Le débat sur l’abattage dit rituel des animaux pour consommation de leur viande n’est pas nouveau.
On en discute en France et ce, jusqu’au bureau du Président Sarkozy. Au point où ce dernier propose même une Charte de bonnes pratiques prônant la généralisation de l’étourdissement préalable.
Vrai qu’on en discute dans un contexte chaud où s’opposent les candidats à la présidentielle. Vrai aussi que ce fut le Front national – un parti d’ultra-droite – qui, en premier, a ramené le débat dans l’actualité française. La question a néanmoins débordé de ses rangs.
Et si la question en soi mérite attention, il est tout aussi évident qu’elle prend une importance nettement disproportionnée dans le cadre hyper partisan et polarisant d’une présidentielle. Tout comme les intentions réelles du Front national, connues par ailleurs, sont ce qu’elles sont.
Mais hors de ce contexte très particulier, il reste que ce débat combine des questions aussi larges que la laïcité, l’hygiène, le traitement des animaux en abattage et l’étiquettage absent des viandes faisant que les consommateurs ne savent pas s’ils achètent ou non de la viande provenant d’un animal abattu selon un rituel halal ou casher – c’est-à-dire en étant égorgé au moment où il est encore conscient. Et donc, sans étourdissement préalable.
Ce débat, en passant, ne se fait pas qu’en France. Ces questions sont aussi soulevées dans d’autres pays, dont la Grande-Bretagne. Là où, comme au Canada, entre autres, l’abattage dit rituel est exempté par loi, pour cause de liberté religieuse, de l’obligation d’étourdir les animaux avant qu’on ne les tue.
Cette semaine, la question est apparue dans l’actualité québécoise.
Par voie de communiqué, André Simard – député péquiste, critique en matière d’agriculture et d’alimentation et vétérinaire – a réclamé du ministre de l’Agriculture un «état de situation complet sur l’abattage d’animaux selon des rites religieux» d’ici le 23 mars prochain à l’Assemblée nationale.
Le communiqué se poursuit ainsi: «depuis quelque temps, les Québécois découvrent les effets d’une disposition légale permettant l’abattage rituel.
Ainsi, on apprend, par l’entremise des médias, que les consommateurs québécois achètent de la viande halal sans qu’ils en soient informés. Le malaise est réel devant ce manque de transparence».
«La réglementation est fédérale», ajoute M. Simard, «et le Québec doit s’y conformer».
Puis le communiqué d’ajouter que ce «type d’abattage heurte de plein fouet les valeurs québécoises. Au Québec, nous avons fait le choix depuis longtemps d’abattre nos animaux pour consommation en prenant des mesures pour insensibiliser les animaux et les abattre en minimisant les souffrances. Dans leur grande ouverture, les Québécois acceptent aussi que, sur une base d’exception, des communautés religieuses puissent procéder à un abattage selon des rituels. Or, quand l’exception devient la règle, il y a un problème».
Avançant que cette pratique d’abattage serait de plus en plus répandue, il précise aussi que «le ministère n’a aucune information à ce sujet, selon une réponse à une demande d’accès à l’information que l’opposition officielle a adressée il y a quelques semaines». Ce qui, on en conviendra, ne tient pas la route.
Bref, on comprend que le PQ ne demande pas qu’on interdise cette pratique, mais plutôt qu’elle soit une «exception»; qu’on vienne à l’encadrer de manière à mieux protéger les animaux; et que la viande produite de cette manière soit identifiée par étiquettage.
Selon le député Simard, «les consommateurs doivent pouvoir faire un choix éclairé sur la provenance des produits qu’ils achètent. En l’occurrence, ce n’est pas normal qu’on taise l’information sur le type d’abattage», a-t-il conclu. En effet.
Et, comme par hasard, quelques heures plus tard, c’était au tour de la CAQ de François Legault d’émettre un communiqué reprenant plus ou moins la même position que celle du PQ en parlant de «valeurs québécoises» et de la liberté de choix des consommateurs.
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Est-ce que tout à coup, tout devient automatiquement une question de «valeurs québécoises»?
Or, plutôt que d’en faire une question de «valeurs québécoises», pourrait-on plutôt choisir de faire oeuvre d’éducation et de clarté?
Pourrait-on étudier cette question sous l’angle précis et essentiel du traitement que nous accordons, ou infligeons, c’est selon, aux animaux qui finissent par se retrouver dans nos assiettes? Et ce, autant dans leur élevage, que leur transport et enfin, l’abattage?
Nul besoin d’être végétarien pour s’intéresser à la question. Les dossiers sur le sujet sont abondants – le dernier en date étant celui de l’abattage de chevaux.
