Danny au pays de l'or noir

Gaz de schiste


S'il est vrai que la vengeance est un plat qui se mange froid, rien ne ferait plus plaisir au premier ministre de Terre-Neuve, Danny Williams, que de pomper le pétrole du gisement Old Harry au nez et à la barbe du Québec.
M. Williams n'en finit plus de remâcher la rancoeur accumulée depuis des décennies par ses prédécesseurs, qui ont vu les revenus générés par le développement hydroélectrique de Churchill Falls enrichir le Québec au détriment de sa province. Au printemps dernier, sa campagne acharnée pour empêcher la vente d'Énergie Nouveau-Brunswick à Hydro-Québec a certainement contribué à l'échec du projet.
Le premier ministre terre-neuvien est tellement fâché qu'il en perd le sens de la dignité de sa fonction, comme en témoigne sa participation à un sketch d'un goût douteux diffusé à l'émission This Hour Has 22 minutes, sur les ondes de la CBC, dans lequel il se retrouvait dans une classe de français au niveau primaire et demandait à l'institutrice comment traduire «Quebec is giving Newfoundland and Labrador the shaft».
Un porte-parole de l'Office Canada-Terre-Neuve sur les hydrocarbures, qui vient d'autoriser la compagnie Corridor Resources d'Halifax à effectuer des relevés sismiques sur le gisement d'Old Harry, a expliqué que ce permis constitue une première étape et que d'autres autorisations seront requises avant que des forages puissent être effectués. On peut cependant compter sur M. Williams pour mettre tout son poids dans la balance et tenter de faire accélérer les choses.
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Depuis deux jours, l'opposition péquiste crie au voleur à l'Assemblée nationale. Certes, la position du PQ sur l'exploitation des hydrocarbures fluctue constamment au gré de l'opinion publique et de sa dynamique interne, mais la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, qui en a déjà plein les bras avec le gaz de schiste, semble avoir été prise de court par l'initiative terre-neuvienne, pourtant largement prévisible.
Hier, le gouvernement a refusé catégoriquement de discuter d'une motion présentée conjointement par le PQ et Amir Khadir, qui intimait à Terre-Neuve et à Ottawa de suspendre le permis accordé à Corridor Resources.
Cette motion exigeait également que le gouvernement Charest ait recours à tous les moyens possibles, y compris aux tribunaux, pour prévenir toute exploitation des ressources naturelles du Québec situées dans le golfe par Terre-Neuve.
M. Williams est toutefois en position de force. Une partie du gisement Old Harry est située dans les eaux terre-neuviennes et la province a signé il y a longtemps une entente avec le gouvernement fédéral qui lui permet déjà d'exploiter le gisement Hibernia.
Le gouvernement Charest a sa part de responsabilité dans cette affaire. À son arrivée au pouvoir, des négociations pour en arriver à une entente semblable avec Ottawa étaient déjà en cours, mais il s'est désintéressé du dossier. C'est seulement à la veille des élections de décembre 2008 qu'il a décidé de le réactiver.
Personne n'a jamais expliqué pourquoi il était tellement plus difficile de s'entendre avec le Québec, mais le PQ n'a jamais caché qu'une soudaine manne pétrolière serait un puissant argument en faveur de la souveraineté. On peut penser que d'autres ont fait le même calcul.
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Mme Normandeau soutient que l'alignement des planètes est plus que jamais favorable à la signature d'une telle entente, mais il est loin d'être certain que cela ouvrirait la porte à une exploitation.
Hier, quatre groupes environnementaux ont réitéré auprès d'Ottawa et de Terre-Neuve leur demande de moratoire sur toute activité d'exploration dans le golfe. Un gouvernement québécois qui voudrait se lancer dans l'aventure en verrait de toutes les couleurs. Déjà, le gaz de schiste suscite beaucoup d'inquiétude, alors qu'il n'y a aucun exemple de catastrophe liée à son exploitation comparable à l'explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique.
À l'été 2008, Pauline Marois était revenue d'un voyage en Norvège avec des visions d'un avenir pétrolier grandiose pour le Québec. Si elle en est venue à proposer un moratoire lors de son passage aux îles de la Madeleine en août dernier, c'est qu'elle a mesuré l'ampleur de l'opposition à l'exploitation pétrolière dans le golfe.
Danny Willams se fout peut-être de la menace que représenterait une plateforme de forage à 80 kilomètres de l'archipel, mais aucun politicien québécois ne pourrait l'ignorer. Le directeur général de Nature Québec, Christian Simard, a rappelé hier que la seule industrie de la pêche au homard et au crabe génère des revenus annuels de 800 millions et fait vivre près de 10 000 entreprises.
Au sein même du PQ, l'idée d'exploiter le gisement Old Harry est très loin de faire l'unanimité. Lors d'un colloque consacré aux questions énergétiques en mars dernier, le débat avait été houleux. Le président du SDQ Libre, Marc Laviolette, avait ironisé en parlant de «Tintin au pays de l'or noir», mais M. Williams n'aurait certainement aucune objection à jouer ce rôle.


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