IDÉES

Ceci n’est pas un «grilled cheese»

633d16ac193e7d3d459565eb9ed88dfb

Le retour en arrière de l'OLQF

Depuis environ deux semaines, un débat qui peut paraître réservé à des initiés bat son plein dans les médias. La grande question semble être de savoir si l’Office québécois de la langue française doit ou non permettre maintenant l’utilisation du mot « grilled cheese ». Or, l’enjeu est ailleurs.



Dès la seconde moitié du XIXe siècle, des lettrés québécois ont constaté que des anglicismes étaient fréquemment acceptés en France — qui n’a pas la vulnérabilité linguistique du Québec — et qu’il ne leur faudrait compter que sur eux-mêmes pour se protéger de l’assimilation à l’anglais. C’est Alphonse Lusignan qui a créé le mot « patinoir » (d’abord attesté au masculin, dès 1880, sur le modèle de fumoir, dortoir ou séchoir) pour remplacer le skating rink adopté par les Français.



À la même époque, on utilisait au Canada français les mots « lisse » et « char » pour rail et wagon (les petits chars désignaient alors les tramways et les gros chars, les trains. Nous n’en gardons aujourd’hui que l’expression familière « c’est pas les gros chars », qui signifie « ce n’est pas terrible »). De même, la Société du parler français au Canada préconisait au début du XXe siècle de remplacer baseball par « balle au camp » et hockey par « gouret ».



On peut rire de certaines de ces propositions aujourd’hui, mais qui voudrait renoncer à « patinoire » et adopter skating rink ? Et qui reprocherait à René Lecavalier d’avoir francisé une partie importante du vocabulaire du hockey dans les années 1950, alors qu’avec l’arrivée de la télévision, ce commentateur a servi de modèle linguistique à ses auditeurs ? Ces tentatives constantes de francisation des anglicismes, malgré de nombreux essais infructueux, ont donné naissance à un nombre important de néologismes et sont un des mécanismes faisant partie de la résistance traditionnelle du Québec à l’anglicisation de sa langue.



D’abord portée par des membres du clergé, des sociétés savantes ou des individus influents, la mission de veiller à la francisation de certains mots anglais a ensuite été confiée à l’Office de la langue française dès sa création en 1961. Depuis des décennies, l’organisme, qui se nomme depuis 2002 Office québécois de la langue française, a permis au Québec des avancées importantes en matière de francisation, parfois pour des vocabulaires entiers (chaussure, golf, informatique, etc.) et sert de repère non seulement aux locuteurs du Québec, mais aussi aux langagiers (traducteurs, réviseurs, terminologues, etc.) de l’ensemble de la francophonie. Cette volonté de franciser les anglicismes est l’une des caractéristiques reconnues du français au Québec et permet que nous utilisions couramment aujourd’hui des mots comme « mot-clic », « clavarder » et « baladodiffusion », proposés par l’OQLF, ou « sociofinancement », « égoportrait » ou « infolettre », qui émanent de citoyens ou d’entreprises.



Trois phases



Lorsqu’une nouvelle réalité apparaît et qu’elle est désignée par un mot anglais, le processus de francisation s’orchestre schématiquement en trois phases : 1) l’OQLF émet une proposition (ou une proposition naît dans la société) ; 2) l’usage avec le temps adopte ou non le néologisme proposé ; 3) s’il s’implante suffisamment dans l’usage, le nouvel emploi est attesté et décrit par les dictionnaires.



Et c’est ici que la nouvelle politique de l’emprunt de l’OQLF étonne. Elle prétend qu’elle opte maintenant pour une « stratégie d’intervention réaliste », qu’elle va tenir compte de la « légitimité » des usages et de leur traitement dans des « ouvrages normatifs ». Or, sur qui se basent les ouvrages normatifs pour accepter ou critiquer un emploi : bien souvent sur l’OQLF !



> Lire la suite de l'article sur Le Devoir



-->