COLLISION LIBÉRALE

Ottawa refuse de révéler les détails de lucratifs contrats

La location de terrains aux abords du chemin Roxham s’avère payante pour l’homme d’affaires Pierre Guay

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La brèche immigrationniste et anglicisante qui fait sombrer le Québec

Le gouvernement fédéral a loué pour 10 ans, sans appel d’offres, les terrains d’un important contributeur du Parti libéral du Canada, afin de loger les migrants qui traversent la frontière de manière irrégulière par le chemin Roxham ainsi que les fonctionnaires qui les accueillent. Et Ottawa tente maintenant de cacher aux contribuables le montant de la dépense.


Le chemin Roxham, à Saint-Bernard-de-Lacolle, a été utilisé ces dernières années par plusieurs dizaines de milliers de migrants qui souhaitaient entrer au Canada pour demander l’asile politique, sans risquer d’être refoulés à un poste frontalier.



Les autorités avaient empêché les gens d’y passer au début de la pandémie, pour des motifs sanitaires, mais le passage a été rouvert à la fin de novembre. Une bonne nouvelle pour l’homme d’affaires Pierre Guay, propriétaire de la boutique hors taxes située au bout de l’autoroute 15, qui possède plusieurs terrains près de la frontière.


Car depuis 2017, l’afflux sans précédent de demandeurs d’asile, de policiers, d’agents des services frontaliers et de fonctionnaires fédéraux chargés de gérer les foules dans ce secteur s’est révélé payant pour M. Guay.


UN AFFLUX PAYANT



Le gouvernement fédéral a d’abord loué des chambres à l’hôtel Saint-Bernard, un établissement qui lui appartient, à un jet de pierre de la frontière.


« Le gouvernement du Canada a envoyé un chèque au propriétaire de l’hôtel. D’ailleurs, ce dernier doit être parti en vacances pendant un an, puisque les chambres étaient louées vides et que personne ne couche dedans », avait dénoncé le député conservateur Pierre Paul-Hus en Chambre.


La GRC a aussi accordé un contrat d’un demi-million de dollars à une entreprise de M. Guay pour qu’elle aide le corps policier à améliorer les installations de son détachement local.


De son côté, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a aménagé un grand campement avec des installations temporaires pour les fonctionnaires et les demandeurs d’asile sur les terrains de M. Guay. Un premier bail a été signé par le gouvernement fédéral avec son entreprise pour les années 2017 à 2021 inclusivement. L’ASFC refuse de dire quel en était le coût.


« L’ASFC dépense 3 millions de dollars par année pour l’infrastructure de traitement et d’hébergement des demandeurs d’asile située à Saint-Bernard-de-Lacolle au Québec, ce qui inclut notamment les baux », a expliqué à La Presse Dominique McNeely, porte-parole de l’agence.


Des 15 millions de dollars déboursés à cette fin en cinq ans, il faut notamment soustraire environ 6 millions accordés dans le cadre d’un contrat public à une autre entreprise qui fournit des roulottes. Sur les 9 millions restants, combien vont à Pierre Guay pour la location des terrains ?


L’ASFC et Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) refusent de le dire, malgré les demandes répétées de La Presse depuis un mois.


« Nous ne pouvons divulguer le montant des baux, car il s’agit de renseignements commerciaux confidentiels provenant de tierces parties, soit le bailleur », ont écrit les deux agences gouvernementales en réponse à nos questions. Pourtant, les tribunaux ont décrété plus d’une fois par le passé que les détails des baux signés par le gouvernement fédéral pouvaient être rendus publics.


FOURNISSEUR UNIQUE


Ce bail confidentiel de cinq ans a été signé sans appel d’offres en 2017, confirme l’ASFC. « L’occupation du terrain et des immeubles de l’entreprise Importations Guay Ltée à compter de 2017 s’est faite par attribution de contrat en source unique car le site répondait à tous les critères en raison de sa proximité du poste frontalier et des autres sites utilisés par l’ASFC et il était nécessaire de procéder rapidement dans le contexte d’un afflux de demandeurs d’asile », explique son porte-parole Dominique McNeely.


Récemment, comme ce premier bail arrivait à échéance, les autorités fédérales ont négocié une nouvelle entente avec Pierre Guay. Cette fois, il n’y avait plus urgence, mais l’ASFC n’a pas cru bon de solliciter d’autres fournisseurs potentiels. Elle s’est entendue pour aménager un nouveau centre régional de traitement sur les terrains de l’homme d’affaires. Le gouvernement a récemment commencé à rénover deux immeubles situés sur les terrains de Pierre Guay à cette fin. Les locaux seront transformés en « espaces multifonctionnels » qui pourront servir pour le traitement des demandes d’asile, comme entrepôt ou comme centre de formation.


