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«On commence avec la burqa et on continue avec quoi?»
Charles Taylor, ancien coprésident de la Commission sur les accommodements raisonnables, croit que le Canada ne peut pas interdire le port du voile intégral, celui qui couvre les femmes de la tête aux pieds et ne laisse qu'une petite fente pour les yeux.
Cela ne l'empêche pas de critiquer le niqab et la burqa. «Ces vêtements entravent la communication et sont incompatibles avec certaines fonctions publiques, comme celle d'instituteur», dit-il.
Mais de là à les bannir de tous les lieux publics, il y a un pas que Charles Taylor refuse de franchir. «Il y a bien des choses que les gens ne devraient pas faire et qui nuisent à leurs intérêts, mais dans une société comme la nôtre, on se fie à la persuasion au lieu d'interdire», dit-il.
Le philosophe québécois n'était pas le seul, hier, à remettre en question l'appel lancé par le Congrès musulman canadien, un groupe de musulmans progressistes, qui demande à Ottawa de voter une loi bannissant le voile intégral.
Mais le Congrès persiste et signe: la burqa devrait disparaître du paysage canadien, un point c'est tout. «C'est une question de sécurité. Récemment, un homme vêtu d'une burqa a commis un hold-up dans une banque de Mississauga», fait valoir son fondateur, Tarek Fatah.
L'exemple égyptien
Sa prise de position inusitée ne tombait pas du ciel. Quelques jours auparavant, le cheikh égyptien Mohamed Tantawi, grand patron de l'université islamique Al Azhar, au Caire, a déclaré que le niqab n'est pas une obligation de l'islam et l'a banni des écoles affiliées à son établissement. Un peu plus tôt, le gouvernement égyptien a voulu interdire le niqab dans les universités, dans une tentative visant à freiner la montée de l'islam radical en Égypte.
Ces gestes ont fait des vagues en Occident. Le gouvernement italien de Silvio Berlusconi a saisi l'occasion pour présenter un projet de loi interdisant le niqab. La France et le Danemark avaient auparavant envisagé des initiatives semblables.
Et le Congrès musulman canadien a mis sa propre proposition sur la table cette semaine. «Vous savez, Mohamed Tantawi, c'est un peu comme le pape des musulmans sunnites, et l'université Al Azhar, c'est leur Vatican», souligne Tarek Fatah.
Mais c'est loin de convaincre la présidente du Congrès islamique canadien, Wahida Valiante. «Ça ne m'intéresse pas de savoir ce qui se passe en Égypte. Moi, je vis au Canada, nous avons une charte des droits et libertés, et les gens ont le droit de s'habiller comme ils veulent», plaide-t-elle.
Même son de cloche chez Alia Hogben, présidente du Congrès des femmes musulmanes au Canada. Son organisation s'était battue de toutes ses forces contre l'implantation de tribunaux islamiques, il y a quelques années. Elle prône une vision très modérée de l'islam. Pourtant, Alia Hogben rejette l'idée d'une loi interdisant le niqab.
«Si le Canada interdit le niqab, il ne fera pas mieux que les pays qui obligent les femmes à se couvrir, comme l'Afghanistan et l'Iran. Interdire ou obliger, c'est la même chose. C'est encore le gouvernement qui se mêle des droits des femmes.»
Un vieux débat
«Le débat sur le fait de couvrir ou non le visage des femmes dure depuis 1000 ans», dit une théologienne spécialiste de l'islam, Lynda Clarke, professeure à l'Université Concordia. «Personnellement, je vis à Montréal et, ici, très peu de femmes portent le niqab. Alors pourquoi les cibler?» demande-t-elle.
«Une telle interdiction ne passerait jamais le test des droits de la personne, c'est complètement farfelu», renchérit la juriste Pascale Fournier, de l'Université d'Ottawa. «De toute façon, qu'est-ce qu'on ferait avec les femmes qui ne respecteraient pas cet interdit? On les mettrait en prison? Ça n'a aucun sens.»
L'avocat Julius Grey croit lui aussi qu'une femme adulte peut s'habiller comme elle veut. «Moi même, je peux sortir habillé en Rigoletto ou porter un chapeau haut-de-forme.» Mais cette liberté s'arrête quand on atteint des fonctions publiques: «J'ai le droit de voir le visage des gens qui prennent des décisions qui me concernent.»
La demande du Conseil musulman n'a pas soulevé plus d'enthousiasme au sein des gouvernements. Tant à Québec qu'à Ottawa, elle a été accueillie avec une dose de scepticisme. Le Conseil du statut de la femme et la Fédération des femmes du Québec ont préféré ne pas se prononcer, n'ayant pas étudié la question.
Mais pour Alia Hogben, le débat soulevé par le cheikh égyptien n'est pas inutile pour autant: il donne des arguments religieux aux femmes qui doivent porter le niqab contre leur gré.
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