Climat mental continental

Chronique d'André Savard

Les infos ont été largement occupées par la chute d’un paralume sous le nez d’automobilistes chanceux d’être encore en vie et par le débat sur le relèvement du plafond de la dette aux Etats-Unis. En principe, il n’y a pas de lien entre ces deux événements. Ils dérivent à différents degrés d’un débat qui est parti au sud de la frontière et qui a lentement pris place ici à savoir, quelle place accorder aux responsabilités de l’Etat.
Jean Charest s’est souvent livré à des critiques de l’Etat tentaculaire. Et on ne parlera pas cette fois-ci des discours tenus au sujet de la désuétude des gouvernements nationaux dès qu’on soulève la question québécoise. Baisser les impôts et les taxes en abandonnant le terrain au secteur privé a été un de ses thèmes de prédilection. Aussi, alléger la fonction publique, sous-traiter, privatiser l’expertise lui a paru un coup de génie. Et comme le parti Libéral compte beaucoup de bons élèves, les marottes du chef sont passées sans essuyer la critique des militants. Josée Boileau du Devoir a noté que par goût de l’épargne, le ministère des transports a confié de plus en plus la tâche de la surveillance à des techniciens.
On dit souvent que le droite au Canada, ce n’est que de la musique de chambre comparativement à la droite américaine. C’est vrai. On ajoute, généralement à l’intention spécifique de la « société distincte » québécoise, que celle-ci a fait subir un lavage gauchiste du cerveau et qu’une faille identitaire a rendu allergique à la responsabilité individuelle. Heureusement les temps seraient sur le point de changer. Heureusement, insiste-t-on, parce que la droite canadienne, une version poids plume de la droite américaine, ramènera à la réalité.
La crise de la dette aux Etats-Unis vient du fait que les gouvernements aux Etats-Unis ont renoncé à leur capacité fiscale. Le consommateur aux U.S.A. ne pait pas de taxe de vente au Fédéral pour une raison bien simple. Ce pays est pris dans une philosophie psychotique selon laquelle l’Etat, en renonçant à ses revenus, améliore les ressorts naturels de l’économie, l’économie étant, à l’origine, un état de nature qui sait répondre aux besoins réels des gens si elle n’est pas entravée par des influences contraires à son bon fonctionnement.
Selon cette philosophie, l’Etat doit s’effacer de manière à assister l’économie pour que ses règles de fonctionnement interne culminent. Une de ces règles voudrait que ce soit l’individu qui dépense, pas l’Etat. Comme le disait W. Bush à un parquet de riches venus l’applaudir : Vous savez très bien dépenser l’argent vous-mêmes et pas besoin du gouvernement pour vous dire comment dépenser. Le but du gouvernement c’est de préserver la capacité des individus de dépenser et même d’accroître cette capacité. La seule façon de faire c’est de voir l’Etat renoncer à ses sources de revenus et même de les diminuer.
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C’est dans ce climat mental que le gouvernement fédéral là-bas a accumulé plus d’un millier de milliards de dettes sans infliger des petits points de taxation à la caisse pour l’aider à rencontrer ses dépenses. D’où vient une telle aberration? Elle plonge des racines lointaines dans l’influence des églises protestantes qui ont fini par exercer une influence même sur des penseurs économiques qui disent pourtant se dévouer à une science plutôt qu’à une chapelle.
Les églises protestantes ont dans leur ensemble, il y a tout de même des exceptions marquantes, reprocher à l’Église de Rome de culpabiliser la richesse. Si une personne est riche, c’est parce que Dieu le veut. Donc si Dieu veut qu’un tel soit riche, c’est du devoir de vivre avec les conséquences qui sont dans le prolongement de la volonté de Dieu. Dieu veut que tous aient la vie en abondance et il faut laisser la volonté de Dieu s’exprimer de la première à la dernière étape pour atteindre ce but. La première étape c’est de laisser le riche être riche et de laisser la volonté de Dieu s’exprimer à travers les largesses des riches.
Avec le XXième siècle, la pensée économique a produit une version laïque qui procède du même mode ecclésial. Les marchés laissés à eux-mêmes créent un état symbiotique où tout rentre dans l’ordre en autant que les marchés ne soient pas perturbés et que l’Etat ne se dresse pas en surplomb pour substituer son ordre à l’ordre naturel des marchés. Plus l’Etat renonce à sa capacité fiscale moins il se met en travers de l’ordre naturel.
Cette philosophie délirante a-t-elle eu des incidences sur la gouvernance du Québec? Énormément, et sur tous les gouvernements du monde à différents degrés. Née de la mystique dérangée des dénominations chrétiennes en rupture de ban, la politique de congé fiscal du gouvernement américain a mis les Etats sur la sellette. On a inversé les rôles. Le but premier n’est pas d’aider le gouvernement à assumer ses responsabilités mais de placer chaque Etat en concurrence pour favoriser l’implantation des créateurs de richesses.
En principe, c’est gagnant-gagnant. On accorde des subsides ou des congés fiscaux mais on diminue le chômage. Lors du scandale touchant l’exploitation des gaz de schiste, on a vu jusqu’où cela peut mener. Le gouvernement Charest répondait qu’on pouvait lésiner sur les droits d’exploitation car l’industrie allait produire des gros salariés.
Au Québec, l’avancée de ces principes a pris un tournant qui a tombé dans l’accusation identitaire. Nous, Québécois, avons peur de la richesse. Nous, Québécois, avons fui la responsabilité individuelle et il en va du droit des générations futures de la rétablir. Nous, Québécois, accumulons trop de dettes, payons trop de taxes et d’impôts et défions l’effort entrepreneurial. Sans compter les accusations contre notre passé catholique, sous-entendant les diatribes contre la notion de juste profit promue par cette Église, vue comme un manque de confiance en la nature des choses. Sur ce point particulier, on se croit parfois au milieu des luttes de chapelles baptistes contre les cathos.
Depuis les années Reagan, les différents gouvernements du Québec ont été obligés de s’ajuster. Avec le gouvernement Charest, la vision a perdu beaucoup des réticences critiques des gouvernements précédents. Mais à l’heure où Moody’s fait passer à « négative » la note attribuée aux Etats-Unis, ce serait peut-être le temps d’en finir avec ça. Ce serait le temps d’en finir avec la mystique économique et de passer à l’économie.
C’est aussi absurde de dire que le capitalisme est une entité symbiotique qui atteint le parfait équilibre si on laisse faire que de dire que les médecins sont inutiles parce que le corps se guérit tout seul. Un gouvernement national a pour responsabilité de s’occuper du bien-être économique et moral de sa nation. Il ne devrait pas se soumettre à l’hypothèse d’une mystique économique qui saurait se substituer aux responsabilités du gouvernement. Cette mystique mettra à moyen terme les Etats-Unis en pleine décote et sur le bord de l’insolvabilité.
Un gouvernement national n’est pas un état contre-nature par rapport à un système capitaliste qui correspondrait, lui, à un état de nature bénéfique. Et les responsabilités d’un gouvernement national lui appartiennent en propre. Elles n’ont pas été volées par effraction à un système économique qui aurait tout autant pu les assumer lui-même.
André Savard


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