PARLONS STRATÉGIE

Clarté, quand tu nous tiens…

Chronique de Richard Le Hir

J’avais d’abord écrit le texte qui suit en réponse à un commentaire que Michel Laurence avait laissé à mon intention sous l’article de Robert Barberis-Gervais intitulé « Pourquoi une action politique à l’extérieur des Partis ». En le relisant avant de l’envoyer, j’ai réalisé qu’il était d’intérêt général et j’ai choisi plutôt de le présenter comme contribution personnelle à la Tribune Libre. Les lecteurs comprendront toutefois qu’il leur est offert sous sa forme originale de message à l’intention de Michel Laurence.
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Votre commentaire sur le rôle de l’écart dans la confirmation de la légitimité d’un vote et votre rapprochement avec la Loi sur la clarté référendaire font preuve d’une certaine confusion dans les concepts. Je ne dis pas ça pour vous en faire le reproche, la plupart des gens sont dans le noir le plus total sur cette question.
Réglons tout d’abord le cas de la Loi fédérale sur la clarté. C’est assez facile à faire, car cette loi n’a aucune portée juridique sauf quant au gouvernement fédéral lui-même. Elle ne lie en aucune façon le gouvernement du Québec. En ce qui le concerne, elle est ultra vires, c'est-à-dire qu’elle va au delà des compétences du parlement fédéral. Le gouvernement fédéral le sait, mais les Canadiens l’ignorent, et sur le plan politique dans le ROC, c’est ça qui compte.
Cette loi visait seulement à combler le trou béant ouvert dans l’argumentaire fédéral par la décision de la Cour suprême dans le renvoi sur le droit du Québec de faire sécession. Il faut en effet comprendre que, contrairement à ce qu’ont affirmé certains par calcul politique à très courte vue, la décision de la Cour suprême est une victoire importante pour le Québec. Y est en effet reconnu son droit de faire sécession, ce qui est aux antipodes de la position qu’avaient toujours maintenue les fédéralistes à l’effet que le Québec n’avait pas ce droit.
Mieux encore, la Cour suprême établit que la question de la sécession éventuelle d’une province est d’abord affaire de légitimité. Devant cette gifle majeure, le gouvernement fédéral s’est senti le besoin de réaffirmer, essentiellement pour la consommation du ROC, qu’il avait le pouvoir, sous-entendu parce qu’il l’exerçait, de définir les conditions de la légitimité au Québec, pour les fins du Québec. Le fait d’avoir « exercé » ce pouvoir ne signifie pas pour autant qu’il le détient, et la Cour suprême serait obligée de le désavouer si le Québec le contestait.
Si le Québec ne l’a pas fait du temps que le PQ était encore aux affaires, c’est que certains stratèges d’opérette se sont imaginés qu’il y avait quelque chose à gagner à cultiver l’image du Québec opprimé, et qu’il fallait à tout prix représenter le fédéral sous les traits d’un dragon prêt à écraser le Québec sous sa botte, histoire d’attiser des flammes qui n’ont guère besoin de cet accélérant pour menacer la baraque.
En fait, un des premiers gestes d’émancipation que pourrait poser un nouveau gouvernement québécois arrivant au pouvoir serait de déclarer qu’il ne se sent pas lié par la Loi sur la clarté, pas plus qu’il ne l’est par la Constitution de 1982. En ce qui concerne cette dernière, il y a une différence entre ne pas la reconnaître et tenir un vote à l’Assemblée nationale pour la déclarer nulle et de nul effet en ce qui concerne le Québec. Même pas besoin de revendiquer des pouvoirs qu’on ne nous donnera pas de toute façon pour commencer à brasser sérieusement la cage.
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Mais revenons à la question de la légitimité. Si la Loi référendaire n’a aucune portée sur le Québec, en revanche les principes (des principes, pas des règles) de la légitimité en ont. La Cour suprême les a rappelés, mais ces principes ne sont pas canadiens, ils sont universels, et notre entrée dans le concert des nations est subordonnée à leur respect.
En 1994, de nombreuses voix s’étaient élevées au début de la campagne électorale pour tenter d’amener le PQ à reconnaître que la majorité requise lors d’un référendum devait être supérieure aux traditionnels 50 % +1. Je me souviens d’avoir répondu lors d’une conférence de presse aux côtés de Bernard Landry que la démocratie fixait la majorité à 50 % +1 et qu’il n’y avait pas de « démocratie du dimanche » comportant des exigences supérieures à la norme pour les référendums. Cette réponse avait contribué à calmer le jeu.
Cela dit, dans les dernières semaines de la campagne référendaire et au fur et à mesure que l’échéance se rapprochait, tous les ministres étaient bien conscients que si le « oui » l’emportait, ce serait de justesse, et certains s’interrogeaient ouvertement des conséquences d’un vote serré en faveur du « oui ». Plusieurs ministres se confiaient même, dans leurs échanges privés, qu’il serait plus facile de gérer une courte défaite qu’une courte victoire. Et en cela, ils n’avaient pas tort. Rappelons-nous simplement les menaces de démembrement du territoire de certains adversaires les plus radicaux.
Au-delà des 50 % +1, la question de la majorité suffisante n’en est donc ni une de droit, ni une de principe. Elle est avant tout pratico-pratique, et le pragmatique que je suis utilise l’écart à des fins illustratives, alors que vous croyez pour votre part qu’il sort tout droit de la Loi sur la clarté référendaire.
La réalité est simple. Plus cet écart est important, moins la reconnaissance internationale se fait attendre. Et moins cette attente est longue, mieux s’en portent toutes les parties. Soyez bien assuré que s’il fallait que nous en arrivions-là, le Canada serait le premier à souhaiter que cette reconnaissance soit accordée au Québec rapidement, parce que tant que ce ne serait pas fait, c’est le Canada qui se trouverait à supporter la plus grande part du fardeau économique et politique (tant à l’interne qu’à l’international) de l’incertitude.


