Complément au texte intitulé « Attentats en Norvège - Plus de démocratie, plus d'ouverture et plus d'humanité, mais jamais de naïveté»

Actualité internationale - Oslo attaquée

Attentats : un spécialiste norvégien des conflits s'exprime.
Johan Galtung est considéré comme à l'origine du domaine de la recherche
pour la paix (Peace Research).
Complément au texte intitulé [« Attentats en Norvège - Plus de démocratie,
plus d'ouverture et plus d'humanité, mais jamais de naïveté»->http://www.vigile.net/Plus-de-democratie-plus-d], publié dans
la section Idées du Devoir le 28 juillet dernier.

Quelques commentaires reçus reprochaient à mon texte d’idéaliser le modèle
norvégien, d'exclure de grands pans de la politique du pays. Le texte se
terminait dans l'espoir de voir ce pays novateur en prévention de la
violence pousser encore plus loin l’innovation. Les critiques de ce texte
qui voulait partager une perspective constructive en lien avec les
tragiques événements sont fondées. Quoi de mieux que d'aller voir une
opinion de l’intérieur, l'opinion éclairée d'un spécialistes des questions
de paix, et est bien placé pour relativiser mon propos sans compromis.
Si une opinion vaut la peine d'être entendue sur ces événements, c'est celle
du parfois controversé chercheur, Johan Galtung. Chercheur
particulièrement prolifique, le professeur Galtung est considéré comme
l’initiateur du domaine de l'irénologie, la recherche pour la paix (Peace
Research). Fondateur de l’organisme Transcend International, il a agi
comme médiateur, et spécialiste en résolution des conflits lors de
nombreuses confrontations internationales.
Le texte qui suit est composé à partir d'extraits d'une entrevue qui a été
publiée une semaine après les dramatiques attentats d’Oslo par les
journalistes du site internet Democracy Now. Le spécialiste, encore
ébranlé, y expose sa vision « à froid », on apprend que sa propre petite
fille était sur l'île d'Utoeya au moment des événements. Il trace un
parallèle troublant entre les idéologies d’extrême droite qui ont inspiré
le tueur et qui circulent actuellement en Europe; et l’idéologie nazie qui a
conduit à l’holocauste au cours de la Seconde Guerre mondiale. Le
chercheur est particulièrement bien placé pour tracer ce lien, son propre
père ayant été détenu dans les camps de concentration. Une perspective
unique.

Le choc!
Vous pouvez imaginer le choc lorsque j'ai appris que ma petite-fille était
arrivée sur l'île, non seulement le jour du massacre, mais sur le même
bateau que l'assassin. Le tueur portait une arme imposante, selon Ida qui
est membre de cette organisation de jeunesse travailliste réunie sur l'île
d'Utoeya. J’ai moi aussi été membre de cette organisation jeunesse, il y a
plusieurs années. Lorsque la fusillade a commencé elle a alors compris que
la situation était sérieuse. Ida s’est alors échappée avec une amie, sa
copine Johanna. Après s'être débarrassé d'une veste imperméable rouge,
elles ont pu se camoufler derrière une pierre, sous sa propre veste
imperméable verte.
De l'autre côté de la pierre, l'assassin était debout et tirait. Ses amis
tombaient sous les balles, et pleuraient, pleuraient et pleuraient. Il y
avait une large mare de sang. Mais, elle et son amie s’en sont échappées
indemnes. Vous pouvez imaginer que lorsque, après une heure ou près d'une
heure, un bateau est venu, elles n'ont pas osé sortir. Mais vint un plus
grand bateau qui, sans équivoque, apportait des secours. A ce moment elles
se sont échappées.
L’événement nous touche tous de près. Vous savez, c’est une toute petite
communauté? Nous, les Norvégiens, le moins qu'on puisse dire c’est que nous
ne sommes sont pas habitués à ce genre de chose. Ce seul événement a tué
76 personnes en un jour. Avec notre taux annuel de meurtre s’élevant à 40,
c’est le taux national de deux ans en une seule journée. Je n'utiliserai
pas le mot «terroriste». C'est un vocabulaire américain, dont l'usage est trop
courant. Ce terme est devenu un symbole signifiant: "Cessez de penser.
