Droits à vendre

Ce jugement du plus haut tribunal québécois est tout simplement outrageant

Loi 104 - promotion du bilinguisme

Au moment même où s'amorce un grand débat sur les accommodements raisonnables, voilà qu'un jugement de la Cour d'appel vient rouvrir toute grande une brèche de la Charte de la langue française et faciliter l'intégration des immigrants à la communauté anglophone. Si cette décision était maintenue, quelques milliers de dollars suffiraient pour acheter à ses enfants et à leurs descendants le droit de fréquenter l'école anglaise. Ce serait le retour au libre choix de la langue d'enseignement pour privilégiés.
Ce jugement du plus haut tribunal québécois est tout simplement outrageant. En tout respect pour les arguments des savants juges, il faut constater que, soit ils n'ont rien compris à la situation de la majorité francophone du Québec, qui est par ailleurs une minorité dans le contexte canadien et nord-américain, soit ils n'ont pas voulu en tenir compte. Cela, on peut le croire, d'autant plus que le juge Allan R. Hilton, qui a rédigé ce jugement, fut à une autre époque avocat d'Alliance Québec. Un peu de décence aurait dû l'amener à se désister pour préserver les apparences d'une décision rendue en toute équité.
La brèche dont il est question ici avait été constatée par la commission Larose sur la langue. L'Assemblée nationale la colmatait en 2002 en adoptant à l'unanimité la loi 104, aujourd'hui déclarée invalide par ce jugement. La commission avait constaté qu'il suffisait, pour que les enfants d'une même famille aient le droit de fréquenter l'école anglaise publique, que l'un d'entre eux soit inscrit pendant un an à une école privée anglophone non subventionnée. Dès lors, le ministère de l'Éducation était tenu de leur émettre un certificat d'accès à l'école anglaise.
Ce subterfuge fut utilisé surtout par des parents issus de l'immigration. Au cours des premières années qui ont suivi l'adoption de la loi 101, seulement 608 enfants acquirent le droit à l'instruction en anglais, mais rapidement, le mot se répandit. Entre 1990 et 2002, on en compta 8234. Selon le juge Hilton, il n'y avait pas là de quoi affecter l'équilibre linguistique au Québec. On est d'autant moins d'accord que ce nombre n'est pas insignifiant et que la tendance allait s'accélérant. Dans leurs publicités, des écoles privées anglophones mettaient d'ailleurs ouvertement en évidence cette échappatoire.
L'esprit de la loi 101, qui est d'assurer la pérennité de la langue et de la culture françaises au Canada, est ignoré par le juge Hilton, qui fait une interprétation stricte de la Charte canadienne des droits. À partir du moment où un enfant reçoit une partie de son instruction en anglais, lui et ses descendants acquièrent le droit de fréquenter l'école anglaise. Dans son esprit, le fait que l'institution où il a reçu cette instruction soit publique ou privée, subventionnée ou pas, ne fait aucune différence, contrairement à ce qu'avait cru l'Assemblée nationale. Comme il faudra payer pour obtenir ce droit, on peut se demander s'il ne faudrait pas parler de privilège plutôt que de droits ici.
La vision du juge Hilton, endossée par son collègue Pierre J. Dalphond, n'est heureusement pas partagée par le juge Lorne Giroux. Celui-ci estime que, lorsqu'il s'agit d'interpréter les dispositions de la Charte des droits en matière de langue, il faut tenir compte de la dynamique linguistique propre à chaque province. Soulignant que, dans le cas présent, on ne peut ignorer la dimension de l'immigration, il rappelle qu'en 2002, au moment où l'Assemblée nationale adoptait la loi 104, 86 % des nouveaux arrivants étaient de langue maternelle autre que l'anglais ou le français. Il rejette fermement l'opinion du juge Hilton voulant que, peu importe sa langue d'origine, un citoyen canadien soit libre d'inscrire ses enfants au système scolaire de son choix, ce qui, à son avis, est un moyen indirect de ramener la solution du libre choix de la langue d'enseignement.
Entre les points de vue des juges Hilton et Giroux, la Cour suprême aura à trancher. Si le point de vue du premier l'emportait, l'Assemblée nationale ne pourrait laisser passer l'affaire. Il y a des accommodements qui ne sont pas possibles. Elle devra trouver une façon de colmater cette brèche qui, à la limite, pourrait justifier un recours à la clause dérogatoire.


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