« Il n’y a pas eu d’appel d’offres », confirme M. McNeely, qui souligne toutefois que des négociations ont permis de faire baisser le coût facturé par Pierre Guay.


« La nouvelle entente locative a été négociée par Services publics et Approvisionnement Canada en fonction des prix du marché pour arriver à un prix concurrentiel », dit le porte-parole.


Encore une fois, le montant est gardé secret par le gouvernement.


« Nous pouvons vous dire que le réaménagement du site représente une économie anticipée de 1,1 million de dollars annuellement. Cette solution était donc optimale pour l’efficacité des opérations et la saine gestion des finances publiques. Nous ne pouvons divulguer le montant des baux. »


— Dominique McNeely, porte-parole de l’Agence des services frontaliers du Canada


L’économie anticipée vient d’une réduction du coût du bail, mais aussi d’une diminution des coûts de location des roulottes et des coûts de transport de l’eau potable et des eaux usées grâce à l’aménagement d’un nouveau centre de traitement, selon l’ASFC.


GRAND DONATEUR


Joint par La Presse, Pierre Guay n’a pas voulu discuter des sommes qu’il facture au gouvernement.


« Je n’ai rien à faire là-dedans. Appelez le gouvernement, appelez le ministère des douanes, ils vont tout vous donner ça », a-t-il déclaré, bien que le gouvernement ait déjà refusé de le faire.


M. Guay nie être en position de monopole dans ce secteur. « Il n’y a pas juste moi avec qui ils font affaire à la frontière », assure-t-il.


L’homme d’affaires, qui possède aussi des boutiques hors taxes à Stanstead et à Stanhope, contribue au Parti libéral du Canada depuis longtemps. Entre 2004 et aujourd’hui, selon les données d’Élections Canada, il a donné environ 23 000 $ à la formation politique. Son fils, qui est aussi impliqué dans l’entreprise familiale, a donné environ 2500 $ au parti en 2018 et 2019. Les deux hommes ont participé à une soirée de financement avec la députée locale Brenda Shanahan et la ministre Chrystia Freeland en mars 2019.


Pierre Guay a aussi donné près de 4000 $ au Parti conservateur entre 2007 et 2015, pendant que la formation était au pouvoir, sans cesser de financer les libéraux. Depuis que Justin Trudeau est premier ministre, il ne donne plus aux conservateurs.


PAS DE RÈGLEMENT ENTREVU À COURT TERME


L’avocat spécialisé en immigration Stéphane Handfield, dont de nombreux clients sont entrés au pays par le chemin Roxham, réclame depuis longtemps que le gouvernement agisse pour freiner l’afflux de demandeurs d’asile par ce chemin.


Il suggère que le gouvernement renonce à l’entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, qui force les migrants à faire leur demande d’asile dans le premier pays sûr qu’ils atteignent. Ceux qui souhaitent poursuivre leur chemin vers le Canada ne peuvent donc pas passer par les canaux officiels, et beaucoup entrent par une voie irrégulière. Une fois qu’ils sont entrés, le Canada accepte de traiter leur demande d’asile. Cette situation entraîne des frais importants concentrés au Québec, dit-il.


« Toutes ces dépenses, elles sont reliées au chemin Roxham. Avant, les gens passaient par les postes frontaliers. Un gars qui part de Los Angeles et souhaite aller à Toronto ou Vancouver, il ne passait pas par ici à l’époque, mais maintenant, il passe par le chemin Roxham », explique-t-il.


« Ce qui me frappe avec la signature d’un nouveau bail de cinq ans, c’est que visiblement, ils ont l’intention de garder ça ouvert encore longtemps et de ne pas régler la situation à court terme », ajoute l’avocat.


464 : Nombre de demandeurs d’asile qui sont arrivés à Saint-Bernard-de-Lacolle entre la réouverture du chemin Roxham, le 21 novembre, et le 6 décembre dernier


52 : Nombre de demandeurs d’asile qui sont arrivés à Saint-Bernard-de-Lacolle au cours de la seule journée du 6 décembre, sommet quotidien depuis la réouverture du chemin Roxham


Source : Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile.


90 % : Proportion des 20 593 migrants entrés de façon irrégulière au Canada en 2017 qui l’avaient fait par le chemin Roxham


Source : Gendarmerie royale du Canada