C’est tout simplement l’action du mal."
La Norvège?
Il me semble inutile de tenter d’expliquer l’événement dans une perspective
spécifiquement norvégienne. Je dois affirmer pour commencer que notre parti
de droite populiste est très loin des idées que je défends. Il y a une ou
deux décennies, il exprimait des idées fortement anti-islamiques et
racistes. Dans une très large mesure, il s’est libéré de ces perspectives.
Sont-ils opposés à l’immigration? Oui, bien entendu.
Mais ils ne sont pas seuls à partager ces vues en Norvège. Le meurtrier
n’était pas le reflet de ce parti. Il en a été membre, et a quitté. Il
est parti parce qu'il trouvait que les idées portées par ces partis étaient
beaucoup trop à gauche, ou au centre, pour les siennes. Dans le paysage
politique en Norvège maintenant, bien sûr qu'il y a des islamophobes, et
bien sûr qu’il y a des gens d'extrême droite qui ne sont pas organisés sous
l’égide d’un parti. Nous avons notre juste part de ce racisme.
Mais il y a une autre réalité. Dix pour cent des Norvégiens sont nés à
l'étranger. Une part importante d'entre eux sont musulmans. En général ils
sont parfaitement intégrés et parlent un norvégien de qualité. Il y a
maintenant une deuxième génération. Je dis parfois aux membres de famille
que je suis préparé au moment où il y aura dans ma famille un Galtung nommé
Mohammed et ou une Galtung nommée Fatima. Galtung est unes des plus
anciennes familles de la Norvège, le nom date de l'époque des Vikings.
Cela étant dit, j'ai l'impression que la rencontre de ces nouveaux
arrivants avec le milieu social-démocrate en Norvège contribue à atténuer
les choses. Par cette influence, leur islam est devenu, disons, moins axé
vers la confrontation. J’en sais suffisamment sur l'Islam pour soutenir
que le mot «confrontation» n’en est pas une constituante. Sauf quand son
essence est bafouée par la quatrième étape du Jihad. En termes généraux,
et à quelques exceptions près, les relations entre nos cultures sont
bonnes. C’est très différent de ce que vous pouvez trouver dans d'autres
pays, soit en Angleterre, aux Pays-Bas et bien sûr, en Hongrie. En Italie,
un parlementaire a même affirmé être à 100 pour cent en accord avec la
vision d’Anders Breivik, mais pas avec sa violence.
Mettre en contexte l'idéologie du Tueur.
Trois éléments clé de sa pensée.
J'ai identifié trois éléments idéologiques qui me semblent significatifs
dans la pensée du tueur. En premier lieu l’idée d’une guerre civile qui se
déroulerait présentement en Europe entre le christianisme radical,
essentiellement catholique, et l'islam. Une guerre civile du passé, qui est
toujours en cours. En second lieu, l'islam pénétrant l’occident sur une
route pavée par le multiculturalisme et la tolérance. La route repose sur
les assises construites par les principaux promoteurs de cette tolérance
qui se trouvent dans ce qu'il appelle «la culture du marxisme» et la
social-démocratie. Puis, le troisième point, les échanges et le débat qui
sont impossibles selon lui. Vous ne pouvez pas avoir un débat sur la question de
vouloir mettre fin à la démocratie norvégienne, parce que les gens sont
sourds et stupides. Les islamistes, eux, comme il les appelle en référant à
tous les musulmans, ne veulent pas entendre. Ils ne sont là que pour faire
avancer leur cause. En d'autres termes, aussi horrible soit-elle, la seule
voie possible c'est l’extrême, mais nécessaire violence. Nous avons là les
trois éléments de sa pensée qui me semblent significatifs.
Application d'une logique nazie :
De ce constat émerge immédiatement une question, qu'est-ce que ces
croyances me rappellent? La réponse est simple, mais horrible. La réponse
simple d'abord: elles me rappellent le nazisme. La vision d’une guerre
civile en Europe entre Juifs et Aryens qui est un principe de base de
l'hitlérisme nazi. Puis le fait que les Juifs sont de deux sortes: les
Juifs bolcheviques de Moscou et les Juifs ayant de l'argent à Londres. Pour
le second élément, la notion de pavage d’une voie pour eux. Je fais
immédiatement un lien avec le métissage, le croisement des races et les
mariages entre Juifs et Aryens; les pires crimes imaginables dénoncés par
le National Socialisme Hitlérien.
