Crise à la Cour suprême - Un gâchis qui aurait pu être évité

Le processus doit être réformé afin d’inclure dans les compétences des juges le bilinguisme et une expérience du bijuridisme

300a4a0012e7b49023729b91e24abd70

Encore faut-il toujours y croire

Le juge Marc Nadon récemment nommé à la Cour suprême s’est temporairement retiré durant la contestation judiciaire de son admissibilité à occuper l’un des sièges du Québec au plus haut tribunal du Canada. Cette situation soulève de sérieuses questions quant au processus de nomination des juges à la plus haute instance d’appel au pays, alors que le Barreau du Québec s’inquiète de la situation actuelle, qui « compromet les droits et principes pour une saine administration de la justice ».

La triste vérité est que ce monumental gâchis, qui « met en plus en relief une des plus grandes failles du fédéralisme canadien » - pour citer Antoine Robitaille -, était tout à fait évitable. La nomination du juge Nadon - qui siégeait à la Cour d’appel fédérale - à l’un des sièges québécois de la Cour suprême brise une tradition de 35 ans qui voyait des juges de la Cour d’appel du Québec nommés à la Cour suprême. Devons-nous en conclure qu’aucun juge siégeant au plus haut tribunal du Québec n’est digne de la Cour suprême, et/ou que l’excellence judiciaire du juge Nadon surpasse la leur ?

À coup sûr, le gouvernement savait que la nomination d’un juge de la Cour d’appel fédérale soulèverait des questions. Il a en effet demandé à ce sujet un avis juridique externe, qu’il a rendu public. Néanmoins, le seul fait qu’il existe un avis juridique ne résout pas le problème. Cela n’exclut ni n’empêche la Cour ou le Parlement de se prononcer sur le sujet.

Pendant la contestation, le juge Nadon restera sur la touche alors que la Cour suprême entendra plusieurs causes importantes, dont le renvoi sur la réforme du Sénat, qui portera précisément sur la question de la représentation du Québec à Ottawa.

Le Barreau du Québec a demandé au premier ministre « de soumettre cette question directement à la Cour suprême du Canada, tel que le permet la loi, au lieu de suivre le processus judiciaire normal qui pourrait s’avérer plus long ». En fait, cette question aurait pu être soumise en tant que renvoi à la Cour suprême avant même la nomination, ce qui aurait du coup évité la contestation. De plus, on aurait pu demander au Parlement de débattre de la question et de modifier la législation en cause - la Loi sur la Cour suprême - à n’importe quel moment.

Il est curieux de constater que, en août dernier, le ministre de la Justice Peter MacKay a déclaré lors d’une entrevue : « Il existe actuellement des articles dans la loi pouvant être interprétés comme excluant les juges fédéraux à des nominations à la Cour suprême. […] Il est nécessaire de mettre à jour ces dispositions. » Les problèmes que cette nomination pouvait soulever ayant été connus - et reconnus - en août, il est légitime de se poser les questions suivantes : (i) pourquoi le Parlement n’a-t-il été informé de la nomination du juge Nadon qu’une semaine seulement avant le début de la session de la Cour suprême débutant en octobre ; et (ii) pourquoi le ministre MacKay n’a-t-il pas demandé de modifications législatives à la Loi sur la Cour suprême, modifications qu’il a lui-même jugées nécessaires ? En fait, ces modifications pourraient-elles encore être soumises au Parlement lors de la reprise de ses travaux cette semaine ?

À cet égard, le Parlement n’a eu que très peu de temps pour se pencher sur la nomination du juge Nadon - avec à peine 48 heures d’intervalle entre l’annonce de la nomination par le premier ministre et la convocation d’un comité parlementaire ad hoc pour questionner le candidat Nadon.

On se souviendra que le juge Morris Fish avait atteint l’âge de la retraite obligatoire - soit 75 ans - et qu’il avait annoncé sa retraite en avril dernier. Il n’y a donc guère de justifications pour un processus d’examen parlementaire précipité et de dernière minute.

La nécessité d’une réforme du processus de nomination était également connue - et reconnue par le gouvernement Harper - depuis quelque temps. En effet, un rapport dissident du Parti conservateur sur la Réforme du processus de nomination des juges de la Cour suprême publié en 2004 - et endossé par Peter MacKay - recommandait que « Le candidat retenu [soit] ratifié par le Parlement » et déclarait sans ambages que « la législation doit être modifiée de façon à imposer le processus de nomination » (dans le texte original anglais du rapport : « so that the appointment process becomes mandated… »).

Modifications suggérées

J’ai déjà énoncé ailleurs les éléments que je considère comme essentiels dans le processus de nomination - et j’ai commencé à mettre en oeuvre un processus révisé en tant que ministre dès 2004. Parmi ces points essentiels, le ministre devrait faire une annonce publique du protocole de consultation - y compris les critères d’évaluation retenus -, et l’examen de candidats potentiels devrait être mené par un comité largement représentatif. Le ministre devrait aussi privilégier la « diversité », c’est-à-dire une représentation adéquate du tribunal en regard de la population canadienne. À ce sujet, bien qu’il ait été relevé que seulement trois des neuf sièges de la Cour sont présentement occupés par des femmes, le fait que cinq des six juges nommés par Harper soient des hommes est passé sous le radar. On pourrait certainement renverser cette tendance en s’assurant expressément d’une représentation adéquate et actuelle de la composition de la Cour.

D’autres réformes pourraient, et devraient inclure le bilinguisme, de même qu’une expérience du bijuridisme canadien - sans doute les motifs ayant inspiré les dispositions de la Loi sur la Cour suprême au sujet des sièges du Québec - tenant ainsi compte du besoin d’une représentation adéquate du Québec à la Cour.

Ce processus exige une réforme et j’espère qu’elle se produira avant la vacance à la Cour prévue pour l’an prochain. Car dans la situation actuelle, le Québec est sous-représenté à la Cour suprême du Canada. Celle-ci ne doit pas se prolonger. Surtout qu’elle était prévisible et évitable.
Irwin Cotler - Ancien ministre de la Justice et procureur général du Canada. Professeur émérite de droit à l’Université McGill

Squared

Irwin Cotler3 articles

  • 970

Député fédéral de Mont-Royal et ancien ministre de la Justice et procureur général du Canada, l'auteur est également professeur de droit (en congé) à l'université McGill et a été président de la commission internationale chargée de découvrir ce qu'il est advenu de Raoul Wallenberg.





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->