Les erreurs de jugement à la Caisse

L'affaire de la CDP - le cas Henri-Paul Rousseau


Les gestionnaires de la Caisse de dépôt sont parmi les plus compétents du Québec. Malgré cela, le taux de rendement en 2008 a été pire que celui des autres institutions du même genre: -25 % comparativement à -18,5 % en moyenne. C'est un peu plus de 10 milliards de plus en pertes que les autres.
Les explications données par Fernand Perreault, Richard Guay et Alban D'Amours ont été relayées par celles d'Henri-Paul Rousseau mardi à la commission parlementaire portant sur les pertes de la Caisse de dépôt et placement du Québec l'an dernier. Trois raisons: provision de 4 milliards de dollars sur le papier commercial, perte de 4,1 milliards sur les activités de couverture de change et provisions liées à la valeur des actifs (ce qu'on appelle en anglais, le mark to market).

Erreurs de jugement à répétition

Mais la commission nous aide à faire ressortir un point de plus dans ce dossier, et ce sont les erreurs de jugement des gestionnaires. Sur 17 portefeuilles, 14 ont subi des pertes plus importantes que les portefeuilles comparables dans les institutions comparables. Et les réponses, qui viennent au compte-gouttes, nous amènent aux conclusions suivantes quant aux erreurs de jugement, qui sont directement liées à la compétence des personnes en place:

1- La Caisse a commis des erreurs en accumulant une quantité excessive, sans limites, de papier commercial. Tout le monde à la Caisse l'a dit, y compris Perreault, Guay et Rousseau: c'était une erreur. Erreur d'en avoir et erreur d'avoir acheté près de 1 milliard de dollars de plus de papiers commerciaux entre le 24 juillet et le 9 août 2007, malgré des avertissements par écrit.

2- L'ex-PDG Henri-Paul Rousseau n'a pas vu venir les choses. Après l'intervention du gouvernement américain et de la Réserve fédérale en mars 2008 pour sauver la banque Bear Stearns, le patron a jugé que le problème des banques était réglé et qu'il fallait comprendre de cet événement que le gouvernement américain nous donnait l'assurance qu'il n'allait pas laisser tomber les institutions financières, qu'il était là pour soutenir le marché.

3- « Quand je suis parti en mai (2008), le ciel s'éclaircissait », nous a dit Henri-Paul Rousseau en commission. Comme nous l'avons déjà souligné dans ce carnet, les indices boursiers avaient connu des hausses spectaculaires, le prix du pétrole avait dépassé la barre des 100 $, les prix des ressources et des denrées faisaient l'objet d'une intense spéculation; il y avait nécessairement des dangers qui se présentaient. Plusieurs voyaient une correction boursière à l'horizon. La crise énergétique provoquait deux analyses: ces prix ne peuvent tenir, ça va retomber... ou ces prix sont trop élevés, il y a des dangers d'inflation excessive et de ralentissement important de l'économie. Croire que le « ciel s'éclaircissait », c'est donc croire que M. Rousseau regardait un beau ciel bleu sans s'intéresser aux prévisions météo et aux cartes qui pouvaient nous laisser voir la formation d'intempéries.

4- Et puis, M. Rousseau a avoué, en commission, qu'il « a été difficile pour la Caisse de recruter de bons experts dans les actions internationales ». Et c'est son argument pour expliquer les rendements plus faibles dans les actions étrangères comparativement aux autres fonds de retraite et par rapport également aux actions canadiennes, dans lesquelles la Caisse s'en sort beaucoup mieux. Dire qu'on avait des problèmes de recrutement, c'est remettre en cause la compétence des gens qui étaient en place. Et c'est ce qu'a fait Henri-Paul Rousseau. Pourtant, de 2002 à 2008, la valeur des investissements dans les actions québécoises a chuté de 34 % (en raison surtout de la chute de 2008), alors que les investissements hors Québec ont grimpé de 46 %. Selon Henri-Paul Rousseau, cet état de fait n'a pas augmenté la prise de risque par la Caisse.

La responsabilité de la Banque du Canada

Dans le dossier du PCAA, on a senti un certain agacement de la part d'Henri-Paul Rousseau envers le travail de la Banque du Canada. L'ex-PDG de la Caisse a souligné que la Banque du Canada n'a pas voulu soutenir le papier commercial non bancaire, et qu'elle a pu contribuer à une certaine confusion le 9 août 2007, en publiant un communiqué dans lequel elle mentionnait que le marché pouvait se rassurer, la banque centrale allait soutenir les marchés avec les liquidités nécessaires.

Henri-Paul Rousseau a aussi mentionné que la Banque du Canada ne s'est pas présentée à une réunion qu'il a convoquée le 10 août 2007 pour discuter du papier commercial avec les grands joueurs du secteur.

Prudence!

Cela dit, une note de prudence s'impose aujourd'hui. Et je tiens à l'écrire pour qu'on se rappelle ce fait dans 1 an, 2 ans, 5 ans, dans un autre contexte qui sera peut-être plus favorable. Sur les 39,8 milliards de dollars de pertes, il y a 56 % de ces pertes qui sont en fait des provisions. Autrement, il y a eu une dévaluation de 22,4 milliards de dollars des actifs dans les portefeuilles de la Caisse.

Et sur les 13 milliards de dollars en papier commercial, il y a une perte « sur papier » de 5,8 milliards de dollars et une perte réelle de 181 millions de dollars. Pour l'instant, le marché ne fonctionne pas. Mais les papiers commerciaux « court terme » ont été transformés en titres à long terme (7 ans). Donc, il n'est pas dit que la valeur de ces instruments financiers ne va pas remonter dans les prochaines années. Ce qui veut dire que la catastrophe d'aujourd'hui pourrait s'effacer dans les prochaines années à la faveur d'une reprise des marchés. Mais ça, ce sont des suppositions, des prévisions qu'on n'oserait pas faire.

Aujourd'hui, le constat de ce qui s'est passé à la Caisse se précise: des gestionnaires ont mal évalué le marché et ont fait des erreurs coûteuses. M. Rousseau fait partie de ces gens. Et la question est la suivante: est-ce acceptable que la Caisse de dépôt et placement du Québec, la plus grande institution du genre au Canada, en arrive à de tels dérapages?


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