Puis en ce qui concerne le troisième élément maintenant, ces personnes ont
leurs conceptions, et il n'y a pas de dialogue possible. La seule option
c’est de les expulser. On devrait même les récompenser pour accepter les
expulsions, affirme-t-il. Autrement, l'alternative c’est de les exécuter.
Ce dernier point du nazisme a été repris dans les écrits de Breivik. Je ne
pense pas qu'il s’inspirait directement du nazisme, mais sa vision était
que chaque famille musulmane en Norvège devrait recevoir € 25 000 pour
quitter le pays, pour retourner dans leur propre pays. Si cette option est
rejetée, l'alternative doit être l’exécution.
C’est exactement la même
logique que les nazis ont appliquée avec les tristement célèbres « Accord
de transfert » au cours des années 1930. A cette époque, 60 000 juifs
allemands ont non seulement reçu la permission, mais ont été encouragés à
quitter pour la Palestine. Eh bien, on peut qualifier son idéologie de
néo-fasciste, c'est une inquiétante mise à jour. Cette similitude est
troublante, au lieu d'être anti-sémite, elle est anti-islam. Au lieu de
porter le métissage de la race comme fantasme, c'est le multiculturalisme.
Ainsi Breivik parle de contamination de la culture, où les nazis parlaient
de contamination de la pureté. Dans les grandes lignes, la similitude est
évidente.
Renforcement de l'idéologie par les politiques.
Mais voyez-vous, le plus dramatique, c’est lorsqu’on pousse plus loin la
réflexion: «A quoi nous fait penser cette façon de voir le monde?» La
réponse à cette nouvelle interrogation est encore plus horrible, et elle
pose un sérieux problème pour la Norvège. C'est exactement le même type
d'idéologie qui sert à justifier les attaques répétitives de Washington,
sur des pays musulmans. Il y a une guerre civile en Europe. C'est ce qu'on
appelle le «choc des civilisations»; une idée provenant de Bernard Lewis
professeur de Princeton et qui a été reprise par les éditeurs de Samuel
Huntington, et fut apposée comme titre de son livre; puis attribué à mon
avis, à tort, à Sam. Mais ce n'est pas grave, ce n'est qu’un simple
détail. La route de cette interprétation est tracée par les États
défaillants et des groupes d’intérêt « terroristes islamistes » prenant le
commandement de ces mêmes États en dégénérescence. Ces États en déroute,
ou ces groupes locaux, qu'ils soient des talibans, le Hamas, le Hezbollah,
Al-Qaïda, peuvent lancer des attaques contre les continents chrétiens
occidentaux, et particulièrement l’État américain. C’est ainsi que
plusieurs interprètent malheureusement les événements du 9 / 11. Le
troisième élément de référence est aussi présent. Le dialogue n'a aucun
sens. On ne peut pas parler à ces gens. Dangereux comme ils le sont, le
seul langage qu’ils comprennent, c’est la violence. Mon pays, la Norvège,
contribue à la popularisation et au renforcement cette dangereuse façon
d'agir en déployant des tireurs d'élite en Afghanistan qui tuent des tout
aussi dangereux talibans.
J’ai pu parler à un certain nombre de talibans. Ces échanges m’ont
profondément touché. Ce sont des êtres humains. Ils combattent pour leur
pays. Certains sont ce que nous appellerions des «extrémistes», mais la
plupart ne le sont pas. Pour simplifier, on pourrait encore une fois retenir
trois points de leur pensée. Point un, ils résistent pour l'islam, je
précise ici que je sais très bien qu’ils font fausse route, notamment en ce
qui concerne la condition de la femme. Notre deuxième élément, ils
détestent profondément Kaboul qu’ils voient comme le point de chute des
envahisseurs étrangers. Puis ils détestent être envahis. Je n'ai aucune
difficulté à accepter ces trois éléments qui me semblent fondamentaux dans
leur perspective.
