François Desjardins - Drainant une foule comparable à celle qui était venue entendre Paul Martin et Stephen Harper, soit 800 personnes, Henri-Paul Rousseau est sorti d'un long mutisme hier, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), pour défendre son bilan en exprimant un seul regret: oui, il y avait trop de papier commercial dans les livres de la Caisse de dépôt et placement.
Armé d'une présentation grand écran, M. Rousseau, qui a manifestement beaucoup travaillé pour cette première sortie publique depuis son départ de la Caisse en mai 2008, a livré un discours de 48 minutes -- plutôt long pour un dîner de la CCMM -- au cours duquel il a lié les pertes de 39,8 milliards à un contexte de crise mondiale, et non à une mauvaise gestion des placements.
«Une crise financière sans précédent a secoué le monde à l'automne 2008, soit cinq mois après que j'ai quitté la présidence de la Caisse. J'ai donc vécu la crise à l'extérieur de la Caisse», a dit M. Rousseau, qui a insisté lourdement sur le fait que, à son départ, personne n'aurait pu prévoir la suite des événements.
«Cela ne veut pas dire que je reste indifférent. Je suis très sensible à la tourmente dans laquelle cette crise financière mondiale a plongé la Caisse et ses déposants», a-t-il ajouté, en disant qu'elle est «en bien meilleur état qu'on ne le croit généralement».
À ce chapitre, l'ex-patron de la Caisse de 2002 à 2008 a vanté son propre bilan en y allant d'une analyse susceptible de froisser ses prédécesseurs: de 2003 à 2007, l'établissement a réussi à générer 15 milliards de plus que s'il avait tout simplement prolongé sa performance «de troisième quartile, comme il le faisait systématiquement de 1988 à 2002».
La Caisse a dévoilé le mois dernier la pire performance de son histoire, une perte de 40 milliards se traduisant par un rendement de -25 %. Nettement pire que le rendement médian affiché par les autres gestionnaires de régimes de retraite canadiens, soit -18,4 %, cette performance a renouvelé le débat sur la mission de la Caisse et soulevé un vent de critiques envers la direction actuelle et son ex-président.
De la fin de 2007 à la fin de 2008, l'actif net des déposants de la Caisse est passé de 155,4 milliards à 120,1 milliards.
Parlant d'une «tempête parfaite» sur les marchés, M. Rousseau a cependant affirmé qu'«on ne peut pas avoir été pendant plus de cinq ans à la tête d'une institution aussi prestigieuse sans ressentir aujourd'hui une sincère empathie à l'égard des gestionnaires et des employés toujours en place. La Caisse a vécu des moments difficiles et cela me touche profondément.»
Pas responsable de la crise
«Aucune politique de diversification, aucune politique de gestion de risques ne met à l'abri de ce genre de synchronisme, qui ne s'est pas produit depuis 80 ans», a dit M. Rousseau. Prié par un journaliste de dire s'il n'avait pas des excuses à offrir, l'ex-président de la Caisse a dit ceci: «Je suis très d'accord avec le fait de prendre mes responsabilités, mais je ne prendrai pas la responsabilité de la crise financière.»
Lors du dévoilement des résultats, l'actuel président par intérim, Fernand Perreault, a indiqué que, parmi les raisons de cette contre-performance, figuraient une perte de neuf milliards liée à son programme de protection contre les taux de change et une provision de quatre milliards pour ses placements dans le papier commercial (PCAA).
Mais plusieurs se sont interrogés sur l'héritage d'Henri-Paul Rousseau. Montré du doigt, M. Rousseau, qui a quitté la Caisse à la fin de son mandat de cinq ans pour se joindre à Power Corporation, a dit avoir «le devoir de parler à l'ensemble des Québécois». Ancien professeur d'université, il s'est donc présenté avec un discours de 11 pages, à interligne simple, une présentation de type Powerpoint, un communiqué de presse et une salle réservée pour répondre aux questions des médias, ce qu'il a fait pendant près d'une heure après son allocution.
PCAA
Il y avait trop de PCAA, a-t-il convenu lui aussi. «Comme l'a dit le président Fernand Perreault, l'erreur ne fut pas de détenir des PCAA; elle fut d'en accumuler autant», a reconnu M. Rousseau.
Le PCAA était un placement de moins de 90 jours dont le rendement provenait d'actifs sous-jacents, comme des dettes de cartes de crédit, des hypothèques, des voitures de location, etc. Il reposait aussi sur des credit default swaps, très complexes. Il était bien coté par l'agence DBRS et offrait un rendement légèrement plus élevé que les bons du Trésor.
Alors que le marché canadien comptait environ 35 milliards en PCAA, la Caisse en détenait le tiers, ce que M. Rousseau a expliqué en disant que l'institution avait d'énormes quantité d'argent comptant à placer et qu'il n'y avait pas assez de bons du Trésor disponibles.
En raison d'une crise de confiance et des agissements de certaines banques étrangères, en août 2007, le PCAA a été complètement paralysé, faute d'acheteurs. Il a été restructuré en obligations dont l'échéance, en moyenne, est de sept ans.
S'il y en avait autant à la Caisse, a dit M. Rousseau, c'est que la politique de gestion de risques de la Caisse n'a pas de plafond pour les produits du marché monétaire de première qualité, selon lui. Et il ne faudrait pas croire que les 13 milliards de PCAA sont entrés dans les coffres d'un seul coup.
«L'accumulation est le fruit de centaines de transactions réalisées sur une période de plusieurs années sans aucun incident. La Caisse avait simplement beaucoup de liquidités parce qu'elle avait encaissé beaucoup de profits de 2005 à 2007», a-t-il dit.
Certains observateurs se sont demandé pourquoi la Caisse possédait notamment quatre milliards de PCAA qui avait été «fabriqué» par une société torontoise, Coventree, dont elle a déjà été actionnaire. M. Rousseau a dit notamment que cette question rate la cible car la Caisse n'achetait pas le PCAA directement de Coventree.
D'autres établissements possédaient du PCAA, comme le Mouvement Desjardins, la Banque nationale, Transat, etc. Pour M. Rousseau, le fait qu'une si grande partie du PCAA canadien ait été vendu au Québec est un «mystère».
Les derniers mois, pour lui, représentent une rupture entre le monde financier et l'économie réelle. «Cette crise mondiale nous apprend que, malgré les grands dogmes de la finance, il nous faut dorénavant tout envisager -- même l'improbable, voire l'impossible. La crise de 2008 a tout changé à tout jamais.»
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