Direction du PQ: course ou couronnement?

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Le PQ et ses chefs

(Québec) L'adoption des règles du jeu, aujourd'hui, à Sherbrooke, marquera le coup d'envoi de la course à la direction du Parti québécois, la huitième de son histoire. Notre chef de bureau à l'Assemblée nationale revient sur les batailles passées, entre sprints, marathons, et parfois des couronnements. Il dévoile certaines tractations inédites, comme les interventions de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, et en dégage les enseignements. Et si la tendance se maintient...

À prévoir: des semaines de débats autour de la souveraineté du Québec et de la multitude de moyens pour y parvenir. Des dizaines de reportages et d'articles sur la survie du modèle québécois et la fin des vaches sacrées. Le Parti québécois se cherche un chef, et les militants sont prêts à en débattre jusqu'à plus soif.

Toute la journée à Sherbrooke, l'état-major du PQ se réunit à huis clos pour décider des règles de la prochaine course à la direction du parti. Une guérilla qui comptera moins de grands, et coûteux, rassemblements et plus d'attaques numériques sur Facebook et Twitter. Le rideau se lève, mais si on regarde dans le rétroviseur, l'affaire est pratiquement entendue. Dans toute son histoire, le PQ s'est toujours donné le chef qui partait en avance. Cette fois, c'est Pierre Karl Péladeau qui semble, d'entrée de jeu, loin devant. Il caracole dans les sondages. Il a déjà rallié le plus grand nombre de députés. En droite ligne pour accéder au trône. Rappel des courses et des couronnements.

1971

Une course pour la télé

Peu s'en souviennent, mais René Lévesque a dû se prêter à une course à la direction du parti qu'il avait fondé. Issu de l'aile progressiste du jeune parti, André Larocque avait disputé la présidence du PQ au père fondateur. Un coup d'oeil en coulisse fait sourire: Radio-Canada avait prévenu que, sans une course à la direction, elle ne diffuserait pas en direct, pendant trois jours, le congrès du PQ. Qu'à cela ne tienne, il y aurait course. Après avoir tenté en vain de convaincre Pierre Bourgault de se lancer, Larocque, un employé du service de recherche du PQ, a décidé de se lancer, avec l'appui de ses copains, les députés Claude Charron, Guy Joron et Robert Burns. «Je m'étais déjà pogné avec Lévesque dans des instances», se rappelle Larocque, qui a recueilli l'appui des jeunes militants impatients vis-à-vis de Lévesque et de sa garde rapprochée, obtenant 20% des 1000 délégués. «J'avais croisé Robert Bourassa, qui m'avait dit à la blague que Lévesque n'aurait pas 80% des délégués. Lévesque aimait les gageures... on a parié 20$. Il a eu 79,2%... j'ai gagné», raconte Larocque, 78 ans.

1985

La «Johnsonmanie»

Un peu comme Péladeau aujourd'hui, Pierre Marc Johnson dominait dans les sondages. Ses appuis étaient solides au Conseil des ministres et au caucus. «Pierre-Marc avait au moins 70% du caucus derrière lui», se rappelle Jacques Rochefort, responsable de la campagne Johnson à l'époque. Pas question pour lui de commenter la course actuelle au PQ - ancien député de Gouin, il a divorcé d'avec son parti après le départ forcé de Johnson en novembre 1987. Mais il commente volontiers la course de 1985, où son poulain l'avait emporté haut la main avec 59% des suffrages - 56 925 votes. Pour la première fois, l'ensemble des membres était appelé à voter. Loin derrière, Pauline Marois avait récolté19% et Jean Garon, 16%. Bernard Landry avait jeté l'éponge durant l'été, avant l'échéance du 29 septembre. «Il y avait une Johnsonmanie, il était plus populaire que M. Lévesque dans les sondages», souligne Rochefort.

«Pierre Marc était devenu une évidence. Avec sa popularité dans le parti et auprès des députés, ç'aurait été faire une course juste pour faire une course, tant le résultat était clair à l'avance», se rappelle Bernard Landry, qui est devenu ministre des Finances sous Johnson.

1987

Le sacre de Monsieur

Exit Pierre Marc Johnson, dont «l'affirmation nationale» démobilise les militants souverainistes, et arrive Jacques Parizeau. «Monsieur» ne l'avait pas prévu si tôt, mais Johnson a décidé de tirer rapidement un trait sur ce qui aurait été pour lui un douloureux chemin de croix. «Des gens avaient décidé qu'au nom de la souveraineté, ils faisaient un putsh contre quelqu'un qui disait: Faisons avancer et grandir le Québec même si le Grand Soir n'arrive pas! lance Jacques Rochefort. Aujourd'hui, en 2014, indépendamment des chefs et des illusions qui se sont succédé dans ce parti, ceux qui avaient raison sont ceux qui ont été délogés en 1987. L'histoire nous a donné raison et leur a donné tort. Ils ont fait perdre des décennies au Québec», martèle aujourd'hui Rochefort.

