Déversement de pétrole: villes et villages mal préparés pour l'urgence

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On autorise le passage du pétrolier, et ENSUITE on découvre qu'aucun plan d'urgence n' été établi en cas de déversement

(Québec) Le passage du superpétrolier Minerva Gloria transportant du brut de l'Alberta sur le Saint-Laurent cette semaine a fait couler beaucoup d'encre. Mais qu'adviendrait-il si c'était le pétrole qui coulait dans le fleuve? Le Soleil a sondé une dizaine de municipalités riveraines, dont cinq îles habitées à l'est de Québec. Aucune d'entre elles, ou presque, n'a de plan d'urgence en cas de déversement d'hydrocarbures.
«C'est évident que s'il y avait un déversement majeur, ça serait très dommageable pour toutes les îles de l'archipel», lance le maire de Saint-Antoine-de-l'Isle-aux-Grues, Frédéric Poulin. «Le bar rayé, l'esturgeon qui se développe et le tourisme...si le pétrole se dépose sur les berges, nous aurons vraiment un problème», poursuit-il.
La petite municipalité de 130 âmes n'a pas de plan ni - et surtout - pas les moyens de s'en payer un. «On est capable de s'occuper des gens, mais pas d'une marée noire», laisse tomber
M. Poulin. «Il faudrait se tourner vers la sécurité publique et le ministère de l'Environnement». Il suppose que les pétroliers disposent, eux aussi, des ressources nécessaires en cas de catastrophe.
«Serions-nous responsables des dégâts?», questionne la directrice générale de l'île d'Anticosti, Véronique Rodgers. «J'espère que la compagnie en question et le gouvernement seront là pour nous aider», poursuit-elle. Du pétrole est livré au bout de l'île, à Port-Menier, pour fournir ses habitants. Si un accident survenait à cet endroit précis, des mesures d'urgence sont prévues. «Mais pas à grande échelle», précise Mme Rodgers.
À l'île d'Orléans, le préfet de la MRC, Jean-Pierre Turcotte, ne croit pas que le passage de pétroliers dans le fleuve est une préoccupation pour les habitants. «Ils sont habitués», fait-il valoir. Des mesures d'urgence n'ont jamais été élaborées en cas d'ennuis avec un pétrolier. «Et même si on avait un plan, on ne serait pas équipés», souligne M. Turcotte, qui parle néanmoins d'une catastrophe si un incident impliquant du pétrole survenait, notamment pour les berges des municipalités situées au sud de l'île, où passent les bateaux.
Dominic Tremblay ne cache pas son inquiétude. Le maire de L'Isle-aux-Coudres a vu la première et possiblement très longue série de cargaisons de brut de l'Alberta passer sous ses yeux mercredi et n'a pas apprécié. «Ça m'a réveillé encore plus. Qu'est-ce qu'on fait si ça arrive demain matin?» questionne-t-il. La végétation, les poissons, les oiseaux écoperaient, énumère M. Tremblay, rappelant aussi que le traversier serait suspendu, amenant son lot de complications.
Le fédéral pointé du doigt
Pour lui aussi, le nerf de la guerre, c'est l'argent. Ça tombe mal, il n'en a pas pour s'équiper. «Ils veulent faire du transport de pétrole, mais ne s'occupent pas de la sécurité», lance-t-il à l'endroit des gouvernements et des pétrolières. Il en veut particulièrement au fédéral, qui a, dit-il, coupé ses services sur le fleuve au cours des dernières années.
Ottawa revient souvent dans les conversations. «C'est une situation en termes de sécurité qui ressemble à Lac-Mégantic. Le Bureau sur la sécurité des Transports a été assez dur sur les responsabilités de Transports Canada», observe le directeur général de la Ville de Rimouski, Claude Périnet. Pour lui, la responsabilité en cas de marée noire demeure gouvernementale. «Mais nos élus sont très préoccupés», admet du même souffle M. Périnet.
Sept-Îles a vécu ce que tous craignent en septembre 2013, alors que 50000 litres de mazout lourd ont été déversés aux installations de Cliffs Natural Resources, dont 5000 litres qui ont fui dans la baie. Mais ni avant, ni après, la municipalité ne s'est dotée d'un plan de mesures d'urgence propre à un éventuel déversement pétrolier, explique le directeur général de la Ville, Claude Bureau.
«Si, par exemple, il y a un dommage environnemental lié à un déversement [dans le fleuve], ce n'est pas la municipalité qui va s'autoriser à aller confiner la pollution», explique-t-il. «On l'a très bien vu dans le dossier de Cliffs, les ministères fédéral et provincial ont rapidement pris la pole, la Ville était plus en retrait parce que la santé et la sécurité des citoyens n'étaient pas en cause. Notre rôle était davantage en soutien.»