J'ai par contre une énorme difficulté. En fait, je ne peux pas comprendre
et même, je rejette simplement l’approche du gouvernement norvégien. Celle
de contribuer à l'effort militaire américain pour tenter d'éteindre ce
qu'ils considèrent comme une rébellion; face à des gens auxquels nos
dirigeants ne peuvent même pas s'adresser directement. C'est contraire au
bon sens.
La Norvège applique aussi une logique similaire, en Libye. Nos F-16 ont
effectué 535 sorties, jetant 501 bombes sur ce qu'ils appellent des cibles
militaires. Si on accepte cette logique, Breivik pourrait affirmer: «Ma
bombe a tué très peu de personnes, et elle était sur la cible.» La cible
était le centre de prise de décision du gouvernement norvégien.
Effectivement, le parallèle est dégoûtant. Le cœur de cette question est
que mon petit pays la Norvège devient, soudainement, une victime.
Nous sommes tous dans le deuil aujourd'hui. De magnifiques cérémonies se
déroulent. Et je me dois de transmettre à mon premier ministre le fait que
ses paroles sont particulièrement bien choisies. Il parle magnifiquement.
Mais par ses actes de guerre la Norvège, sous la direction de Washington,
nourrit cette vision que Breivik porte du monde mais à une échelle beaucoup
plus large: agresseur-victime, et agresseur.
Chercher de véritables solutions :
Pour terminer, j’aimerais apporter une précision. Je n'ai pas la permission
de mes proches pour lire tous les détails de la lettre de ma petite fille.
Mais elle termine sa lettre à ses proches par une phrase importante. «Je
veux que vous sachiez tous que si je n'ai pas répondu à vos nombreuses
expressions de compassion, c’est que j'ai essayé de réfléchir. J'ai essayé
de penser à une seule chose: Comment peut-on prévenir des mouvements comme le mouvement auquel Breivik a participé?»
Je trouve cela très sage. Quelles sont les réponses à cette question plus que pertinente?
Laissez-moi tenter de donner une réponse préliminaire, car il faut
approfondir les voies de prévention. Il faut défier ces personnes de
l'extrême droite, les intégrer au débat de société. Propulsez-les dans
l'espace public, créez l'ouverture. Il faut débattre de ces questions
fondamentales, pas les refouler. Mais permettez-moi une mise en garde. Si
vous voulez les mettre au défi, vous devez être bien préparés. Ces gens
convaincus sont bien préparés. Ne sous-estimez pas les capacités de ces
idéologues. Cela doit se faire dans toute l'Europe. Ce n'est pas une
question de simplement identifier les cellules. C'est une question d'aller
à eux, d’établir un réel dialogue. Sortez-les. Invitez-les à confronter le
meilleur de notre société, créez un débat libre et ouvert.
Mais ce n’est pas tout, voici la partie la plus difficile. Cet exercice
sera impossible si vous n’êtes pas prêts à ouvrir les mêmes possibilités de
dialogue et de débats avec les autres, vos ennemis, ceux qui nourrissent
parfois ces pensées les Talibans, le Hamas, le Hezbollah et Al-Qaïda. Je
peux seulement vous le dire pour l’avoir fait, c'est très facile. Vous
n’avez qu’à faire l’effort de comprendre. Cela ne signifie pas que vous
avez à accepter les visions autres ou extrêmes, mais vous devez franchir la
portion de votre voie. C’est le début de la solution, de la prévention.
J'espère que mon pays sera capable de bien gérer tout ça. Je pense qu’il
n’y a qu’une seule voie pour bien faire face et prévenir une telle
situation. Identifier les points d’ouverture positifs, tant en Norvège,
qu’en Europe et dans le monde, puis ouvrir l’espace d’échange. En tant que
médiateur, je travaillerai sur ces questions et apporterai ma modeste
contribution.

Le script de l'entrevue radiophonique est traduit et adapté sous forme de
texte par Normand Beaudet responsable du dossier Paix, au Centre de
ressources sur la non-violence.
[www.nonviolence.ca->www.nonviolence.ca]
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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