Personne n'a osé se présenter contre Parizeau. Jacques Brassard, proche de Johnson, a évoqué une candidature, un projet vite mis de côté. Des «Johnsonnistes», Jean-Guy Parent et Claude Filion, sont restés à bord, mais ne se sont pas présentés pas en 1989. «Parizeau m'avait engagé pour organiser la course, j'avais même loué un local et recruté des gens, mais il n'y a pas eu de course finalement», affirme Pierre Boileau, qui est devenu directeur du PQ par la suite. Parizeau avait l'appui d'une bonne partie des députés. Guy Chevrette, qui pleurait au départ de Johnson, a pris l'intérim à l'Assemblée nationale, «et a très bien collaboré», affirme Boileau.

1996

«Mûr pour une femme»

Parizeau a annoncé son départ au lendemain de sa défaite référendaire du 30 octobre 1995. En dépit de sa décision, même un pied dans la porte, il a nommé Pauline Marois aux Finances, au prix de rétrograder son fidèle disciple Jean Campeau aux Transports. Avant de partir, Parizeau martelait que le Québec était « mûr pour une femme », affirme François Leblanc, alors bras droit de Lucien Bouchard à Ottawa. Le chef du Bloc était clairement dans l'antichambre, « Landry lui avait lancé le message qu'il n'y allait pas. C'était clair qu'il avait les coudées franches et l'appui du caucus », dit Pierre Boileau, qui devait alors se retrouver au cabinet de l'ex-bloquiste. « Ça c'était passé au printemps, chez moi, avant que M. Bouchard ne parle du «virage» nécessaire [pour prévoir un partenariat politique et économique avec le Canada dans la question référendaire]. Landry lui avait dit clairement qu'avec toutes ses qualités, c'était son tour... Parizeau était encore là, on était à six mois du référendum. C'était clair dès lors que Landry allait devenir numéro deux sous Bouchard », affirme Leblanc, qui était présent à la réunion. Bouchard sera couronné chef le 27 janvier 1996, et Landry deviendra ministre, plénipotentiaire, de l'Économie.

2001

La guerre des six jours

Quand Lucien Bouchard est parti, tout le monde a été surpris. Tout le monde sauf Bernard Landry, qui avait été informé quelques jours plus tôt. C'est alors qu'a débuté ce que son disciple, Gilles Baril, avait appelé la « Guerre des six jours ». En moins d'une semaine, le ministre des Finances a consolidé les appuis patiemment cultivés chez les députés péquistes, un élément déterminant, croit-il encore aujourd'hui.

« C'était une quasi-unanimité, j'avais un message clair, je ne pouvais refuser », a rappelé cette semaine l'ancien premier ministre. « Tout s'est fait assez vite. Il y avait deux possibilités : François Legault et Pauline Marois. » Il y avait eu des conversations entre Mme Marois et Legault, « une rumeur d'alliance. Mais à un moment donné, Legault a décidé de m'appuyer et cela a fini l'aventure là », résume l'ex-député de Verchères.

En fait, Pauline Marois n'arrivait pas à se décider et sollicitait toutes sortes d'avis avant de plonger. Elle croyait tirer profit d'une course à trois. À la fin d'une réunion du Conseil des ministres, Bernard Landry lui a asséné un coup fatal : « François [Legault] est avec moi ! » Elle quitta en pleurs la salle du Conseil, a confié un témoin. Landry n'a pas eu d'adversaire. Il est devenu chef le 2 mars 2001.

2005

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L'élection d'André Boisclair « n'était pas une évidence absolue, mais se préparait depuis un certain temps. Tout le monde était dans le «jeunisme» à l'époque. Or, il était jeune, relativement brillant et avait été un bon ministre de l'Environnement », se rappelle Bernard Landry. Haut fonctionnaire, Pierre Boileau doit jouer de prudence. Il est des premières réunions de stratégie, à l'été 2005. « Il avait la majorité des députés », dit-il.

Mais, « l'affaire de la cocaïne lui a nui considérablement. Autrement, cela aurait pu fonctionner pour Boisclair », pense encore Boileau, retraité depuis longtemps.

Pauline Marois a pu compter sur une poignée de députés, Jonathan Valois, Nicole Léger et Jean-Pierre Charbonneau. Son mentor politique, Jacques Parizeau, s'est rendu à Gatineau, au Hilton Lac-Leamy, pour demander à Gilles Duceppe de ne pas se lancer dans la course, affirme Francois Leblanc, alors retourné au Bloc. Duceppe n'avait pas beaucoup d'appuis dans le caucus péquiste, « on aurait rallié quelques candidats, mais il aurait fallu vendre beaucoup de cartes de membre », convient-il. Quand André Boisclair avait annoncé sa candidature, il était certain que Duceppe ne serait pas sur les rangs.

À la surprise générale, François Legault, qui avait pendant des mois tiré dans les flancs de Landry, a décidé de ne pas se présenter, ses partisans se ralliant dans le désordre autour de Richard Legendre. Le 15 novembre 2005, Boisclair l'a emporté facilement au premier tour, avec 54 % des suffrages. Mme Marois a obtenu 30 %, et les six candidats restants... des poussières.

