Cirque royal, Wallonie indépendante à 70%

Chronique de José Fontaine

Le Premier ministre Elio Di Rupo que personne n'a jamais considéré comme un autonomiste wallon ardent met vraiment le paquet pour que les tournants politiques essentiels du pays passent en un sens inaperçus.
Des accords à la pelle
Il a obtenu des accords à la pelle. Des accords dans son gouvernement fédéral et avec les partenaires sociaux pour unifier le statut des ouvriers et des employés, pour imposer encore plus d'économies et la sixième réforme de l'Etat est finalisée par tous les partis de la coalition gouvernementale belge ainsi que les Verts hors gouvernement.

Le roi actuel Albert II, entretemps, a annoncé, le 4 juillet, qu'il abdiquerait le 21 juillet prochain, atteint par la limite de ses capacités physiques. Il l'annonce au moment où ces accords sont entérinés et où, dans les médias officiels, on insiste - ce qui est nouveau - sur les grandes capacités intellectuelles du prince héritier sur lesquelles il y avait beaucoup de doutes jusqu'ici. Dès son voyage en Californie, les responsables belges avaient observé une amélioration dans ses prestations, amélioration soudaine qui n'a sans doute rien à voir avec le fait qu'il va devenir roi.
Les émissions spéciales se suivent dans les médias. Les photos de famille aussi. Il y en a quatre sur cette modeste chronique, mais il y en aura encore! Pour tout le monde!
Au Palais royal, le futur ex-couple royal reçoit du monde autant vaut dire tous les jours depuis l'annonce de l'abdication : des déjeuners réunissent tous les anciens Premiers ministres d'Albert II, tous les acteurs politiques de la 6e réforme de l'Etat, les Présidents des Régions fédérées. Les experts en communication notent longuement que le futur couple royal revêt des habits de couleur claire pendant que le futur ancien roi est habillé de manière plus sombre, indiquant ainsi qu'il passe la main (mais on ne change pas de robe ni de pantalon pour mettre en évidence l'accroissement des pouvoirs de la Wallonie et de la Flandre).
Les médias et en particulier la RTBF, ne peuvent qu'être pro-gouvernementaux en la circonstance et vraiment ne peuvent que relayer la propagande gouvernementale. Il ne faut pas oublier que côté Wallonie et Bruxelles, trois des quatre partis politiques importants soutiennent le gouvernement (libéraux, socialistes et ex-démocrates-chrétiens), les Verts soutenant aussi la 6e réforme de l'Etat. Il y en a donc pour tout le monde d'autant plus que si les libéraux ne sont pas au pouvoir en Wallonie, les Verts y sont.
N'empêche que c'est gênant. Il y a tout de même deux partis en Flandre, avec une majorité des sièges à la Chambre qui sont exclus de la fête. Et le FDF, important parti francophone bruxellois n'y est pas non pus convié.
Côté flamand
Côté flamand, redisons-le, c'est important, si trois partis traditionnels (libéraux, démocrates-chrétiens et socialistes), sont au gouvernement, la puissante NVA (nationalisme flamand de la droite démocratique), et le Vlaams Belang (extrême droite), n'y sont pas. Dans les élus flamands au Parlement fédéral, le gouvernement n'a pas la majorité.

