De l’éducation en ce congé d’été

Chronique d'André Savard


Il ne faut pas embarquer dans n’importe nacelle, surtout celle qui se laisse porter par les plus gros vents. Dans une chronique récente, il était traité du cours « Univers Social et Citoyenneté ». Aussitôt, on y a vu une intention voilée de disculper les anciens gouvernements du Parti Québécois. En fait, même André Pratte qui n’est certainement un membre de ce parti l’écrit : Pauline Marois a « le dos large » et on la place à l’origine de tout ce qui tourne supposément mal.
Il y a une réforme pédagogique à laquelle on doit le remplacement de l’Histoire et de la géographie par Univers social et citoyenneté. C’est à cette réforme pédagogique distincte que l’on doit des initiatives comme l’effacement des conflits dialectiques dans le passé. Cette initiative est issue du gouvernement Charest. En vertu du principe de la responsabilité ministérielle, elle est attribuable à Pierre Reid et à Jean-Marc Fournier.
Selon la version d’André Pratte, les deux ministres se sont laissé fourvoyer par des experts conseils inspirés par le socio-constructivisme. Bref, on aurait joué aux boules avec des concepts scientifiques. Peu probable. Le socio-constructivisme en question est inondé par des principes tout droit sortis du manuel du parfait libéral.
On cache sous la bannière « socio-constructivisme » l’objectif d’émanciper la société de ses conditionnements tenus pour défavorables. L’éducation serait un outil pour aider une société à s’organiser selon les conséquences ultimes qu’elle souhaite. Quant à cette conséquence, il s’agit de servir un cadre idéal pour les citoyens de la dixième heure, « ouverts aux possibles » pour reprendre l’expression du prof Jocelyn Letourneau, du possible n’ayant rien à faire avec des enracinements désuets et trop autochtones.
Et on dit tout cela parce que, selon cette perspective, c’est la société québécoise qui doit se dégager de sa vieille gangue et organiser la perception d’elle-même en fonction des clientèles d’aujourd’hui. On remplace la nation par des sujets civils. Loin d’être neutre, cette approche traduit un pouvoir pastoral qui se définit par des principes bien politiques.
Alors, surtout mais surtout, on laisse croire que cette grande opération voulait obéir à toutes les règles de l’art d’une large mouvance universitaire. Il y a toute une marge entre le socio-constructivisme, mouvement universitaire d’analyse qui regroupe des courants identifiés à la nouvelle communication, à des penseurs de l’école de Palo-Alto, à des structuralistes français, puis cet effort pour remodeler des matières académiques afin de projeter l’élève dans un univers et un imaginaire proprement économico-social.
Dans un autre ordre d’idées, le nouveau bulletin hermétique, sans chiffre, est devenu au cours de la dernière année scolaire, la risée. On en a fait le symbole éloquent d’une éducation menée par de grands bonzes désincarnés et loin du monde. Or, au ministère de l’Éducation, on fut les premiers surpris de ces bulletins émis par les écoles et comportant des clauses d’évaluation du style « Sait accomplir des lectures variées » ou, pire, « Sait faire des liens avec les référentiels ».
Voulant déléguer des pouvoirs, le ministère, à son grand désarroi, fut témoin d’une explosion d’académisme, une rage de considérations byzantines. Sur le bon plancher de l’école, on se mit à rédiger des bulletins avec une nomenclature d’explorateur scientifique en mission qui déjoua les attentes du ministère.
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La pédagogie n’est pas une science exacte. Ce domaine cherche continuellement à élaborer de meilleurs programmes d’éducation grâce au support de la psychologie, du cognitivisme et de la sociologie. En principe, on veut protéger par des garde-fous et on s’imagine que c’est mieux si c’est garanti par les sciences. Souvent, cependant, des résultats scientifiques puisés dans plusieurs champs finissent par créer des conjonctions qui éternuent très fort.
Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène spécifiquement québécois. Il y a plus de trente ans on administra aux Etats-Unis des tests de personnalité qui appliquaient comme critérium de distinction les catégories du manuel diagnostic des tempéraments. Ce manuel de diagnostic s’inspire des travaux de Jung basés sur la division entre introvertis et extravertis. On soumit les professeurs aux mêmes tests et on découvrit qu’ils étaient en grande majorité extravertis.
On tenta de s’expliquer si cela ne se traduisait pas par une façon toute extérieure d’aborder le savoir en le découpant comme un objet. Et on commença à cogiter sur la façon de favoriser l’élaboration intérieure et la faculté intuitive comme aujourd’hui on parle « des habiletés créatrices du savoir ». Une kyrielle de projets éducatifs censés se baser sur les reconnaissances intuitives de l’élève virent le jour.
En dernière heure on apprenait dans une revue pédagogique qu’un groupe de savants réunissaient des preuves. Il fallait lire l’article jusqu’à la fin pour savoir s’il s’agissait de preuves que la faculté intuitive avance sur ses propres progrès ou que le taux d’échecs augmentait chez les élèves. Avec le bloc pédagogique Univers Social et Citoyenneté, il faudra lire des articles pour savoir s’il s’agit de preuves que des spécialistes chevronnés ont bien ramené l’élève à un état de citoyen normal. Comme objectif pédagogique, on a déjà vu mieux.
André Savard


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1 commentaire

  • Raymond Poulin Répondre

    16 juillet 2007

    Voilà ce qui s'appelle faire le tour de la question et montrer comment le jargon pseudo-pédagogique permet aux apprentis-sorciers de conditionner l'élève à une idéologie qui n'ose pas dire son nom tout en handicapant, mais en douce, la pensée critique. Votre texte devrait être lu par tous les enseignants.
    Merci.
    Raymond Poulin, enseignant au collégial