2007

Duceppe s'écarte, prise 2

Un autre couronnement, en apparence. Avec le pire résultat à vie pour le PQ, André Boisclair quitte la politique le 8 mai, juste avant le retour au travail de l'Assemblée nationale. Quatre jours plus tard, avant même que les règles de la course ne soient édictées, deux candidats sont déjà en piste... Pauline Marois et Gilles Duceppe, qui a fait connaître son intention par communiqué. Le lendemain, Duceppe annonce qu'il se désiste et se rallie à Mme Marois.

François Leblanc a un souvenir précis des événements. « On avait fait préparer un premier communiqué disant que Duceppe n'y allait pas. Tout était prêt en matinée, mais il avait un rendez-vous avec Lucien Bouchard pour le lunch. Bouchard l'a convaincu de se lancer. On a déchiré le premier communiqué de presse. Gilles savait que s'il n'y allait pas à ce moment-là, c'était fini pour lui... mais tout le monde disait : «C'est le tour à Pauline !» »

Bouchard était un peu le mentor de Duceppe, qui estimait avoir fait le tour à Ottawa. Mais il était conscient qu'il manquait cruellement d'appuis chez les élus péquistes. Duceppe s'est ravisé dès le lendemain et a appuyé Mme Marois. Le 26 juin 2007, seule candidate déclarée, Mme Marois est devenue chef du PQ.

Sur la ligne de départ

Aucun n'a encore confirmé sa candidature, mais on s'attend à ce qu'au moins cinq députés briguent la direction du Parti québécois, dont Pierre Karl Péladeau, qui occupe déjà le siège du favori. Tour d'horizon de leurs forces et leurs faiblesses.
- Martin Croteau

ALEXANDRE CLOUTIER
37 ans

Avocat

Diplômé de l'Université d'Ottawa et de l'Université de Montréal. Doctorat à Cambridge

Forces: Incarne la jeunesse et le renouveau. Souhaite tenir une forme de «primaire ouverte», soit permettre à tous les sympathisants du PQ, et non aux seuls membres, de choisir le prochain chef. Une stratégie semblable à celle utilisée par le Parti libéral du Canada, qui permettrait d'élargir la base électorale du parti.

Faiblesses: N'a pas la notoriété des Péladeau, Drainville ou Lisée. Certains pourront mettre en cause son expérience puisqu'il n'a jamais eu à piloter de dossiers majeurs.

BERNARD DRAINVILLE
51 ans

Journaliste

Titulaire d'une maîtrise à la London School of Economics

Forces: A pris ses adversaires de court, début septembre, lorsqu'il a invité le PQ à s'engager à ne pas tenir un référendum lors d'un éventuel premier mandat. Cette stratégie permet de rallier les nationalistes modérés.

Faiblesses: En repoussant le référendum, M. Drainville s'est attiré les critiques des indépendantistes «pressés». Il doit aussi porter l'héritage controversé de la Charte de la laïcité, dont il a été le promoteur sous Pauline Marois.

JEAN-FRANÇOIS LISÉE
56 ans

Journaliste, professeur

Licence en droit, maîtrise en communication à l'UQAM

Forces: Tente lui aussi de séduire les modérés en proposant de repousser la tenue d'un référendum sur l'indépendance. Susceptible d'amener le PQ à gauche, où il a perdu plusieurs partisans au profit de Québec solidaire. Il jouit de longs états de service au PQ.

Faiblesses: Fréquemment perçu comme froid et hautain. Un sondage Léger paru dans Le Devoir ne lui accordait que 2% des intentions de vote chez les électeurs péquistes. Aura une bonne pente à remonter s'il espère remporter la course.

MARTINE OUELLET
45 ans

Ingénieure

Diplômée en génie mécanique à McGill. Titulaire d'un MBA aux HEC.

Forces: Se présente comme une souverainiste «pressée» et fait de la lutte contre l'austérité libérale son cheval de bataille. Une stratégie qui plaira à l'aile gauche du PQ ainsi qu'aux sympathisants de Québec solidaire et d'Option nationale.

Faiblesses: Comme elle est une ancienne militante du SPQ Libre, son élection serait présentée comme le signe d'une radicalisation du PQ. Jean Charest n'avait pas hésité à la qualifier ainsi lors de son élection dans Vachon, en 2010. Passage houleux comme ministre des Ressources naturelles.

PIERRE KARL PÉLADEAU
52 ans

Homme d'affaires

Diplômé en philosophie à l'UQAM et en droit

à l'Université de Montréal

Forces: Donne au PQ une forte crédibilité en matière d'économie. Sous sa gouverne, Québecor a su absorber Vidéotron et prendre un virage numérique. Même s'il n'a pas officialisé sa candidature, ses propos suscitent les réactions des libéraux, des caquistes et des solidaires, ce qui cimente son statut de favori.

Faiblesses: Son règne chez Québecor a été marqué par de nombreux conflits de travail, ce qui ne plaît pas à la gauche du PQ. Il est toujours propriétaire majoritaire de l'entreprise, ce qui l'expose à la critique. Son récent «virage à gauche» a fait sourciller, considérant la ligne éditoriale de ses médias.


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