction des GES à respecter. Il a ajouté, et répété toute la semaine à la Chambre des communes, que le Canada n'appuiera aucun traité qui n'imposerait pas de telles cibles à ces pays.
Son ministre de l'Environnement, John Baird, a du même coup reconnu que la volonté canadienne de mettre au pas ces trois États risquait fort de ne pas passer le test à la rencontre de Bali. «Je pense que les Nations unies ne s'attendent pas à ce que ça se produise», a-t-il jugé. Sera-t-il possible d'inclure les trois pays visés avant la fin des négociations prévues au plus tard en 2009? Le ministre Baird n'a pas voulu s'avancer sur ce terrain.
De son côté, «le plus meilleur pays du monde» est un véritable cancre environnemental qui est loin d'avoir atteint les objectifs de la première phase. Les émissions de GES ont augmenté de 27 % depuis 1990, alors qu'elles auraient dû baisser de 6 %. Le plan de lutte contre les changements climatiques des conservateurs prévoit d'abaisser d'ici 2020 les émissions de GES de 150 millions de tonnes, soit une diminution de 20 % par rapport aux émissions de 2006 et non celles de 1990, comme le veut plutôt le protocole de Kyoto. Le Canada a d'ailleurs été qualifié cette semaine de «cas extrême» d'inaction en matière de changements climatiques dans le rapport 2007 des Nations unies sur le développement humain.
Pour justifier leur position, les conservateurs ont tour à tour fait valoir que le retard pris résultait des lacunes des libéraux dans ce dossier et que l'application des objectifs de réduction des GES serait une catastrophe économique. Un argument «d'un ridicule consommé», selon Olivier Boiral, professeur titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les normes internationales de gestion et les affaires environnementales à l'Université Laval.
Il estime au contraire que l'exemple européen prouve la viabilité économique du protocole, mais aussi que «les entreprises comprennent de plus en plus que le fait de se positionner sur l'axe "environnement" leur donnera un avantage comparatif». Selon lui, on pourrait faire un bon bout de chemin en misant sur le marché du carbone et en mettant en place des mécanismes de développement propre.
M. Boiral est aussi d'avis qu'il faudrait augmenter l'aide aux pays en développement pour leur permettre de faire le saut dans le train de Kyoto. Selon un rapport de l'ONU divulgué en août, il faudra en outre investir quelque 200 milliards d'ici 2030 pour enrayer la hausse des températures par des changements profonds aux modes de production de l'énergie, soit entre 1,1 % et 1,7 % de l'investissement global annuel.
Le Canada «saboteur»
Dans ce contexte, quelle sera la position défendue par le Canada autour de la table? Tous les groupes écologistes, partis politiques et observateurs de ce genre de négociations consultés par Le Devoir sont formels: les conservateurs vont tenter de saboter la rencontre afin d'affaiblir le protocole de Kyoto. Les députés de l'Assemblée nationale ont voté mercredi à l'unanimité en faveur d'une motion exprimant leur désaccord «quant à la position du gouvernement canadien».
«Les déclarations de Harper confirment que le gouvernement n'a pas l'intention d'entreprendre quelque effort significatif que ce soit [...]», a expliqué le responsable de la campagne Énergie et climat de Greenpeace, Arthur Sandborn. Il considère que l'argument voulant que rien ne pourra se faire sans que la Chine et l'Inde s'engagent formellement ne tient pas la route. Les pays industrialisés sont responsables d'environ 80 % de l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Ils ne représentent pourtant que 25 % de la population mondiale. Ainsi, chaque Canadien produit en moyenne 20 tonnes de CO2 par année, comparativement à 3,84 tonnes par habitant pour la Chine et 1,2 tonne pour l'Inde.
«Le protocole de Kyoto est basé là-dessus, a poursuivi M. Sandborn. Les pays membres de l'ONU se sont donc entendus pour que ce soit les pays industrialisés qui prennent d'abord le leadership de la réduction des émissions puisqu'ils disposent de beaucoup plus de ressources financières, techniques et humaines pour relever ce défi.
En un mot, la Chine et l'Inde n'ont pas causé ce problème, cette responsabilité, c'est celle des pays industrialisés, donc la nôtre.» C'est l'esprit du fameux «engagement commun mais différencié» inclus dans le protocole.
Bernard Bigras, porte-parole bloquiste en matière d'environnement, se dit pour sa part convaincu de l'existence d'un véritable «plan» conservateur pour que Bali soit un «échec». «La position canadienne semble inexistante, mis à part la volonté qu'il n'y ait pas de mandat à la sortie de Bali, alors que l'Union européenne dit qu'elle est prête à réduire ses GES de 30 % si les pays industrialisés emboîtent le pas.» Même l'Australie, désormais dirigée par le parti travailliste, s'est dite favorable à une signature prochaine du protocole. Les États-Unis, eux, y sont toujours opposés.
Et si la rencontre de Bali n'est pas couronnée de succès, les conséquences pourraient être lourdes pour la deuxième phase de Kyoto, a expliqué le porte-parole d'Équiterre, Sydney Ribaux. Selon lui, il faut prendre en considération qu'il peut s'écouler un certain laps de temps entre la signature d'un accord et sa ratification par chacun des pays. «Si on signe un accord en 2009, il nous reste seulement trois ans pour le ratifier et on risque de manquer de temps», a-t-il prévenu. De plus, le monde aura les yeux rivés sur les décideurs réunis en Indonésie, à commencer par les entreprises qui souhaitent investir dans les Bourses du carbone. «Il faut donc un signal clair disant qu'après 2012, il y aura de nouvelles cibles», a-t-il souligné. Sans quoi, plusieurs projets de développement de technologies propres pourraient être compromis.
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