Les Verts flamands, comme côté wallon, ne soutiennent pas le gouvernement, mais supportent sa réforme et la confectionne avec les ministres. Le rejet de la NVA dans l'opposition (c'est le parti le plus important en Flandre), n'est pas quelque chose de courant dans notre histoire ni que le Premier ministre soit un Wallon, bilingue de bonne volonté mais pas tout à fait bon. Conscient du rôle qui est le sien, Elio Di Rupo a annoncé en quelque sorte lui-même qu'il serait un Premier ministre belgo-flamand de droite dès la première réunion du gouvernement : «Nous devons tout faire pour soutenir les partis flamands de la majorité, pour leur faire gagner les prochaines élections. Nous devons être parfaitement conscients que leur position n'est pas facile. Nous leur sommes redevables de l'effort qu'ils ont fait.» »[[Le Soir du 26 décembre 2011.]]
L'ennemi est désigné : la NVA à laquelle les sondages promettent un triomphe aux élections de 2014 qui risque d'éclipser toutes les élections auxquelles les Belges vont participer le 25 mai 2014 : à l'Europe (1), au fédéral belge (2), en Wallonie (3), à Bruxelles (4), pour le Parlement communautaire français (indirectement ici) (5), à la Communauté germanophone (qui compte 70.000 habitants) (6). Et en Flandre! Celle qui risque de compter au point que l'on se demande s'il faut aller aux autres. (7) Cela fait autant de votations que les déjeuners à Laeken d'ici le 21 juillet mais sur une matinée.
Une victoire de la NVA ne remettrait pas en cause l'actuelle 6e réforme de l'Etat, mais ce parti veut aller plus loin, transformer la Belgique en une confédération quasiment d'Etats indépendants. Raison pour laquelle la RTBF se fait le relais de la propagande actuelle (et ne peut que le faire même si c'est gênant à première vue, comment agirait-elle autrement?). Rendant compte de la Fête nationale flamande qui a lieu le 11 juillet, d'entrée de jeu, la journaliste lit un premier titre sur l'événement avec un enthousiasme en quelque sorte nord-coréen (mais il faut redire que c'est dans le contexte d'une sorte de consensus impérieux des partis démocratiques qui forment une Oligarchie qui ne l'est probablement pas) : LA NVA EST COMPLETEMENT ISOLEE EN FLANDRE! Hurrah pour la Belgique!
Hurrah pour la Belgique?
Ces cris de victoire pour la Belgique avec un défilé permanent de futurs ex-roi et ex-reine (Albert II et son épouse), de futurs rois et reine (Philippe et sa femme) se résument en ces mots qui sont finalement un slogan de propagande belgicaine : UN NOUVEAU ROI POUR UNE NOUVELLE BELGIQUE.

Avec la condition qu'on en dise le moins possible sur cette nouvelle Belgique. Ce qui est tout de même incroyable!
Quand on additionne l'ensemble des budgets régionaux et fédéraux, on arrive à un chiffre = 100. Hors le service de la dette, le fédéral représente 48,5 dans ce chiffre et les Etats fédérés 51,5. Mais avec la 6e réforme de l'Etat, le fédéral va tomber à 30 et les Etats fédérés vont monter à 70. Cela n'étonnera qu'à moitié mes lecteurs québécois, je l'annonce depuis longtemps à la louche, le calcul précis exigeait des spécialistes. Mais chez nous le fédéralisme est une idée si neuve (1980 dans les faits), une idée qui a dû s'imposer contre (je ne vois pas d'autres mots), un Etat strictement unitaire, fortement centralisé et désastreusement pour la Wallonie, on peut le montrer en quelques lignes. De sorte que passer de 0 à 70 en 33 ans, c'est cela la vraie information. Et, à moins de se moquer des institutions, cette Belgique ne sera même plus nouvelle, elle ne sera plus, ses composantes auront pris le dessus sur elle.
Mais la propagande gouvernementale fausse tout : cette modification aussi fondamentale du pays ne semble concerner que la Flandre. La télé montre le Président flamand conversant avec le Premier ministre et commente en disant que les deux hommes sont maintenant politiquement à égalité. Ne croyons pas qu'elle montrera jamais le Président wallon : celui-ci commente si peu que pas l'augmentation de 50% de son pouvoir politique. On a bien montré au journal des allocataires sociaux en Wallonie qui craignent que leurs allocations diminuent. Préoccupation bien légitime des personnes interrogées. Mais les médias ne devraient-ils pas aussi dire que l'Etat pour les Wallons est devenu avant tout un Etat wallon et plus un Etat belge?

