Écrit par Vincent Larouche - Au plus fort de la crise d'Octobre, la police a profité de la commotion causée par les kidnappings du FLQ pour faire peur à la mafia italienne, en envoyant aux pégreux un faux message signé par le mouvement terroriste qui menaçait de mort le parrain montréalais Vic Cotroni.
Cet acte de provocation délibéré fait partie des nombreuses manoeuvres clandestines dévoilées par l'ancien enquêteur de la Sûreté provinciale du Québec (ancêtre de la SQ), Claude Lavallée, dans son livre Révélation d'un espion de la SQ, qui arrive en librairies mardi.
L'enquêteur Lavallée, un nationaliste convaincu qui souhaitait combattre la mafia et qui craignait la dérive et les abus issus de la Loi des mesures de guerre, avait lui-même rédigé la fausse lettre attribuée au FLQ. Le style correspondait plutôt bien aux vrais communiqués des felquistes.
«Fini, la pègre protégée par la corruption ! Exploiteurs de vices au détriment des travailleurs québécois ! La 3e victime sera votre grand patron : V.C. Vive le Québec libre !» proclamait le court texte. L'expression «3e victime» faisait référence aux deux premières victimes de kidnapping du FLQ, James Cross et Pierre Laporte. Quant à V.C., il s'agissait des initiales de Vic Cotroni, le patron de la mafia.
L'enquêteur Claude Lavallée apparaît à droite sur les deux photos tirées du livre Les révélations d'un espion de la SQ.
«Mon collègue a lancé une roche à travers la fenêtre du Victoria Sporting Club, le club de Frank Dasti (bras droit de Cotroni), un repaire de pégreux. On avait attaché le message à la roche», se souvient avec amusement M. Lavallée.
«Ce genre de manipulation policière avait ses bons côtés : ça nous faisait du bien !» se souvient-il.
Semer la peur pour récolter des conversations
Le but recherché ? Faire peur à Cotroni et ses sbires, afin de les pousser à s'épancher au téléphone, alors qu'ils étaient sous écoute.
«Ç'a marché, ça les a mis sur le gros nerf, c’est pas possible ! Dasti a reçu le message, ensuite on l'entendait au téléphone, il disait "les sacraments, les suns of a bitch" en parlant du FLQ. Les gars ont commencé à vider leur amertume, ils étaient sous le choc. On était au beau milieu de la crise d'Octobre», dit-il.
Ce n'était pas la seule manipulation que son équipe avait utilisée contre la mafia. Il se souvient que son patron, l'inspecteur Patenaude, avait volontairement coulé de fausses informations aux journalistes Michel Auger et Jean-Pierre Charbonneau afin qu'ils les publient dans leurs journaux, histoire de passer des messages à la pègre. «Encore aujourd'hui, je pense que les deux ne sont pas au courant que ce n'était pas vrai», s'amuse M. Lavallée.
Déguisé en militant libéral
Dans son livre, l'ex-spécialiste de l'écoute électronique s'étend beaucoup sur l'enquête que lui et ses collègues menaient sur le ministre Pierre Laporte en 1970, en raison de ses liens avec la mafia. Une enquête que l'enlèvement du ministre a bousillée.
À l'heure où une foule de voix s'élèvent pour réclamer une commission d'enquête sur les liens entre le crime organisé, l'industrie de la construction et le financement des partis politiques, il est cocasse de lire le récit des péripéties de Claude Lavallée, qui s'était déguisé en militant libéral pour épier une soirée de financement du PLQ où un organisateur libéral festoyait avec Frank Cotroni et d'autres mafieux.
«Je me suis mêlé à la foule, où j'ai essayé de jouer le rôle du parfait libéral... J'avoue que ce n'était pas vraiment mon genre !» écrit-il dans son ouvrage.
Aujourd'hui, il se souvient d'avoir éprouvé beaucoup de compassion pour Pierre Laporte et sa famille, mais aussi beaucoup de déception de ne pas avoir pu compléter son enquête sur les soupçons de trafic d'influence dont il faisait l'objet. Mais il ignore si Robert Bourassa, qui insistait pour être tenu au courant de l'enquête, aurait laissé la police amener le dossier devant un tribunal.
Un autre passage capital de son livre concerne la mort de Pierre Laporte. Les versions de l'accident ou du meurtre délibéré continuent de susciter le débat 40 ans plus tard, comme en témoigne un récent reportage de Radio-Canada. Claude Lavallée, lui, affirme avoir enregistré illégalement une conversation du felquiste Paul Rose avec son avocat, Robert Lemieux, dans laquelle Rose avouait que les ravisseurs avaient achevé Laporte en serrant la chaînette en or qu'il portait au cou.
«Paul Rose a dit quelque chose comme "on l'a fini avec la chaînette qu'il avait dans le cou". Il a aussi raconté que Laporte avait essayé de les acheter en leur proposant de l'argent ou des postes au gouvernement. Mais cet enregistrement n'est jamais sorti, je ne sais pas ce qui est arrivé», dit-il sans plus d'explications. L'ex-policier convient que son récit n'est qu'une thèse de plus dans un débat où plusieurs versions des faits s'affrontent.
S'il était prêt à enregistrer illégalement les conversations d'un prévenu avec son avocat, l'enquêteur avait tout de même ses limites qu'il n'était pas prêt à dépasser. Ainsi, il a refusé de mettre sous écoute, à la demande d'un autre corps policier, la demeure de Gérard Pelletier, qui était alors secrétaire d'État à Ottawa, pendant la crise.
«Je ne sais pas exactement pour quelle raison ils voulaient ça, mais c'est sûr que pour la GRC, ça aurait été le jackpot de savoir à l'avance tout ce que leur patron pense de ce qu'ils font», dit-il.
Il n'a pas apprécié non plus qu'on lui demande de planter un micro dans le bureau du candidat du PQ à Shawinigan, Yves Duhaime. Et quand on lui a apporté un casque et une matraque, dans la foulée des arrestations massives autorisées par la Loi des mesures de guerre, il a laissé exploser sa colère.
«Je leur ai dit "qu'ils mangent de la marde, moi, je n'en veux pas de bâton". À l'époque, ça n'avait pas de bon sens, abuser du monde comme ça, ça allait trop loin», se souvient-il. Avec un tel tempérament, reconnaît-il, pas étonnant qu'il ait quitté la police avant l'âge de la retraite...
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