Des risques immédiats

Crise du capitalisme - novembre décembre 2011




Martial Foucault et Pierre Martin
Les auteurs sont professeurs de science politique à l'Université de Montréal. Ils sont respectivement directeurs du Centre d'excellence sur l'Union européenne et de la Chaire d'études politiques et économiques américaines. Mercredi prochain, ils animeront au CÉRIUM (www.cerium.ca) une table ronde sur la crise.
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On dit souvent qu'on peut se consoler en se comparant à ses voisins, mais au lendemain d'un sommet décevant du G-20 à Cannes, il n'y a rien de consolant à contempler la crise en Europe et aux États-Unis.
Dans les deux cas, l'anxiété des marchés financiers est alimentée par un endettement astronomique, une reprise anémique, un chômage tenace et des autorités politiques - à Bruxelles ou à Washington - incapables d'exercer un vrai leadership.
Pour le Canada, les risques immédiats sont réels, tout comme les défis à long terme.
La crise est sans précédent depuis la Grande Dépression. Le chômage est endémique en Europe du sud et dans plusieurs régions américaines. La Grèce et l'Italie n'arrivent plus à rembourser leurs dettes. L'endettement colossal du gouvernement fédéral américain cache des finances en lambeaux dans plusieurs États et villes.
Dans les deux contextes, la crise expose au grand jour une certaine léthargie politique.
En Europe, la solidarité communautaire cède le pas au rouleau compresseur allemand et les institutions communes peinent à coordonner les réformes. L'optimisme béat des fondateurs d'une union monétaire entre des économies hétérogènes a donné à l'Union des contrôles largement insuffisants sur les politiques budgétaires des États membres.
Aux États-Unis, les gouvernements à tous les niveaux sont à ce point liés par des promesses de réductions d'impôts et de maintien des acquis qu'ils sont politiquement incapables de faire les choix difficiles qui s'imposent pour une reprise viable et un retour à l'équilibre des finances publiques.
Le dilemme de l'Europe est profond. Si on laisse courir l'inflation pour réduire la valeur de la dette interne en euros, on alourdira la dette extérieure. C'est ce que l'Allemagne et la Banque centrale européenne (BCE) cherchent à éviter, en partie pour des raisons dogmatiques, mais ce faisant elles risquent d'exposer les banques des pays du nord au défaut de paiement de leurs débiteurs grecs, italiens et autres.
Pour les dirigeants nord-américains, les Européens doivent régler leur crise eux-mêmes. Ni le Canada ni les États-Unis ne souhaitent intervenir pour appuyer la reprise européenne. On juge que la BCE devrait puiser davantage dans ses réserves. La Réserve fédérale et la Banque du Canada ont déjà donné. Le Canada, dont le secteur bancaire est sain, résiste aux demandes européennes de faire porter par le G-20 le fardeau de nouvelles réglementations.
À ce stade-ci, la crise européenne est avant tout bancaire. Le risque - lointain mais réel - qui pèse sur le Canada est celui d'un effondrement des banques de la zone euro qui assécherait les liquidités mondiales dont les banques canadiennes ont besoin pour satisfaire les demandes de crédit des entreprises et des particuliers.
La crise américaine affecte plus directement le Canada. D'abord, la relative inefficacité des politiques de relance de la demande américaine ne peut que nuire aux exportateurs canadiens. Ensuite, une période prolongée de stagnation économique entraîne le risque d'une résurgence du protectionnisme. On l'a vu récemment avec les clauses «Buy American» du plan d'emploi du président Obama et l'emprise croissante du nationalisme économique sur un certain discours populiste, tant à droite qu'à gauche.
Aujourd'hui, le rôle de valeur refuge du dollar américain lui donne une vigueur qui avantage nos exportateurs mais les États-Unis pourraient choisir, comme ils l'ont fait dans le passé, de transférer à l'étranger une partie du fardeau du remboursement de leur dette en dévaluant leur dollar, ce qui effacerait cet avantage concurrentiel.
Au-delà du théâtre de la crise européenne et du spectacle de la campagne électorale américaine, nous ne pouvons pas ignorer les effets, même incertains dans leur ampleur, de la crise au Canada.

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Pierre Martin50 articles

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Pierre Martin est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines (CÉPÉA). Il est également membre du Groupe d’étude et de recherche sur la sécurité internationale (GERSI)





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