Des exceptions
Le plan des mesures d'urgence de Baie-Comeau prévoit la possibilité que du pétrole pollue l'eau du Saint-Laurent, à condition que ce soit à proximité des rives. «Si c'est sur le bord du fleuve ou près du quai, nous sommes les premiers répondants. On constatera la situation et on fera appel aux compagnies spécialisées en récupération», a indiqué le lieutenant Alain Miville du service de protection des incendies de la municipalité.
Un accident au large ne fait cependant pas partie des risques ciblés par Baie-Comeau, contrairement à Lévis, qui a développé depuis 2012 un plan spécifiquement lié au risque inhérent à la production, à l'entreposage et au transport d'hydrocarbures. Avec la pétrolière Valéro installée sur son territoire et deux importantes prises d'eau dans le Saint-Laurent, la municipalité n'a pas le choix de se parer à toute éventualité, souligne le responsable de la sécurité civile, Marc Guay. Déjà, des rencontres de coordination entre les acteurs impliqués, soit Lévis, le port de Québec, les pétrolières et SIMEC - un organisme d'intervention payant accrédité par le fédéral pour intervenir - ont été organisées. À la Ville de Québec, le porte-parole Sylvain Gagné indique que ce serait au port (de juridiction fédérale) d'intervenir et que la municipalité «supporterait» ses actions. Avec Steeve Paradis, Carl Thériault et Fanny Lévesque (collaboration spéciale)
La solution vient des gouvernements, disent les maires
La solution? Un centre d'intervention d'urgence financé par des fonds publics, plaident les Îles-de-la-Madeleine.
Le maire de la municipalité des Îles-de-la--Madeleine, Jonathan Lapierre, n'est pas étonné d'apprendre que, comme la sienne, de nombreuses municipalités n'ont pas élaboré de plan spécifique en cas de déversement d'hydrocarbures. Il exhorte le gouvernement du Québec et du Canada à se réveiller et à mettre en place un centre d'intervention d'urgence puisqu'«il faut arrêter d'attendre que le Messie vienne».
Sa municipalité l'a échappé belle lors de la fuite d'un oléoduc d'Hydro-Québec au début du mois. Puisque les installations sont celles de la société d'État, celle-ci est intervenue rapidement et avec des moyens dont les Îles-de-la-Madeleine n'auraient pas disposé si une compagnie privée avait été impliquée. Oui, il y a des entreprises spécialisées comme SIMEC qui peuvent ramasser les dégâts. Mais la facture est aussi désastreuse pour les petites villes que le déversement en soi. «Personne ne veut porter l'odieux en cas de catastrophe», avance M. Lapierre, qui comprend que ses confrères se tournent vers les gouvernements et la pétrolière lorsque la possibilité d'un dégât d'hydrocarbures est évoquée.
Or, il ne faut pas se cacher la tête dans le sable, selon lui. Il est très peu probable que la production et, conséquemment, le transport de pétrole ne cessent à court terme. Le Saint-Laurent continuera d'être une voie empruntée par les superpétroliers. Alors, pour intervenir rapidement en cas d'accident avec l'un de ces mastodontes des mers, l'aménagement d'un centre d'intervention d'urgence est primordial, affirme Jonathan Lapierre, qui rappelle que chaque minute compte lors d'un tel désastre.
Et puisque les Îles sont à l'entrée du fleuve, elles représentent un lieu privilégié pour accueillir ce genre de structure, plaide le maire, qui a déjà rencontré à ce sujet le ministre responsable des Ressources naturelles et du Plan Nord, Pierre Arcand. Le gouvernement fédéral doit aussi être de la partie, selon M. Lapierre.
Même son de cloche du côté de Matane
Le maire de Matane, Jérôme Landry, a eu la même idée pour sa municipalité, qui pourrait aussi devenir, selon lui, «un point de service» en cas de déversement majeur. «Ce serait au gouvernement fédéral à assumer les coûts des équipements. C'est un élément qu'on veut mettre dans notre stratégie maritime qui est en préparation», signale celui qui se dit «préoccupé par la situation». Avec Johanne Fournier et Carl Thériault (collaboration spéciale)


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