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4 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    29 mai 2010

    Permettez que je revienne vous questionner, M. Le Hir. J’ai deux petites questions qui pourraient peut-être intéresser sur Vigile.
    1) La « déclaration politique », plutôt qu’une « Loi », je n’avais pas vu la nuance, cette « déclaration » à venir de l’Assemblée Nationale, une déclaration solennelle et forte, répudiant et invalidant la constitution de 82,de même que la loi sur la clarté, devant aplanir et écarter les questions oiseuses à l’encontre de l’indépendance, cette déclaration s’inscrirait dans un processus référendaire à venir ?
    Q) Est-ce que je vous ai bien compris ? Un référendum à venir !
    2) Selon vous, la loi sur la clarté étant ultra vires, et un gain réel pour le Québec, cela m’a agréablement surpris, cette loi de la clarté n’aurait somme toute qu’un effet minime, et ne servirait qu’à boucher un trou dans l’argumentaire fédéraliste. Du vent aussi bien dire. Pour autant, bien sûr, que l’écart entre les % du oui et du non, que cet écart soit le plus grand et positif en faveur du oui.
    Q) Si la portée de la loi sur la clarté, la loi Dion, n’a pas une bien grande valeur juridique et contraignante, comme vous le suggérez, elle pourrait en avoir politiquement, à moins que vous ne jugiez ici aussi le Parlement Canadien d’être un parlement d’opérette, qui aurait fait là une loi d’opérette, pour frimer l’électorat canadien.
    Ne pensez-vous pas, M. Le Hir, que la loi du clairvoyant Dion, serait plus à consommation politique bien davantage que légal, et que plutôt que de « contenir » et « circonscrire » un référendum, c’est L’ACTION POLITIQUE ELLE-MÊME du Gouvernement et de l’Assemblée Nationale issue d’une élection, qui serait à « circonscrire » et « contenir » politiquement ?
    Du vent, la loi Dion ?
    Du vent la Constitution de 82 ?
    Une simple « déclaration » suffirait à expulser le fédéral ?
    Canada, sors de ce corps !
    Légalement, votre stratégie est lumineuse. Mais politiquement, elle pourrait trouver la draft pas mal forte !
    Le vent s’est déjà levé d’ailleurs, ne l’avez-vous pas remarqué ? Sarkozy a déjà largué les souverainistes…
    Et votre simple « déclaration », suivant l’élection d’un gouvernement souverainiste, appellerait au vent.
    Eh ben.

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mai 2010

    reconnaître l’indépendance d’un nouvel État et reconnaître le résultat d’un référendum consultatif sont deux choses différentes
    la Convention de Montévidéo (1933) statue que l’État, à titre de sujet de droit international, doit avoir :
    a) une population permanente;
    b) un territoire défini;
    c) un gouvernement effectif;
    d) la capacité d’entrer en relation avec les autre État (= sujets de droit international)
    la reconnaissance de l’indépendance d’un nouvel État ne concerne que le point d)
    la reconnaissance d’un résultat référendaire ne concerne rien

  • @ Richard Le Hir Répondre

    28 mai 2010

    Réponse @ M. Haché
    M. Haché,
    J'ai parlé d'une déclaration à l'Assemblée nationale, et non d'une loi.
    Une déclaration a valeur politique seulement, et non juridique.
    La seule chose que le gouvernement fédéral pourrait faire, c'est de faire la même chose. Vous voyez d'ici les deux gouvernements s'interpeller du haut des tours de leurs parlements respectifs ?
    Mais le message, lui, serait sans équivoque et permettrait l'évacuation, avant même le début de la campagne référendaire de tous les arguments oiseux contre l'indépendance.
    Richard Le Hir

  • Marcel Haché Répondre

    28 mai 2010

    Je suis d’accord avec vos conclusions.
    Mais pourquoi faudrait-il qu’un des premiers gestes d’un gouvernement que vous ne nommez pas ici comme souverainiste ou indépendantiste, pourquoi faudrait-il qu’il fasse loi pour indiquer qu’il ne se sentirait pas lié par la constitution de 82 ? Une Loi ?
    Pourquoi ce timing qui offrirait sur un plateau à l’institution fédérale, de s’immiscer dans les affaires du nouveau gouvernement provincial qui, même si encore très provincial, n’en serait pas moins légitime ?
    Il me semble qu’une pareille loi serait inutile et contre-productive : ce serait le plus sûr moyen de donner très gratuitement « au fédéral » l’occasion de « valider » et de reconstituer très facilement sa propre légitimité auprès de l’électorat fédéraliste au Québec, mais SURTOUT du R.O.C, ensuite.
    Si les choses devaient se passer rapidement, la reconnaissance, ce que je crois possible et nécessaire moi aussi, pourquoi une simple Loi (qui changerait peu de choses), pourquoi une loi qui durcirait rapidement à elle seule l’opinion publique du R.O.C. compliquant d’autant la marge de manœuvre du gouvernement fédéral ?
    Dans un rapport de forces inégales, il me semble que le risque serait que le « fédéral » soit brusqué et braqué par son propre électorat.
    Autrement dit : pourquoi alors fournir à l’institution fédérale le fuel politique si rapidement, si imprudemment peut-être ?