L’abattage dit rituel est également et avant tout, une question de religion. Veut-on vraiment que le religieux s’immisce jusque dans les abattoirs? Veut-on vraiment que la viande doive être bénie par un imam, un rabbin ou un prêtre?
Bref, veut-on vraiment continuer d’élargir le rôle du religieux – donc, de dogmes et de croyances – dans l’espace civique? Dans ce cas-ci, jusque dans nos habitudes alimentaires… de surcroît, sans même qu’on ne le sache?
(Pour plus de détails sur l’aspect religieux de cette méthode d’abattage, voir ici.)
Ne pourrait-on pas plutôt aborder ces questions sous l’angle des lois? Et, sur ce sujet spécifique, sous l’angle de la manière dont nous traitons les animaux? Et le faire avec des données objectives?
Le tout, considérant que tout débat opposant des dogmes religieux à la discussion et aux principes raisonnés est nécessairement voué d’avance à l’échec.
(En passant, on rapporte en même temps que dans certains abattoirs pratiquant le rite halal-casher, on utiliserait aussi au préalable des techniques d’étourdissement. Voir ici. Par contre, ici, c’est une autre histoire.
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Le traitement des animaux
Ce qui nous amène à la question qui tue, si l’on peut dire: comment traite-t-on les animaux voués à l’abattage?
Récemment, le magazine français Le Point mettait justement la main sur un rapport confidentiel récent sur «La protection animale en abattoir: la question particulière de l’abattage rituelle» produit par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux du ministère de l’Agriculture.
Troublant dans ce qu’il observe sur la souffrance des animaux, ce rapport qualifie également de «dérive» le passage de 10% à 40% des abattages de bovins par rite religieux, et de près de 60% pour les ovins. Il soulève également la question d’une révision possible du cadre législatif et réglementaire sur la base d’une «évaluation scientifique dans le domaine de la souffrance animale».
Bref, la politique a beau être ce qu’elle est, il reste que ce rapport confirme que la question elle-même est du domaine de la science et de la «souffrance animale», non pas de celui des «valeurs», qu’elles soient françaises, britanniques, québécoises, ou autres.
Pour ce qui est du gouvernement Charest, le ministre de l’Agriculture, Pierre Corbeil, réagissait à la sortie d’André Simard en dénonçant les «propos alarmistes» de l’opposition officielle.
Le ministre a également affirmé que l’«abattage des animaux au Québec est encadré par des lois et des règlements qui assurent un abattage sans cruauté et une viande salubre. Toute viande issue d’un abattoir sous inspection doit respecter ces exigences avant d’être commercialisée. Les Québécoises et les Québécois peuvent donc consommer cette viande en toute confiance».
Or, ce jeudi, voyant de l’étranger que la question prenait de l’importance ici, Jean Charest s’est tout au moins déclaré favorable à l’étiquetage des viandes halal. Quant aux autres questions soulevées par les méthodes d’abattage et le traitement de ces animaux, meilleure chance la prochaine fois…
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Bref, si la question de l’abattage dit rituel ne doit pas servir à alimenter certains préjugés, à son tour, la religion ne doit pas servir de substitut à la science, ni au respect que méritent les animaux qui nous alimentent fort involontairement – un respect manquant aussi trop souvent dans d’autres types d’abattage, de même que dans les étapes qui le précèdent, de l’élevage des animaux en passant par leur transport à l’abattoir puis, enfin, leur mise à mort.
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Addendum: abattage et règles fédérales
Pour ceux que le sujet intéresse, voici d’ailleurs ce que prévoit la réglementation fédérale:
Faisant exception pour «l’animal pour alimentation humaine abattu selon un rite conforme aux lois judaïques ou islamiques» qui, selon le règlement, doit «être immobilisé et abattu par le sectionnement rapide, complet et simultané des jugulaires et des carotides, de façon qu’il perde conscience immédiatement», voici ce qu’on prévoit pour «tout animal pour alimentation humaine qui est abattu»:
Il doit, avant la saignée:
a) soit être rendu inconscient de façon qu’il ne reprenne pas connaissance avant sa mort, selon l’une des méthodes suivantes :
(i) par un coup sur la tête asséné au moyen d’un dispositif mécanique pénétrant ou non pénétrant, de façon qu’il perde conscience immédiatement,
(ii) par exposition à un gaz ou une combinaison de gaz, de façon qu’il perde conscience rapidement,
(iii) par l’application d’un courant électrique, de façon qu’il perde conscience immédiatement;
b) soit être tué selon l’une des méthodes décrites à l’alinéa a) ou, dans le cas d’une volaille ou d’un lapin domestique, par décapitation rapide.
Pour le reste du règlement, les articles 80 et suivants sont ici.
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