Essais québécois

Contre les fondamentalismes

Les Québécois attendront-ils la fin du monde avant de quitter cette galère de bigots devenus fous?

Actualité - analyses et commentaires



À Ottawa, montre Marci McDonald, le mouvement de la droite chrétienne nationaliste, avec l'appui idéologique et financier du mouvement évangélique, investit de plus en plus les lieux de pouvoir. De son côté, Djemila Benhabib se scandalise des accointances entre une certaine gauche et l'islamisme.

«Dans certains milieux, on avance que l'islamisation politique de la société québécoise est un danger réel et immédiat, écrit Françoise David dans le collectif Le Québec en quête de laïcité. Je ne partage pas ce point de vue et m'inquiète bien davantage du fondamentalisme chrétien dont les mouvements extrêmement riches et soutenus par des médias influents sévissent aux États-Unis et au Canada.»

Cette analyse irrite Djemila Benhabib au plus haut point. Dans Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident, l'auteure du retentissant Ma vie à contre-Coran (VLB, 2009) se scandalise des accointances entre la gauche occidentale et les islamistes.
«Qui aurait cru, écrit-elle, que le principe de l'égalité des droits et des devoirs, fondateur des démocraties, serait mis à mal principalement par des intellectuels qui n'ont cessé de nous rappeler les vertus de la tolérance, de l'ouverture et de la diversité? [...] Qui aurait cru qu'on jouerait les différences culturelles contre les fondements de la société québécoise pour mettre en valeur des pratiques obscurantistes?»

Le 9 mai 2009, une assemblée générale de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) se prononçait contre l'interdiction du port de symboles religieux ostentatoires dans la fonction publique, une décision rapidement appuyée par Québec solidaire (QS). Pour Djemila Benhabib, qui se définit comme une féministe de gauche, ce fut une journée noire.
Au nom de l'intégration des femmes immigrantes, explique-t-elle, la FFQ et QS ont sombré dans «la dérive communautariste», sous l'influence de militantes islamistes non représentatives de la majorité des femmes musulmanes du Québec, qui ne portent pas le voile.
«Faut-il rappeler encore une fois, insiste Benhabib, qu'une véritable politique d'intégration implique une remise en cause effective de la ghettoïsation et de la logique d'apartheid social et, tout particulièrement, un rejet du communautarisme? Le voile islamique n'est en soi qu'un ghetto ambulant qui véhicule des valeurs de repli identitaire.»

Essai brûlant dont l'écriture fébrile et le ton combatif témoignent de l'urgence du propos, Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident développe la thèse selon laquelle les islamistes, c'est-à-dire les partisans d'un islam politique totalitaire, travaillent actuellement à «faire plier l'Occident en le culpabilisant et [à] maintenir l'Orient dans les ténèbres». Pamphlétaire, Benhabib évoque une «bataille décisive» entre les forces islamistes et les démocraties occidentales et annonce que nous sommes «en train de la perdre», notamment par le fait d'une gauche encline au «relativisme régressif».
Benhabib n'adhère pas à la thèse du choc des civilisations. Elle n'oppose pas, comme deux essences incompatibles, les démocraties occidentales et les sociétés arabes ou musulmanes. Elle rappelle d'ailleurs qu'au sein même de ces dernières, des esprits libres ont combattu et combattent toujours le fondamentalisme et défendent la démocratie, la laïcité et l'égalité entre les hommes et les femmes. Pour elle, la ligne de partage se situe entre les démocrates laïques, d'une part, et les intégristes et leurs «idiots utiles», d'autre part.
Engagée dans cette lutte, Benhabib ne fait pas de quartier. Elle accuse les partisans de la laïcité ouverte — Gérard Bouchard, Charles Taylor, QS, la FFQ et d'autres — de faire le lit des intégristes et d'abandonner la majorité des femmes musulmanes qu'ils prétendent défendre. Forte de son expérience personnelle en Algérie, elle clame «que l'avancée des voiles islamiques, c'est le recul de la démocratie et la négation des femmes».
On pourra lui reprocher son ton par trop enflammé quand elle traite du Québec, et son refus radical de dialoguer avec les partisans de la laïcité ouverte, un principe qui s'accompagne de balises visant à éviter les dérives intégristes. Il faudra toutefois lui savoir gré de sonner l'alarme avec courage et a-plomb et de nous mettre en garde contre notre notoire propension à la naïveté.
Des « Jesus Freaks » à Ottawa
L'inquiétude de Françoise David quant à l'influence des mouvements fondamentalistes chrétiens peut surprendre. Au Québec, en effet, on ne peut pas dire que les croyants traditionalistes qui font dans l'activisme politique prennent beaucoup de place. Le Québec, cependant, continue, jusqu'à preuve du contraire, de faire partie du Canada et, de ce côté, depuis que les conservateurs de Stephen Harper détiennent le pouvoir, la situation ne laisse pas d'inquiéter.
Dans Le facteur Armageddon, une enquête très fouillée dont les révélations donnent froid dans le dos, la journaliste canadienne-anglaise Marci McDonald montre que la droite chrétienne nationaliste, avec l'appui idéologique et financier du mouvement évangélique conservateur américain, gagne en popularité et investit de plus en plus les lieux de pouvoir, notamment politique.
Férocement opposée à l'avortement, aux droits des homosexuels, aux thèses écologistes et évolutionnistes et à l'intervention de l'État dans les services publics, cette droite chrétienne, adossée à une lecture délirante de la Bible, ne souhaite
«rien de moins qu'une restructuration du Canada en tant que fervente nation chrétienne, dirigée par des gens qui prennent la Bible au pied de la lettre, en fonction de principes soigneusement sélectionnés de l'Ancien et du Nouveau Testaments».

Ce mouvement, que certains considèrent comme typiquement américain, s'active désormais au coeur du gouvernement du Canada. Des ministres conservateurs comme Stockwell Day (retraité), Jake Epp, Vic Toews et Gary Goodyear partagent plusieurs de ses thèses. Jason Kenney, un catholique traditionaliste, donne aussi dans cette tendance, de même que Stephen Harper lui-même, qui utilise son pouvoir de patronage pour modifier les tendances idéologiques des institutions fédérales en ce sens. Preston Manning, ancien chef du Parti réformiste, parraine avec ardeur ce détournement fondamentaliste chrétien du gouvernement canadien.
Les Québécois attendront-ils la fin du monde avant de quitter cette galère de bigots devenus fous?
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louisco@sympatico.ca


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