LE SOLEIL - ANALYSE

Bush, poussé par Cheney, pourrait attaquer l'Iran... mais ce serait une catastrophe!

Géopolitique — nucléaire iranien




Il est impossible de savoir si les États-Unis attaqueront l'Iran avant que le président Bush ne quitte le gouvernement dans 17 mois. Même à la Maison Blanche, personne n'en sait encore rien. On peut néanmoins prédire aisément ce qu'il se passerait si les États-Unis attaquaient l'Iran. Et tout laisse penser que les faucons de la Maison Blanche sont en train de gagner cette bataille.
Le signe le plus alarmant est que l'administration Bush s'apprête à coller l'étiquette d' « organisation terroriste » au Corps des gardiens de la révolution islamique (iranienne) [CGRI]. C'est une démarche extrêmement provocatrice dans la mesure où le CGRI n'est pas une bande de fanatiques indépendants. C'est une branche officielle de l'État iranien, composée de 125 000 hommes, qui opère parallèlement à l'armée régulière. Les motivations idéologiques du CGRI sont toutefois plus profondes et il est vraisemblablement plus loyal à l'égard des dignitaires religieux.
Qualifier ouvertement les gardiens de la révolution islamique d'organisation terroriste n'est pas un simple moyen pour le gouvernement américain de vilipender l'Iran en le traitant d'État terroriste. C'est aussi l'un des principaux conflits politiques qui partagent les membres de l'administration Bush, en particulier la secrétaire d'État Condoleezza Rice et le secrétaire à la Défense Robert Gates. Ce dernier estime qu'attaquer l'Iran ne serait pas raisonnable, tandis que ceux qui entourent le vice-président Dick Cheney pensent que c'est indispensable.
Presque tous au sein de l'administration Bush croient que l'Iran cherche à se procurer des armes nucléaires dans le but de dominer la région et d'attaquer Israël. (D'autres en sont moins sûrs). Le parti de la guerre, dont le leader est Dick Cheney, pense également que le régime religieux en Iran s'effondrerait à la première pression intense -- puisque le peuple iranien éprouve le désir d'une démocratie sur le modèle américain -- et que l'attaque doit être menée pendant que le président Bush est encore en fonction (car aucun de ses successeurs n'aurait le cran de diriger une telle opération). Aujourd'hui encore, le vieux machisme de l'administration américain subsiste : « Les jeunes gens partent à Bagdad, les vrais hommes à Téhéran ».
L'arme du pétrole
Alors, que se passera-t-il si Cheney & Co. arrivent à imposer leur dessein ? Le régime iranien ne s'effondrerait pas : aujourd'hui, le président Mahmoud Ahmadinejad est impopulaire pour avoir été incapable de gérer l'économie iranienne. Il n'en demeure pas moins que les iraniens patriotes le soutiendraient en cas d'attaque extérieure. En revanche, l'approvisionnement en pétrole serait brutalement interrompu et l'économie mondiale s'écroulerait.
Le général Seyed Yahya Rahim Safavi, le commandant en chef de la Garde révolutionnaire l'a expliqué concrètement à l'occasion d'un discours prononcé le 15 août dernier (bien qu'il n'ait fait aucune référence directe à la menace étasunienne). « Nos systèmes de missiles sol-mer sont désormais capables d'atteindre le Golfe et la mer d'Oman, dans leur longueur et leur largeur », a-t-il indiqué. « Aucun navire de guerre ne peut traverser le Golfe sans pénétrer dans la zone de portée de nos missiles sol-mer ». Autrement dit, l'Iran peut fermer tout le trafic de pétroliers à travers le Golfe et ses abords. Et si l'US Navy ose livrer bataille dans ses eaux, elle en sortira vaincue.
Malgré les disparités considérables en matière de pouvoir militaire entre les États-Unis et l'Iran, ce qu'il explique est probablement vrai. Car, trop engagés en Irak et en Afghanistan, les États-Unis ne peuvent pas dégager d'importants effectifs supplémentaires pour envahir et occuper un pays montagneux de 75 millions d'habitants. Les États-Unis peuvent bombarder l'Iran à l'envi et frapper toutes les installations nucléaires, réelles et présumées. Mais après cela, il ne leur restera plus d'options. L'Iran, au contraire, dispose de multiples possibilités.
L'Iran pourrait tout bonnement cesser d'exporter du pétrole. En retirant du marché les trois millions et demi de barils de brut journaliers, en l'état actuel des choses, les prix du brut seraient propulsés jusque dans la stratosphère. L'Iran pourrait aussi se montrer sévère et fermer l'ensemble du trafic des pétroliers dans un rayon correspondant à la zone de portée de ses missiles -- ce qui signifierait peu ou pas de pétrole en provenance d'Irak, d'Arabie Saoudite ou encore des petits États du Golfe. Cela impliquerait un rationnement pétrolier au niveau mondial, des fermetures d'industries et la fin du système économique actuel.
Les missiles iraniens
Ces missiles sont-ils capables d'autant ? Absolument. La dernière génération de missiles à vol rasant est dotée de dispositifs de lancement mobiles, facilement dissimulables. Ces missiles arriveraient à très grande vitesse au ras de l'eau, de n'importe où, le long de la côte de près de 2 000 km que possède l'Iran dans le Golfe. Si une demi-douzaine de pétroliers sont touchés et coulent, les assurances pour les trajets vers le Golfe deviendront hors de prix, quand bien même de rares armateurs seraient prêts à risquer leurs pétroliers.
Il est extrêmement peu probable que les frappes aériennes des Américains puissent localiser et détruire toutes les rampes de lancement des missiles (rappelons la piètre performance des forces aériennes israéliennes dans le Sud-Liban l'été dernier). Par conséquent, l'Iran gagnera. Au bout de quelques mois, les grandes puissances trouveront un moyen pour que les États-Unis prennent leur distance par rapport à la confrontation et rétablissent les livraisons de pétrole. L'Amérique serait néanmoins largement humiliée, bien plus que ce qu'elle l'a été au Vietnam. De son côté, l'Iran émergerait comme l'arbitre incontestable du Golfe.
À Washington, de nombreux (peut-être la majorité) généraux et amiraux de haut rang en sont conscients. En privé, ils ne sont pas partisans d'une attaque contre l'Iran qu'ils savent vouée à l'échec. Mais, en fin de compte, ils respecteront les ordres. Le vice-président Dick Cheney et sa clique n'en sont pas conscients. Ils préfèrent croire que les Iraniens accueilleront les envahisseurs américains à bras ouverts et avec des cris de joie. Vous savez, comme l'ont fait les Irakiens. Le pire, c'est que Dick Cheney semble remporter cette bataille à la Maison Blanche.
Gwynne Dyer
journaliste indépendant*
*L'auteur est un journaliste canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, Futur Imparfait, est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé