Comme les autres

CAQ - Coalition pour l’avenir du Québec



En février 2010, le nouveau chef de l'ADQ, Gérard Deltell, avait accordé à mon collègue Robert Dutrisac, du Devoir, une longue entrevue dans laquelle il apparaissait comme un véritable patriote canadien.
À l'époque, M. Deltell faisait campagne pour rebaptiser le boulevard Henri-IV, à Québec, «autoroute de la Bravoure», en hommage aux soldats de la base de Valcartier qui se battaient en Afghanistan. M. Deltell reconnaissait avoir voté pour le Non au référendum de 1995 et il promettait bien de récidiver s'il devait y en avoir un autre. Il trouvait également le premier ministre Charest beaucoup trop agressif envers Ottawa.
Très satisfait du compte rendu de cette entrevue, il l'avait porté à l'attention du premier ministre Charest au cours de la période de questions orales à l'Assemblée nationale. Manifestement peu impressionné, M. Charest lui avait prédit que cet article reviendrait le hanter.
Comme pour lui donner raison, quelqu'un dans l'entourage de François Legault a glissé récemment à un journaliste que M. Deltell était «trop fédéraliste» à son goût. Le reproche étonne un peu, même s'il peut sonner agréablement aux oreilles des péquistes qui désertent leur ancien parti en masse. S'il veut attirer des fédéralistes, qui ne semblent pas se bousculer au portillon, M. Deltell pourrait faire un très bon exemple.
Contrairement à M. Legault, le chef de l'ADQ a au moins eu la franchise d'afficher clairement ses couleurs. Jean-Marc Fournier a raison: c'est trop facile pour l'ancien ténor péquiste, qui ne jurait que par un «programme de pays», de dire qu'il ne veut plus parler de souveraineté, tout en laissant entendre à ceux qui la souhaitent qu'il y croit toujours.
Les Québécois sont certainement en droit de savoir si l'homme qui aspire à les gouverner trouve avantageux de faire partie du Canada. Sinon, comment pourra-t-on apprécier la sincérité de la coopération qu'il devra nécessairement avoir avec le reste du pays?
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Dans les premiers volets de son programme, il lui était relativement facile de faire abstraction de la question nationale, quitte à faire quelques pirouettes pour réconcilier son nouveau discours avec l'ancien. On devrait aisément convenir que le fédéralisme canadien n'est pas un obstacle à la multiplication des groupes de médecine familiale ou à l'évaluation de la performance des enseignants.
C'est une toute autre affaire en matière de langue et de culture. À la différence des libéraux, qui pratiquent l'aveuglement volontaire depuis leur arrivée au pouvoir, la CAQ fait un constat lucide: le français se porte mal au Québec, surtout à Montréal. «Un nouveau souffle doit être donné à l'effort de francisation du Québec entrepris il y a près de trois décennies», reconnaît-on. Le souffle risque cependant d'être court.
Il ne fallait pas s'attendre à ce qu'un groupe dirigé par deux hommes d'affaires impose la francisation aux petites entreprises. À cet égard, la position de la CAQ, basée essentiellement sur l'incitation, est simplement un peu moins molle que celle des libéraux.
La «pause» suggérée en matière d'immigration et l'augmentation des ressources consacrées à l'intégration des nouveaux arrivants seraient certainement les bienvenues, mais elles n'annuleraient qu'en partie l'effet des politiques fédérales et le poids d'un État qui fait activement la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme.
La CAQ reconnaît d'emblée que la diminution accélérée du nombre de francophones dans le reste du pays constitue un sérieux handicap, qui ira inévitablement en s'aggravant, mais elle n'en tire aucune conclusion.
Outre l'utilisation de la clause dérogatoire pour éliminer les écoles passerelles, en quoi consisterait la souveraineté linguistique évoquée par M. Legault, qui a bien précisé qu'il ne fallait pas la confondre avec la souveraineté culturelle, plus exigeante, réclamée jadis par Robert Bourassa?
La Loi sur les langues officielles ne s'appliquerait plus au Québec? Les institutions fédérales et les entreprises à charte fédérale oeuvrant sur son territoire seraient désormais soumises aux dispositions de la Charte de la langue française? Et si Ottawa refusait? Même en position minoritaire, Stephen Harper avait fait la sourde oreille aux demandes du Bloc québécois et du NPD. Pourquoi serait-il plus réceptif à celles de M. Legault?
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L'irritation grandissante de ses futurs adversaires, péquistes comme libéraux, est tout à fait justifiée. Sous prétexte que la «coalition» qu'il dirige n'est pas un parti, M. Legault évite les sujets embarrassants, se contentant de lancer des bribes de programme ici et là, avant de disparaître jusqu'au prochain spectacle. Ce n'est même pas qu'il patine: il refuse tout simplement d'embarquer sur la patinoire.
En revanche, il ne se gêne pas pour monter une organisation et recruter des candidats. Il assure que le financement de la CAQ respecte volontairement les règles auxquelles sont assujettis les partis politiques. On peut toujours le croire sur parole, mais il n'y a aucun moyen de vérifier s'il triche ou non.
«Il n'y a personne au Québec qui peut croire que M. Legault n'est pas un acteur de la scène politique québécoise», a dit le nouveau ministre des Transports, Pierre Moreau. Sur ce point, les sondages lui donnent entièrement raison.
Les libéraux sont peut-être mal placés pour donner des leçons d'éthique, mais M. Legault lui-même n'a pas intérêt à donner l'impression que, avant même d'exister officiellement, son parti est déjà comme les autres.


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