Le budget de l'Etat flamand sera demain de 37 milliards d'€ supérieur au budget de l'Etat fédéral belge qui sera de 31 milliards d'€ et c'est vrai proportionnellement pour la Wallonie ( 20 milliards d'€ de budget, qui ne l'emporte pas encore en chiffres absolus parce qu'elle est presque deux fois moins peuplée que la Flandre [[Moins riche aussi économiquement, mais les écarts qui sont réels à cet égard n'expliquent pas tout. J'estime les choses à 20 milliards en tenant compte du fait que le budget wallon sera de 9,5 milliards et celui de la Communauté française de 13 milliards, mais celle-ci est en fait gouvernée principalement par des Wallons qui en représentent en gros 80 %. ]]) . Pourtant, seuls semblent compter les couleurs des robes qu'enfilent Mathilde de déjeuner en déjeuner avec l'élite politique belge.
La récupération par l'Europe
Dans le grand journal flamand De Standaard d'hier, Bart Sturtewagen, tempère l'enthousiasme de ceux qui, comme moi, saluent l'arrivée d'un Etat où la Wallonie et la Flandre pèseront plus que cet Etat malgré les .
C'est vrai que l'Union européenne - je le redis ici depuis des mois - est en train d'imposer un traité d'austérité à tous les Parlements qui vont en quelque sorte supprimer leur prérogative essentielle qui est le contrôle du budget. L'ensemble de la Belgique comme de la France etc., va être soumis à une norme budgétaire européenne et l'étape prochaine est l'annexion de l'Europe à l'Empire américain.

Ceci démontre une nouvelle fois que de Gaulle avait raison, lors de sa conférence de presse du 15 mai 1962, de dire que l'Europe intégrée allait supprimer toute politique et conduisait à l'annexion de l'Europe dans un vaste ensemble sous la houlette d'un fédérateur qui ne serait plus européen mais qui seraient les Etats-Unis d'Amérique. Le combat contre l'Union européenne, le combat contre les USA et le capitalisme ne font plus qu'un : c'est le combat pour la démocratie que poursuit le Québec depuis deux siècles. Si je tiens tant à parler à vous amis québécois de ce côté-ci de l'Océan, c'est parce que je sens que Wallons et Québécois mènent un combat de même nature dont la catastrophe ferroviaire de Lac Mégantic est une sorte d'illustration.
Ce combat ne se mène pas contre le monde qui change ni contre les nations qui se rapprochent les unes des autres, au contraire. Il refuse simplement qu'à la faveur de la mondialisation actuelle, s'installent des structures de nature impériale en vue de supprimer les petites, moyennes et grandes nations et en vue de supprimer la démocratie au bénéfice de la barbarie néolibérale.

Featured 11746605790305d4d2500c52aa75121d

José Fontaine355 articles

  • 386 685

Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    21 juillet 2014

    Bonjour,
    Très bon article... mais comment expliquez-vous que la situation se soit encore aggravée depuis, cf. la récente hystérie footballistique ?
    Paradoxalement, alors que les régions obtiennent plus de compétences (sans les moyens) l'identité Wallonne est niée, voire inexistante. La majorité des habitants de Wallonie se sentent et/ou belges, italiens, maghrébins... Jamais Wallons.
    Les médias bruxellois et la presse subventionnée y sont pour quelque chose. On cite souvent la sortie de De Wever sur les junkies Wallons comme preuve d'un certain racisme flamand... mais on ne parle jamais de la presse francophone et en particulier du groupe Sud-Presse qui tient un discours bien plus négatif encore, et ce d'une manière subreptice, par le biais du faits divers soigneusement orienté.
    Quel avenir pour la Wallonie ? Certains souhaiteraient à présent supprimer le Coq Wallon... Le nom même de Wallonie subsistera-t-il ?
    Voilà, merci de votre attention,
    Cordialement
    LDW