Tous nos souhaits de prompt rétablissement vont à Jack Layton. Le profane a pu lire sur son visage les stigmates d’une tumeur à progression fulgurante qui laissent appréhender le pire.
Il y a toutefois un déplorable angle mort qui a marqué la couverture médiatique de l’événement. On a fait une montagne avec le charisme du bon Jack. Les succès du NPD venaient du fait que les Québécois étaient tombés amoureux de sa canne et de sa moustache. Les Québécois, a-t-on pu lire et entendre, sont tombés à l’avenant amoureux de « Ti-Poil » et de la canne de Lucien Bouchard.
En fait, Jack Layton avait peine à soutenir un débat en français pendant la première moitié de son règne au NPD. Dire qu’il a suscité un engouement fou relève de la fiction surtout si on considère qu’après le débat des chefs, une telle minorité confessait leur confiance dans le NPD que les analystes doutaient que ce parti put remporter deux comtés.
On eût dit qu’à part promette « ene changment positive » Jack n’avait rien à dire aux Québécois. Et Jack Layton a continué de n’avoir rien à dire aux Québécois. Ce propos est dur? Les éditorialistes de l’organe d’information convergente Gesca se vantaient au lendemain de la victoire du NPD que Jack Layton ait remporté la victoire sans rien promettre au Québec.
Enfin, les unitaristes canadiens gagnaient sans avoir laissé présumer que le Québec est un être en soi qui a droit aux préséances. Enfin, des représentants élus dont la fidélité première allait au Canada! Enfin des députés qui rappelleraient au Québec son importance à titre de propriété canadienne! Enfin, des représentants élus qui, sous couvert d’ouverture sur le monde, se reconnaîtraient pour première mission de ne jamais exagérer l’importance relative du Québec dans l’ordre des grandeurs!
Ça jubilait à chaque ligne des commentaires.
Pour les unitaristes canadiens, le « changment positive », c’était de pouvoir enfin gagner au Québec sans avoir fait miroiter un champ de nouvelles possibilités à l’adresse du Québec. Enfin quelqu’un (Jack) qui gagne au Québec en se disant ouvertement du côté de la rectitude politique canadienne. Même Trudeau n’avait pas réussi cela, lui qui savait pertinemment que la perception trouble des Québécois sur la véritable signification de sa carrière politique constituait son meilleur allié. Le « french power » comme on disait…
Ce qui a notamment aidé Jack Layton au Québec, plus que sa canne et sa réputation de bon gars, ce fut une assertion ressassée par le commentariat avec la régularité d’une musique de fond pendant plus de quinze ans à l’adresse des Québécois : «Le pays vous glisse entre les doigts? La solution est simple! Ne soyez pas anti régime! Ne votez jamais anti régime! »
Depuis les dernières années, on n’a jamais vu la nation québécoise se faire dire autant que son avenir résidait dans la rectitude politique canadienne. Pire encore, affirmer que le Québec se réduit démocratiquement à l’impuissance s’il déroge de la rectitude politique canadienne est « politiquement correct ». Nul n’y voit l’indice d’une corruption de la démocratie canadienne elle-même.
Au lendemain du dernier référendum, le NPD pas plus que autres partis unitaristes n’a voulu mettre les événements en perspective. Sous la gouverne de Jack Layton, le NPD comme les autres partis unitaristes a ressemblé à un ramassis de personnages de fiction pris dans un combat grandiose contre le Mal. Le NPD a alors appuyé de plein cœur la loi de Stéphane Dion et si ce parti se rebiffe aujourd’hui contre le principe de la majorité qualifiée, il se montre solidaire de tous les autres dispositifs de la loi de Dion.
Jack a suivi la ligne des autres unitaristes canadiens mais son parti n’avait pas l’air d’être un parti de divas comme le parti Libéral. Il n’avait pas l’air non plus d’être au milieu d’une perpétuelle crise de vedettes comme on le voyait au parti Libéral. Comment aurait-il pu d’ailleurs? Son parti était de cinquième importance.
Il reste qu’avec cette absence apparente de morgue, le NPD a pu appuyer les politiques dédaigneuses à l’égard du Québec avec, en bénéfice, le fait que ça passait sous le radar. Le bon Jack ne s’est pas formalisé de la nature aberrante du système politique qui donne le droit de se prononcer démocratiquement sur une proposition (l’indépendance) dont la mort est annoncée d’avance. En effet, si on n’a pas le droit d’affirmer son autorité sur les groupes ethniques et sur les citoyens canadiens, tous les gens du Québec relevant d’au moins une de ces catégories, en quoi la démocratie québécoise peut-elle être souveraine? Le bon « Jack » a voté pour ça. C’est juste pour dire que même une bonne personne, quand les intérêts du régime sont en jeu, peut prendre le parti du régime contre les personnes.
Jack Layton est un bon gars, certes. Mais c’est à une juxtaposition de politiques anti-Québec qu’il doit sa couronne de chef de l’opposition officielle. Le NPD a été complice de l’édification de la rectitude politique canadienne sans en avoir été l’auteur direct. Cette dernière qualité lui a permis de se disculper et prendre du galon face à l’autre offre politique, le parti Libéral.
Faire de la carrière de Jack Layton une belle histoire d’amour, c’est mentir. La prochaine fois que vous entendrez l’expression « le bon Jack », sentez l’angle mort au service du phénomène Jack Layton.
La solidarité envers la lutte personnelle de Jack Layton, oui, mais l’angélisation de ce dernier, non.
André Savard