Citoyenneté, indépendance et conventions internationales

Chronique de Claude Bariteau


Texte publié dans Le Soleil du samedi 3 novembre 2007 sous le titre : "Ces charges qui ont pilonné l'édification du Québec..."
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Les projets de loi du Parti québécois visant à instituer une citoyenneté québécoise auront surtout un effet pédagogique, car le Parti libéral du Québec et l'Action démocratique du Québec n'entendent pas s'aventurer dans cette direction. C'est heureux. Leur contenu, axé sur une problématique identitaire, véhiculait un souci culturellement défini qui, parce qu'il s'inscrit dans une législation provinciale, exigeait l'accord du Canada, ce qui conduisait à instituer une citoyenneté de peuple minoritaire à l'instar des exemples cités par Jean-François Lisée.
Dit autrement, ces projets, à remettre en question sur les limites à l'exercice de droits reconnus par le Canada, cherchent surtout à consolider une nation définie en construction autour d'un devis identitaire historiquement ancré. Sous cet angle, ils font sens principalement comme paravent aux pressions multiples exercées par le Canada sur le vivre ensemble élaboré au Québec ces quarante dernières années.
Alors que le projet de faire du Québec un pays s'inscrit dans l'affirmation d'un État indépendant, il est étonnant de découvrir qu'un parti ayant fait de cette réalisation sa raison d'être s'active tant sur la défensive. Deux facteurs m'apparaissent actuellement au centre de ce virage: le désarroi politique engendré par les charges canadiennes, en particulier celles déployées sous Jean Chrétien dans le Canada de Pierre Elliott Trudeau, et l'affaiblissement du paradigme péquiste de la tenue d'un référendum après la prise du pouvoir pour faire le pays.
Du Canada
Les charges canadiennes sont connues. [Pour éviter que les Québécois ne commettent un crime contre l'humanité, M. Trudeau rapatria la Constitution et la modifia->9686], sans l'aval de l'Assemblée nationale ni du peuple québécois, en y insérant des règles qui renforcent les pouvoirs du Canada et bloquent toutes modifications futures majeures.
Treize ans plus tard, comme les Québécois furent encore invités à commettre un crime contre l'humanité, il fallait les en empêcher. D'où les contournements de la loi québécoise sur la consultation populaire, des naturalisations à toute vitesse et autres gestes analogues. Pour éviter d'avoir à les en empêcher une troisième fois, il y eut des mesures à profusion pour miner les terrains là où le peuple québécois consolidait son vivre-ensemble et, en prime, une loi soumettant tout recours à un référendum aux diktats de la Chambre des communes.
Ces charges ont pilonné les bases de l'édification du Québec contemporain et contraint son affirmation. Le repli parut justifié et l'érection de murs de protection, la stratégie adéquate en attendant qu'autre chose paraisse à portée de main pour lever la tête. C'est dans ce cadre que s'explique le dépôt des deux projets de loi péquistes auxquels d'autres, analogues, devraient s'ajouter. Le Québec est menotté, le peuple cloisonné dans la prison qu'est devenue la province de Québec et les leaders péquistes cherchent à stopper la débandade.
Cette réaction, différente de celle des adéquistes qui cherchent dans le Canada un terroir de survie, prend cette forme chez les péquistes principalement parce qu'il n'y a pas à l'avant-scène un paradigme permettant de presser le pas dans la direction de l'affirmation. Ce point est très important. Au Québec, le projet de faire pays s'est figé dans le paradigme référendaire. Or, celui-ci, pour qu'il donne des résultats probants, nécessite des ententes entre les parties impliquées sur la question posée, le pourcentage décisionnel et les règles à respecter, à tout le moins un engagement de l'État d'origine à respecter les règles dont s'est doté un peuple pour utiliser ce véhicule.
