Démolis avant d'exister

Gilles Duceppe a parfaitement raison d'être inquiet pour notre avenir. La voie de l'assimilation pourrait bien être la seule à demeurer ouverte

2011 - Actualité indépendantiste


Il est peut-être facile de dire, en rétrospective, que ce qui se passe dans le mouvement souverainiste était bien prévisible. Pourtant, quand on regarde l'évolution des peuples, on voit que tous les peuples qui, à répétition, on subi des chocs majeurs fatals, ont disparu. Les plus gros, comme le Perse ou l'Égypte antique, ont laissé la place à un nouveau pays, après avoir été plus ou moins assimilés. Ils y ont laissé leur langue, leur culture, leur religion.
Qu'en est-il du soi-disant «peuple québécois»? Si la société québécoise francophone a plusieurs attributs d'un peuple, la langue et la culture, par exemple, il faut bien reconnaître qu'il lui en manque. Les Québécois ne peuvent faire référence à aucun acte fondateur. À la conquête en 1759, ils étaient moins de 70 000 personnes, vraiment peu pour un peuple, qui n'a pu survivre que grâce à la politique du conquérant.
Cette conquête a été le premier choc majeur et ressenti comme tel. Malgré la «survivance», les forces de colonisation et d'assimilation se sont mises à l'oeuvre. Elle n'a été suivie que par d'autres chocs majeurs, que ce soit l'Acte de Québec, l'Acte d'Union ou la Rébellion. De Tocqueville, lors de sa visite au Québec, à peine 70 ans après la Conquête, avait perçu, avec une grande perspicacité, l'effet de ces forces sur la société: une forte tendance à l'assimilation et l'assujettissement. Nous n'avons été sauvés que par la revanche des berceaux et l'exode rural.
Les deux échecs référendaires représentent aussi des chocs majeurs. Celui de 1995 aura été fatal, il faut maintenant le reconnaître. Ces deux échecs successifs ont démontré que les Québécois n'ont pas, dans une proportion suffisante, la caractéristique essentielle de peuple, qui est cette fierté «nationale», qui conduit à vouloir s'affirmer comme tel et prendre en main tout son destin. Le tiers ne l'a pas et un autre 20% l'a bien fragile. On peut se dire «fier d'être Québécois», mais ce sont des mots creux.
Quand Jacques Parizeau a fait sa déclaration au soir du référendum, politiquement incorrecte, certes, ce qu'il aurait dû dire, ce n'est pas que la défaite était due, entre autres, au vote ethnique, mais que ce sont les Québécois francophones qui, justement, n'ont pas voté «ethnique», ce qu'ils auraient dû normalement faire.
Le processus de désintégration du mouvement souverainiste auquel nous assistons actuellement, n'est que le résultat de ce constat, inconscient chez la plupart, dans le contexte plus large de la dépression collective dont souffrent les Québécois depuis trente ans. Comme la dépression individuelle peut malheureusement conduire au suicide, il n'est pas étonnant qu'au plan collectif, ce soit similaire. La psychologie sociale reproduit souvent l'individuelle. Le peuple Québécois a été démoli avant même d'avoir existé.
Gilles Duceppe a parfaitement raison d'être inquiet pour notre avenir. La voie de l'assimilation pourrait bien être la seule à demeurer ouverte.
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Claude Letarte, Québec
L'auteur a été membre-fondateur et délégué de Louis-Hébert, au congrès de fondation du Parti québécois. Il a oeuvré de nombreuses années au sein du PQ.


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