Revue de presse

Ce qui bout dans la marmite

Conflit étudiant vu de l'étranger


Le conflit étudiant et ses manifestations continuent à résonner au Canada anglais. Certains comprennent toujours mal qu’une hausse des droits de scolarité plus bas qu’ailleurs au pays provoque un tel tollé. D’autres tentent de l’expliquer.
Kate Heartfield, de l’Ottawa Citizen, avoue trouver exagérée la réaction des Québécois à la loi 78 et à la hausse. « Je comprends que bien des Montréalais n’aiment pas la loi 78. Je ne l’aime pas beaucoup non plus, pas plus que le règlement antimasques de la Ville de Montréal. Mais de toutes les atteintes aux libertés civiles que les gens combattent, il me semble qu’une loi exigeant des manifestants qu’ils donnent un préavis avant une grande manifestation est très loin au bas de la liste. » Heartfield invite les étudiants québécois à prendre du recul et à se rendre compte de ce que paient les étudiants des autres provinces. « La capacité des Canadiens de s’indigner semble complètement disproportionnée en comparaison des enjeux. Outrage au Parlement ? Complicité en matière de torture ? Détention d’enfants soldats ? Nous haussons les épaules. Une province veut relever ses bas droits de scolarité pour s’approcher de la moyenne canadienne ? Aux barricades ! » La journaliste voudrait aussi que ceux qui frappent sur leurs chaudrons sachent que leur expérience n’a rien à voir avec ceux qui les ont inspirés, les Chiliens combattant la dictature de Pinochet.
Martin Regg Cohn, du Toronto Star, tente pour sa part d’expliquer pourquoi un mouvement similaire a peu de chances de voir le jour en Ontario, où les droits de scolarité sont pourtant les plus élevés au pays. Le moment est d’abord mal choisi puisque les cours sont terminés, puis le contexte et la culture politique sont différents. « Les manifestations au Québec ont lieu avec, en toile de fond, des enquêtes sur la corruption qui jettent un éclairage peu flatteur sur la classe politique. De plus, Québec a une longue tradition de grève étudiante contre les hausses des droits de scolarité, car on estime qu’il existe un contrat social au sujet de l’accessibilité aux études universitaires. » Une autre raison est la promesse faite par les libéraux de Dalton McGuinty, durant la campagne électorale de 2011, d’offrir un rabais de 30 % sur les droits de scolarité, rabais dont environ 200 000 étudiants bénéficient. Mais Cohn constate que les libéraux ontariens ne se croient pas pour autant immunisés contre une possible contestation. « Les étudiants de partout sont habités par un profond ressentiment dû à leur endettement croissant, à leurs perspectives d’emploi diminuées et à leurs droits sociaux qui régressent ». Le premier ministre McGuinty aurait d’ailleurs demandé à son personnel de se pencher sur cette question, sachant que les jeunes Ontariens ont eux aussi le sentiment d’être floués.

Occupy Québec ?
Ancien conseiller libéral devenu chroniqueur pour QMI, Warren Kinsella croit d’ailleurs que le mouvement pourrait finir par se répandre. Il voit des similitudes avec le mouvement Occupy et même avec les jeunes protestataires de Toronto, de Londres ou d’Athènes. Des gens sont actifs pour la première fois politiquement, sans leaders omnipotents ni plaintes précises, la question des droits de scolarité ayant cédé le pas à un mécontentement plus large. « Ce sont des jeunes qui tournent le dos à l’ordre établi parce que ce dernier ne fonctionne plus pour eux et ne semble ne l’avoir jamais fait. » Les jeunes sont désenchantés devant un système qui les invite à s’endetter, à aller à l’école, à respecter les règles pour ensuite leur offrir bien peu. C’est en partie pour cela qu’ils ne votent pas, dit Kinsella. Selon lui, « personne ne devrait s’étonner de ce qui se passe au Québec. Les syndicats, les entreprises et les gouvernements sont tous tournés vers l’argent et le pouvoir, ce que les jeunes n’ont pas. Et quand les gens, jeunes et vieux, ont le sentiment qu’il n’y a pas d’issue, ils se mettent en colère. » Il en déduit que l’été sera long au Québec, et fort probablement ailleurs.
Richard Gwyn, du Toronto Star, parle en revanche d’une crise « à propos de rien », le coût n’étant pas le premier facteur de la fréquentation universitaire. Mais cela ne rend pas cette crise moins intéressante ou sans conséquences, poursuit-il. Il en cite deux, la première touchant les incontournables médias sociaux. La seconde, plus étonnante, l’amène sur le terrain constitutionnel. « Le séparatisme est en rémission, mais rien n’a pris sa place. Le résultat est une sorte d’inertie politique, une situation inconfortable pour les Québécois, qui ont toujours été plus actifs politiquement que les autres Canadiens. Peut-être assistons-nous à un nouveau départ politique au Québec. » Notant le mépris réservé ailleurs au pays aux étudiants qui se plaignent des hausses et la faible participation des étudiants anglophones au mouvement québécois, il souligne la passion qui a animé les débats entre francophones. « La politique est à nouveau vivante au Québec », ce qui pourrait conduire, pense-t-il, à une quasi-autonomie gouvernementale, avec un gouvernement plus à gauche et plus interventionniste qu’ailleurs au Canada. « Ce qui pourrait signifier une autre querelle constitutionnelle, possiblement aussi radicale et décourageante que d’autres que nous avons connues. »


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->