Crise énergétique canadienne: le Québec doit se ressaisir

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Un message pour le Bloc : « Dans ce contexte, il est impératif de réfléchir activement aux moyens de rétablir un rapport de force favorable au Québec »

Le Canada fait face à une crise énergétique qui réveille de vieilles querelles qui hantent le pays depuis fort longtemps, si ce n'est depuis l'époque où Sir Frederick Haultain, père fondateur de l'Ouest canadien, souhaitait fonder la Province of Buffalo qui se serait étendue grosso modo sur les territoires actuels de l'Alberta et la Saskatchewan. C'était au début du siècle dernier.


Le premier ministre du Canada de l'époque, Sir Wilfrid Laurier, en décidera toutefois autrement, lui qui fondera en 1905 deux provinces au lieu d'une seule, l'Alberta (à l'ouest) et la Saskatchewan (à l'est), pour ainsi ne pas nuire à la prédominance des provinces de l'Ontario et du Québec.


Frustré de cette blessure originelle, Monsieur Haultain passera le reste de sa vie à militer au sein du mouvement conservateur de l'Ouest canadien opposé aux libéraux.


Cette blessure sera rouverte et clairement aggravée par la mise en œuvre du Programme énergétique national du premier ministre libéral Pierre Elliott Trudeau, mis en place à partir de 1980 pour faire soi-disant face aux chocs énergétiques qui s'étaient amorcés dans les années 1970.


Ce programme fut vécu, notamment par les Albertains, comme une vraie dépossession de leurs ressources naturelles, dont on cherchait à faire profiter l'Est du pays au détriment des gens de l'Ouest. Il fallut attendre le gouvernement Mulroney, élu en 1984, pour que soit réparée cette bévue qui ne serait toutefois jamais oubliée. Le Programme énergétique national sera abandonné en 1985. La privatisation de Petro-Canada s'échelonnera quant à elle de 1990 à 2004.


L'unité canadienne et les pipelines


Évidemment, les problèmes soulevés par les différents projets pipeliniers canadiens impliquent plusieurs enjeux contemporains: relations avec les Premières nations, protection de l'environnement, lutte aux changements climatiques, etc.


Ces controverses s'inscrivent également dans une histoire, celle du Canada tel qu'il s'est construit, et révèlent que les vieilles blessures que notre pays n'a pas su panser nous rattrapent très concrètement.

L'échec de la mise en œuvre de plusieurs projets pipeliniers est en partie dû au fait que le Canada, qui est en quelque sorte un pays mal «bricolé», a historiquement échoué à renforcer son unité nationale ainsi qu'à faire en sorte que les différentes provinces se comprennent mutuellement.


Cet échec nous fait récolter aujourd'hui des fruits amers: colère, exaspération, sentiment d'incompréhension, risques d'escalade des débats.


L'Alberta lésée


Les Québécois francophones ne voient souvent dans toutes ces agitations autour des pipelines qu'une résurgence d'un Quebec bashing qui ne serait jamais disparu depuis la Conquête.


Or, bien qu'il existe bel et bien un Quebec bashing au sein du Canada anglais, les Albertains ont tout de même de bonnes raisons de se sentir lésés.


La crise actuelle leur fait réaliser que les autres Canadiens ne sont pas aussi sensibles à leurs difficultés qu'ils l'auraient espéré; qu'ils sont tenus pour acquis. Ainsi, après avoir contribué à la prospérité canadienne pendant plus d'une décennie, «l'Ouest canadien se sent abandonné. C'est évident.»


Ce ressentiment, qui s'ajoute aux blessures historiques, fait évidemment mousser le sentiment «séparatiste». Évidemment, dans le cas de l'Alberta, il n'est nullement question de l'établissement d'un mouvement organisé et prêt à faire sécession, mais il est clair que les rebuffades qu'encaissent les Albertains font en sorte qu'ils ne réagiront pas calmement.


Il suffit d'écouter les discours de monsieur Jason Kenney, chef du United Conservative Party, pour comprendre que les Albertains n'entendent pas à rigoler. Aujourd'hui chef de l'opposition officielle et face à un gouvernement NPD affaibli, monsieur Kenney devrait, si la tendance se maintient, devenir premier ministre de l'Alberta en mai prochain.


Scénario du pire


Une fois au pouvoir, Kenney cherchera assurément des options pour exporter le pétrole albertain vers les marchés étrangers. Or, si cette entreprise s'avère impossible, il a fait savoir qu'il forcera légalement un débat constitutionnel sur la péréquation à la suite d'un référendum dans le but avoué «de priver le Québec de la péréquation provenant des revenus de l'industrie pétrolière» de sa province.


Ce ne serait pas le scénario idéal pour l'Alberta pour qui construire des pipelines demeure la meilleure solution, mais ce serait le scénario du pire pour le Québec, car une chose est sûre: il se retrouverait isolé et en position de faiblesse.


En effet, plusieurs premiers ministres provinciaux au Canada trouvent que le Québec est un bébé gâté au sein de la fédération, et souhaitent eux aussi revoir la formule de la péréquation. Ils ont de bonnes raisons de souhaiter cela: le Québec n'a jamais contribué au programme de péréquation depuis sa création en 1957!


Se ressaisir


Dans ce contexte, il est impératif de réfléchir activement aux moyens de rétablir un rapport de force favorable au Québec au sein de la fédération sans quoi nous pourrions, ainsi que nos finances publiques, en pâtir malencontreusement.


Il ne s'agit pas ici de se mettre à plat ventre devant leurs volontés ni d'accepter à n'importe quel prix le passage d'un pipeline sur notre territoire, mais de comprendre que personne ne nous fera de cadeau, et que si nous n'avons pas les moyens de faire valoir nos intérêts intrinsèques, ils ne seront tout simplement pas pris en considération.


Le Québec a l'attitude détestable de souvent choisir la vertu plutôt que le pouvoir. C'est pourtant ce dernier qui devrait l'intéresser, car il demeure le seul moyen de faire valoir concrètement ses intérêts.

En définitive, la crise énergétique canadienne n'est pas que le problème de l'Alberta, c'est notre problème à nous aussi. Et si, en dépit de cette réalité, nous continuons de faire le choix du déni, nous n'aurons que nous-mêmes à blâmer pour nos malheurs futurs.



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