Mode électoral
En l'absence de telles ententes, tout reporter aux calendes grecques est une erreur. Il y a d'autres avenues, notamment la voie électorale. Plusieurs pays sont devenus membres des Nations unies en l'utilisant. À titre d'exemple, la République tchèque et la Slovaquie, créées d'un commun accord des parlementaires élus, sont devenues membres des Nations unies. Les pays baltes (Estonie, Lituanie et Lettonie) le devinrent aussi après une élection assortie d'un sondage et suivie de l'accord de la Fédération de la Russie qui succéda à l'URSS. Cette voie, tout aussi valide qu'un référendum, est d'ailleurs astreinte aux mêmes conventions pour devenir membres des Nations unies.
Ces conventions sont de deux ordres. Le premier concerne les facteurs retenus pour évaluer une demande de reconnaissance des Nations unies. Il y a la notion de peuple et le fait que ce dernier rencontre des contraintes qui entravent son développement politique, économique, social et culturel, en quelque sorte son vivre ensemble et sa présence dans le monde. Il y a aussi des garanties qu'offre l'État demandeur quant aux obligations associées au statut d'État souverain, en particulier le respect des droits fondamentaux dont ceux reliés à la citoyenneté et ceux reconnus aux minorités, la capacité de l'État demandeur de maintenir l'ordre sur le territoire visé et les accords signés avec l'État d'origine.
Satisfaire à ce premier ordre ne suffit pas. Les décideurs, qui sont les États existants, ont le pouvoir de reconnaître ou non un nouvel État indépendant. Leur décision s'appuie habituellement sur l'existence d'un accord menant à la sécession entre l'État demandeur et l'État d'origine. Ils chercheront même à le susciter diplomatiquement si l'État demandeur affiche une légitimité repérable susceptible d'être reconnue par l'État d'origine, car conforme aux règles des démocraties libérales. Cette façon de faire s'inscrit, il va sans dire, dans le respect de la souveraineté des États existants de telle sorte que, par courtoisie envers l'État d'origine, les membres des Nations unies attendront la reconnaissance de l'État d'origine avant de reconnaître l'État demandeur, l'exception étant les demandes émanant de peuples ayant le statut de colonisés.
De tout cela, le point central, celui qui conduit aux pressions venant d'États tiers, est le soutien du peuple de l'État demandeur, car il octroie une légitimité. Des parlementaires élus en majorité mais n'ayant pas le soutien du peuple n'ont pas cette légitimité. S'ils procèdent, seul l'aval de l'État d'origine leur permettra d'obtenir une reconnaissance des membres des Nations unies. Si l'État d'origine refuse son aval, il y aura impasse et potentiellement des affrontements dont pourra tirer avantage l'État d'origine.
Légitimité
Avec ce soutien, tout devient différent. Les parlementaires ont un mandat qui leur donne la légitimité d'instituer, au nom du peuple, une nouvelle autorité sur un territoire visé. Si l'État d'origine refuse de négocier, il y aura conflit de légitimité. Au Québec, une élection, au cours de laquelle des partis indépendantistes ont comme plate-forme électorale celle d'instituer le pays s'ils ont un soutien majoritaire du peuple québécois, engendrerait un conflit entre une légitimité émanant du peuple et une autre découlant de la prise de possession d'un territoire par la Grande-Bretagne et l'institution progressive d'une autorité canadienne par des parlementaires sans mandat émanant du peuple.
C'est ce que craint le plus l'État d'origine qu'est devenu le Canada sans l'aval du peuple québécois mais ce à quoi seront sensibles les démocraties occidentales. Aussi suis-je d'avis que c'est dans cette direction que doivent naviguer les promoteurs de l'indépendance du Québec si tant est qu'ils privilégient la création du pays au repli identitaire, définissent leur démarche dans le cadre des règles démocratiques et entendent oeuvrer sur l'essentiel sans faire fi des projets sociaux qui les animent, c'est-à-dire en s'animant à l'intérieur d'un pacte ou autrement pour sortir de la prison provinciale et instituer un État de droit à l'image et dans le respect de l'ensemble des futurs citoyens du Québec.
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Claude Bariteau, Anthropologue
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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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