Descente aux enfers du français

Par Andrée Boucher

Québec français


La mort du frère Jean-Paul Desbiens, mieux connu sous le nom de frère Untel, survenue il y a quelques jours à peine, a été l'occasion pour plusieurs de s'interroger sur l'avenir du français au Québec.
Les plus âgés d'entre nous n'ont pu faire autrement, en effet, que de se rappeler les combats acharnés menés par ce fier citoyen, natif du Lac-Saint-Jean, pour que la langue française conserve toute sa pureté.
Bien que détenteur d'un doctorat en philosophie, Jean-Paul Desbiens n'était pas snob et personne ne l'a jamais accusé de parler pointu. Jean-Paul Desbiens avait tout simplement compris que le français, c'est un morceau de patrimoine et qu'à ce titre il faut faire des efforts pour s'assurer de le conserver dans un état acceptable.
Les voeux de Jean-Paul Desbiens ont-ils été exaucés ? Le cri du coeur lancé dans le pamphlet qu'il a fait publier en 1960, sous le titre de Les Insolences du frère Untel, a-t-il porté ses fruits ?
Pour ma part, j'aurais le goût de répondre non. Bien sûr, les Québécois sont moins timides qu'autrefois et ils hésitent beaucoup moins aujourd'hui à exprimer leur opinion, ce qui, en soi, constitue une excellente nouvelle.
Il reste toutefois que, même si l'audace est maintenant au rendez-vous, les outils, pour livrer un produit de qualité, sont devenus, eux, de plus en plus limités.
La langue, puisqu'elle est d'abord et avant tout un moyen de communication, ne peut pas être individuelle. Il lui faut un dénominateur commun entre ceux qui la parlent, une base sur laquelle reposer et des mots, en quantité suffisante, pour l'illustrer.
Malheureusement, cette évidence ne saute pas aux yeux de tout le monde et force est de constater que, depuis les années 60, c'est-à-dire parallèlement à la montée du nationalisme au Québec, il y a eu descente aux enfers du français.
Depuis lors, il ne semble plus acquis que, pour être bien parlée et bien écrite, une langue doit d'abord être apprise. L'on semble même avoir oublié que l'apprentissage d'une langue repose obligatoirement sur la connaissance de règles qui conduisent à l'ordonnancement des idées et à la conception de textes clairs, limpides et susceptibles d'être compris par ceux à qui ils s'adressent.
Présentement, il n'y a pas que l'abondance des fautes d'orthographe dans les textes ou les verbes mal conjugués qui font problème. Il y a également toute l'incapacité de rédiger, de façon cohérente, le plus petit mot, la plus simple des phrases. Pour tout dire, il n'y a pas que la peinture qui s'écaille sur l'édifice de la langue française, c'est le solage lui-même qui est en train de s'effondrer.
Devant un tel constat, une question se pose : est-il maintenant trop tard pour rectifier le tir ou y a-t-il encore un mince espoir d'améliorer la situation ? À mon sens, tout dépendra de l'attitude qu'adopteront désormais les Québécois sur ce délicat problème.
Si l'on continue de croire qu'une connaissance adéquate du français peut être obtenue de n'importe quelle manière et à partir d'un enseignement donné n'importe comment, si l'on continue de croire qu'une langue peut être parlée n'importe comment et être écrite avec autant de désinvolture, il y a des chances que les carottes soient déjà cuites.
Si, par ailleurs, les Québécois réussissent à se convaincre que la langue française constitue leur plus bel héritage et le meilleur véhicule qu'ils possèdent pour affirmer leur identité et faire connaître leur différence à la grandeur du monde, s'ils se décident enfin à traiter leur langue avec tous les égards qu'elle mérite, les plus grands espoirs sont assurément encore permis.
Les Québécois ont en partie survécu à la défaite des plaines d'Abraham à cause de leur attachement au français. Il serait dommage que ce soit en se détachant de leur langue maternelle qu'ils finissent par frapper, l'un de ces jours, leur Waterloo.
Andrée Boucher, mairesse de Québec


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